L’ouverture à la langue anglaise (dès le primaire) que le Sénégal souhaite initier mérite d’être saluée. L’inclusion des langues qui rythment la vie d’une nation et qui constituent des opportunités d’ouverture doit être effective et formelle.
Cette approche rappelle celle d’un père de famille prévenant, conscient de la nécessité de préparer les siens à une réalité incontournable. Devant une situation dont on ne peut soustraire sa famille, ni en contrôler le contact, autant la préparer à l’aborder de la meilleure manière possible.
La mise en place de cette initiative est donc pertinente. Elle doit aussi être progressive. Cela dit, lorsqu’on parle de progression, il s’agit du temps à accorder à la langue, mais pas de la matière en soi, au risque d’altérer de ce à quoi l’apprenant est exposé. Il est donc souhaitable pour l’anglais d’offrir une meilleure préparation aux enseignants afin d’éviter une forte créolisation de la langue.
Des variétés linguistiques émergeront inéluctablement, car toute langue autre viendra se superposer au socle de la langue maternelle, et en portera des traces. L’idéal, pour les institutions étatiques, serait de viser une norme centrale, et laisser l’usage exercer ses effets naturels. Nous avons une chance en cela que le wolof, langue commune, absorbe les « chocs » linguistiques. Ainsi, l’anglais pourrait, à l’instar du français, ne pas subir des influences extrêmes (comme cela se produit dans certains pays africains anglophones), car avec le wolof, ni l’anglais ni le français ne sont des langues incontournables pour la communication locale générale. Puisqu’une variation, même minimale, aura forcément lieu, il est préférable que les enseignants visent l’orthodoxie pour minimiser les écarts à la norme centrale.
Teach it right in the first place :
Le fondement est essentiel pour toute structure. C’est ainsi que la langue maternelle a une incidence infaillible sur les langues qui viendront plus tard, dans le cas où le processus d’acquisition est séquentiel.
Il existe en anglais une intonation touchant le groupe de mots (suprasegmentale, syntagmatique). Son application (de la part des apprenants) relève parfois du mimétisme. Elle est souvent (à tort?) « réprimée » par la censure sociale. Ceux qui ont évolué dans les clubs d’anglais le savent bien : ils sont fréquemment stigmatisés et accusés d’imiter l’accent américain.
Je ne parle pas ici de cette intonation-là, qui est au-delà du mot et qui est plutôt accessoire. Il est question pour nous ici de l’accent tonique, au niveau même du mot.
Une accentuation fondamentale :
Les mots anglais ne se prononcent pas comme les mots français. Les règles d’accentuation des mots sont différentes. De plus, l’accentuation des mots en français est souvent facultative. En revanche, en anglais, l’accentuation (segmentale, morphologique, donc au niveau du mot) est obligatoire, cruciale, et fait partie de l’identité du mot. La transcription phonétique des mots en anglais indique cet aspect par un signe. Chaque couple de (deux) syllabes est marqué par un signe. Cette réalité est constitutive du mot, car elle en complète l’identité. De plus, déplacer cet accent tonique peut changer la catégorie grammaticale d’un mot (par exemple, un nom peut devenir un verbe).
De la charge cognitive?
Le réflexe d’un enseignant est de ne pas alourdir la charge cognitive de l’apprenant. Il pourrait donc choisir de lui enseigner à prononcer un mot anglais de manière « simple », comme il le ferait avec des mots en wolof ou en français. Quand l’apprenant sera plus âgé, on introduirait une autre couche: l’accentuation syllabique. Mais cette approche est une erreur!
Pour qu’une langue soit fluide, il est essentiel qu’une grande partie de ses composantes (souvent la forme : syntaxe, morphophonologie, morphosyntaxe…) soit internalisée (dans l’hémisphère gauche du cerveau), et mobilisable sans trop de réflexion. L’accentuation syllabique de chaque mot doit être internalisée et devenir une seconde nature. Dans le cas où cette réalité n’est prise en compte que plus tard, elle sera comme un composant qui doit s’ajouter à une couche préexistante qui a déjà « séchée » alors qu’elle aurait dû se mélanger harmonieusement avez celle-ci. La première couche (prononciation sans accentuation, ou à la manière française ou wolof) sera déjà devenue un réflexe. Ajouter une nouvelle couche dans ce contexte ne fait qu’exacerber la charge cognitive que l’on avait voulu éviter en premier lieu. Pour chaque mot, en effet, le locuteur devra alors vérifier où placer l’accent syllabique avant de le prononcer, et il devra « démanteler » des réflexes déjà installés. À titre d’exemple, à la School of Education de Bishop’s University, où j’enseigne la didactique et la linguistique, certains locuteurs natifs de l’anglais, futurs enseignants, découvrent seulement à ce stade l’accentuation des mots, bien qu’ils l’appliquent instinctivement depuis leur plus jeune âge. Normal, elle fait partie de leur langue maternelle.
Quelques pistes d’approches :
En ce qui concerne le volume horaire et la méthode à adopter, une approche fonctionnelle, pratique et ludique est idéale. L’apprentissage devrait se faire à travers des supports significatifs (films, chansons, théâtre…), afin de préparer le jeune apprenant à une approche plus large, plus formelle qui interviendra plus tard.
Présentement, avec l’accès à Internet et la disponibilité abondante de livres audio, il existe une mine d’or pour ceux et celles qui veulent apprendre et progresser. Il suffit de leur fournir une bonne orientation dès le début.
Malé Fofana PhD
Linguistics and Didactics
School of Education
Bishop’s University