Le policier, accusé de corruption puis condamné, a bénéficié d’une peine qui ne traduit pas la gravité des actes posés. Les raisons d’une telle légèreté ne relève pas de la seule clémence des juges. Une peine de justice plus sévère n’aurait pu pas trouver son pendant dans une sorte de répulsion sociale évidente, dans les codes moraux. Ce qu’a fait le policier, c’est ce qui se fait à tous les coins de rue, et rien de sérieux ne s’est fait jusque-là pour lutter contre. Sans une consécration sociale objective du droit et des peines applicables, on continuera à traiter les délinquants comme des victimes.
On doit se demander pourquoi les sénégalais ne font pas grand cas de la sanction molle imposée au policier. Mieux, pourquoi l’opinion était largement favorable à ce que l’agent de paix bénéficie néanmoins de la compréhension des juges et qu’il ne soit pas sévèrement sanctionné? En réalité, le policier fautif n’a rien fait de particulier, rien d’insolite. Les faits de corruption qui lui sont opposés sont courants, banalisés et adoptés, somme toute. N’est-ce pas de cette familiarité avec des faits et des gestes, longtemps repoussés puis normalisés, que les lois tombent en désuétude, étouffées par l’ampleur des manifestations opposées à leur esprit?
On se souvient encore de Mouhamadou Amoul Yakar Diouf, distingué policier connu pour son incorruptibilité. Il a occupé l’espace médiatique pendant presque deux semaines pour son intransigeance vis-à-vis des contrevenants au code de la route. Le travail exécuté correctement est étrangement signalé et célébré comme un fait d’arme. Si le policier, avaleur de procès-verbal, était sévèrement condamné, ce serait considéré aux yeux de l’opinion comme un trompe-l’œil, une coquetterie de travesti, jamais comme une peine juste et dissuasive. Au Sénégal, la corruption passe encore pour un mal justifiable et excusable, pour un spectacle comique.
L’adhésion de l’opinion aux peines prononcées est forte à mesure que le fait répréhensible manifeste un caractère inhabituel, marginal. Dans le cas d’Assane Diallo, l’agent de police vilipendé, la majorité des sénégalais semble dire : pourquoi il devrait, à lui seul, répondre d’une pratique aussi répandue? Les sénégalais n’aiment pas l’injustice, a-t-on l’habitude de dire. Ce n’est pas le respect du droit ni la conformité au droit qui sont convoités par eux, c’est davantage leur répulsion des abus et de l’arbitraire dans les rapports de pouvoir ou de soumission qui se manifeste. Mais, on est encore dans l’idéal de justice. « La justice, c’est l’injustice équitablement partagée. »
Il fallait infliger au policier une peine exemplaire et dissuasive, disent les bonnes volontés. Elles se trompent de cibles, c’est leur anachronisme. Les décideurs, jusqu’aux juges, jusqu’aux acteurs de la vie publique, ont la charge distincte de garantir le bon fonctionnement des institutions par l’exemple et par l’ambition. Le citoyen s’ajuste et s’adapte tout naturellement aux niveaux d’organisation sociale et politique. Lui faire porter la responsabilité des malveillances, comme si ça ne tenait qu’à lui de se couronner modèle de droiture, c’est inverser les rôles, c’est peine perdue. L’État de droit se nourrit du sentiment populaire d’égalité et d’impartialité devant la loi.
« Ce n’est pas l’image du policier que vous avez ternie, mais celle du Sénégal », a soutenu le parquet à l’endroit des dames qui ont filmé le policier coupable. Quelle connerie ! Ça renseigne sur l’ordre des priorités et sur la tendance compulsive à toujours fermer le couvercle sur les bouillants maux de la société sénégalaise. Pendant que ça bouille, la mélodie résonne de partout: vitrine de la démocratie africaine, pays de la téranga, terre sacrée des ancêtres, gnagnagna gnagnagna.
Birame Waltako Ndiaye
quelle belle plume, sur fond de logique pure.