Depuis quelques jours, c’est l’escalade de la violence à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Un groupe d’étudiants opposés aux réformes universitaires, notamment à l’augmentation des droits d’inscription, a décidé d’utiliser l’argument de la force pour espérer faire reculer les autorités.
Leur dernier coup d’éclat a choqué le monde universitaire, indigné une bonne partie de l’opinion publique et sérieusement entamé leur crédit. Jeudi 19 décembre dernier, alors que des sommités intellectuelles avaient rempli la salle de conférences de l’Ucad II pour écouter les professeurs Paulin Hountondji et Souleymane Bachir Diagne débattre du thème « De la négritude à la Renaissance », un groupe d’étudiants s’est invité aux discussions. Pas pour savourer les réflexions et analyses que devaient gratifier le public deux des plus grands philosophes africains, voire du monde, mais pour perturber les débats. Obligeant ainsi les organisateurs de cette conférence inaugurale qui marquait l’ouverture de la rentrée annuelle de la Fondation Léopold Sédar Senghor, à mettre un terme à la rencontre. Il ne pouvait pas en être autrement, tant les fauteurs de troubles avaient les nerfs à fleur de peau. Il aurait suffi d’un brin de résistance pour qu’ils déversent leur colère sur les invités et mettent à sac la salle. Tout saccager, pour ne pas dire la stratégie de la terre brûlée, c’est l’option prise, depuis quelques jours, par ces étudiants opposés à l’augmentation des droits d’inscription. Avant le sabotage de la conférence inaugurale sur Senghor, c’est le Forum Ucad/Entreprise qu’ils avaient dispersé à coups de pierres avant de s’en aller ferrailler, durant toute la journée, avec les forces de l’ordre. L’arrestation de quelques-uns de leurs camarades au cours de cet affrontement et la perte d’un œil d’un des leurs n’avaient, à l’évidence, sapé en rien leur détermination.
Avant ces deux dérapages commis la même semaine, ces étudiants s’étaient déjà signalés le 21 novembre dernier. Mécontents de constater que l’appel lancé à leurs camarades pour le boycott des inscriptions n’avait pas eu un écho favorable, ils avaient manifesté leur courroux ce jour-là en saccageant le rectorat et les services de scolarité des différentes facultés. A cette occasion, les baies vitrées du bureau du secrétaire général de l’université, du bureau de vidéosurveillance et de la porte centrale du rectorat avaient été réduites en miettes. Ces grévistes déchaînés avaient par la suite allumé des pneus sur les principales artères de l’université. N’eût été la prompte réaction des vigiles et policiers qui se sont déportés sur les lieux pour mettre un terme à la folie guerrière de ces casseurs en les arrosant de gaz lacrymogènes, le saccage aurait pu être plus dramatique.
N’empêche, au lendemain de ces actes déplorables, ces mêmes étudiants, dont certains avaient été interpelés la veille, sont retournés dans les facultés pour perturber les inscriptions qui avaient repris. Ils ont recommencé la folle équipée par la Faculté de Droit où ils ont vandalisé le service de scolarité. Ce n’était pas la première fois que le rectorat était attaqué de cette manière. En 2010, du temps du recteur Abdou Salam Sall, un groupe d’étudiants de la Faculté de Droit avait saccagé les lieux pour réclamer la tenue de l’élection des délégués des étudiants. Identifiés, ils avaient été suspendus et bannis des universités sénégalaises pour une durée d’au moins 5 ans. Une telle mesure disciplinaire plane sur la tête des principaux acteurs de la dernière casse du rectorat. En effet, après ces actes, l’Assemblée de l’université, réunie en catastrophe, et d’un ton ferme et résolu, avait condamné ces actes dans un communiqué. « Ces comportements inacceptables dans l’espace universitaire constituent une atteinte intolérable, une violation flagrante des franchises universitaires et des libertés académiques et une menace grave pour la sécurité des enseignants, du personnel administratif et technique, des étudiants et des biens », avait-elle martelé. L’Assemblée avait ensuite invité, instamment, le recteur à porter plainte et à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer la sécurité sur l’ensemble du campus et exigé que les auteurs identifiés lors des tentatives de blocage du fonctionnement des scolarités et des actes de vandalisme soient immédiatement traduits devant le conseil de discipline de l’université, sans préjudice des poursuites pénales.
Au regard des derniers développements, l’on peut dire que ces menaces de sanctions n’ont pas eu un effet dissuasif. Les étudiants paraissent même plus radicaux que jamais dans un espace qui devient de jour en jour un espace de non droit.
Elhadji Ibrahima THIAM
Une décennie de violences sur le campus
En dehors des affrontements à fleurets mouchetés avec les policiers, appelés « front » dans le jargon estudiantin pour réclamer le paiement des bourses, l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) a connu, depuis 2000, quelques épisodes de violence inouïe qui ont parfois débouché sur des scènes dramatiques.
L’un de ces tristes épisodes est celui qui a vu la mort, par balle, de l’étudiant Balla Gaye, originaire de Tivaouane, le 31 janvier 2001. Son décès avait été imputé au policier Thiendella Ndiaye qui avait été incarcéré, puis libéré, avant d’être blanchi quelques années plus tard. Aujourd’hui, une stèle est érigée à l’entrée de l’Ucad en mémoire de cet étudiant qui était en 1ère année de Droit. Cinq ans plus tard, plus précisément le 17 février 2006, l’Ucad a renoué avec des scènes d’une rare violence. Soupçonnant qu’on leur serve de la nourriture avariée, des étudiants avaient saccagé et dévalisé tous les restaurants universitaires. Tous les symboles du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) avaient fait les frais de leur furie : véhicules calcinés, bâtiments incendiés… Leur mécontentement ne se limita pas seulement au sein de l’espace universitaire. Des pneus et des aliments sortis des chambres froides des restaurants furent allumés sur la corniche et sur l’avenue Cheikh Anta Diop. Les dégâts matériels étaient tellement importants que, dans la soirée, les policiers avaient reçu l’ordre d’entrer au campus. Ils défoncèrent les portes des chambres, certains allant même jusqu’à casser tout sur leur passage. Des dizaines d’étudiants furent interpellés, bastonnés et conduits dans les différents commissariats et postes de police. On dénombrait des dizaines de blessés, certains étudiants ayant sauté par les fenêtres pour tenter d’échapper aux policiers. Ces derniers avaient élu domicile au campus pendant une semaine, devenu un champ de ruines. Si ce n’est contre les forces de l’ordre, c’est entre eux que les étudiants livrent bataille.
Comme en 2008, lors des élections de représentativité à la Faculté des Lettres et Sciences humaines. Cette année-là, pour contrôler l’amicale, deux camps, la liste rouge et la liste jaune, s’étaient affrontés à coups de machettes, de couteaux, de barres de fer et de gaz asphyxiants. Cette guerre pour le pouvoir avait non seulement réduit les locaux de la Faculté des Lettres en décombres, mais elle avait également occasionné de nombreux blessés graves. Situation qui avait conduit les autorités de ladite Faculté à suspendre les activités de l’amicale durant presque deux ans. Cela n’avait pas empêché, après son rétablissement, que le doyen de la Faculté soit menacé de mort et déclaré persona non grata par les délégués des étudiants, l’année dernière.
Elhadji I. THIAM
Les Amicales, racines du mal
Le plus souvent, les amicales des étudiants sont à la base des actes de violence à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Aujourd’hui, seule l’Amicale de la Faculté de Médecine et la Coordination des écoles et instituts regroupant le Cesti, l’Ebad, l’Inseps, l’Ist et l’Iupa fonctionnent. Toutes les autres instances estudiantines sont suspendues pour cause de violence. Retour sur l’évolution du mouvement syndical étudiant passé des luttes politiques aux revendications pécuniaires.
L’époque de l’étudiant militant est révolue. Entre 1960 et 1980, fait remarquer Mamadou Albert Sy dans son ouvrage « Ucad cinquante ans après : les mutations profondes de la communauté universitaire », le mouvement syndical étudiant a été très politique. Cela s’expliquait, selon lui, par le fait que « le pôle de gauche ou la gauche révolutionnaire en général était très influent dans les mouvements étudiants ».
Ce degré très élevé de la politisation des étudiants et l’engagement des responsables aux côtés des leaders de partis ne sont pas sans rapport avec les nombreuses grèves à l’époque. Pour certains, le mouvement étudiant de ces années-là a écrit l’une des plus belles pages de l’histoire de l’actuelle Ucad. En effet, il a produit des leaders politiques charismatiques et des syndicalistes chevronnés. De nombreux universitaires ont été formés dans le cadre du mouvement étudiant. « Donc, jusqu’en 1980, le mouvement étudiant était combatif. Il était assez proche des préoccupations politiques, comme la démocratie, le soutien aux luttes des peuples. C’était l’époque de l’étudiant militant, de l’étudiant nourri aux grandes idéologies du changement », écrit Mamadou Albert Sy.
Mais, à partir de 1980, une rupture va s’opérer. L’essoufflement idéologique du mouvement syndical étudiant est observable avec la disparition de l’Union nationale patriotique des étudiants du Sénégal et de l’Union des étudiants de Dakar.
L’heure des revendications pécuniaires
Le mouvement étudiant n’est plus mobilisable autour des questions de société. Il s’active plus autour du social et devient moins politique, mais plus économique, plus social, plus culturel, plus religieux. Bref, il est moins idéologique. « Tout part du social et tout revient au social ». Conséquence : le mouvement syndical étudiant est désormais porté par les amicales, les coordinations d’étudiants et les bonnes volontés de l’espace social.
Cependant, les amicales, il faut le souligner, avaient toujours cohabité avec les syndicats. Les premières intervenaient sur le plan académique en s’occupant des intérêts matériels et moraux des étudiants, tandis que les seconds avaient la particularité d’être un instrument politique.
Il ne faudra pas attendre longtemps pour que ce mouvement, désormais incarné par les amicales, connaisse une crise. La récurrence de la dimension sociale dans les doléances pousse l’Etat, à en croire M. Sy, à adopter la stratégie du laisser-pourrir les grèves et à ne jamais respecter ses engagements. « C’est ce cercle vicieux qui a probablement affaibli l’unité du mouvement étudiant et favorisé le fossé entre les responsables et leur base perdue dans un cycle infernal de grèves ». Deux années blanches en moins de dix ans, le redoublement et la galère sociale dans le campus social se sont conjugués pour saper les bases du mouvement revendicatif étudiant.
Le malaise des amicales
Depuis 2000, coïncidant avec la survenue de l’alternance, les revendications du mouvement étudiant sont devenues purement économiques. A cela s’ajoute le fait que les positionnements des syndicats obéissent désormais à des logiques de groupes tissées dans un même espace pédagogique, dans le territoire de la communauté villageoise, de la commune ou de la région.
L’appartenance à la même communauté religieuse, culturelle et linguistique se greffe sur ces liens de camaraderie. « Ce n’est plus l’appartenance à des organisations politiques divergentes par leur projet de société ou par leur démarche syndicale de gestion des problèmes sociaux et académiques qui crée les clivages entre les étudiants ». Aujourd’hui, un malaise s’est installé dans les rangs des amicales. La lutte pour le contrôle des amicales, source de financement et pourvoyeuse de privilèges pour ceux qui les dirigent, a fini de plonger l’Ucad dans un cycle infernal de violence. Reconnues légalement, a priori espace d’expression, les amicales cachent, en réalité, des intérêts inavoués à l’origine de nombreuses batailles rangées, comme celles qui se sont déroulées en 2008 à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines. Faire le bilan du mouvement syndical étudiant est devenu une nécessité vitale pour la survie de l’université.
Elh. I. THIAM
Les étudiants divisés sur la méthode de lutte
Au campus social de l’Ucad, les avis sont partagés sur la violence notée, ces derniers temps, dans l’espace universitaire. Si certains prônent l’usage de la violence pour faire revenir les autorités sur leur décision d’augmenter les frais d’inscription, d’autres, par contre, préfèrent un règlement pacifique de la crise.
En ce lundi 23 décembre, l’effet du Magal de Touba laisse planer une ambiance inhabituelle au campus social de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Le lieu qui, d’habitude, ne désemplit pas, semble observer une pause. Seuls quelques étudiants sont visibles sur les bancs en béton érigés à l’entrée des différents pavillons. Certains, sous la menace du vent frisquet qui balaie le site en ce début de matinée, prennent un bain de soleil au moment où d’autres empruntent, d’un pas pressé, le chemin des amphithéâtres.
Contrairement aux jours précédents, le campus s’est réveillé ce matin dans une ambiance bon enfant, loin du bruit des grenades lacrymogènes, de la pluie de pierres dont les séquelles sont encore visibles sur les murs des édifices. Depuis quelques temps, la violence est devenue à l’Ucad le quotidien des étudiants qui protestent avec détermination contre la réforme proposée à la suite de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (Cnaes) qui a prôné, entre autres, une augmentation des frais d’inscription.
Etudiant en Licence III au département d’Espagnol, Saloum Bâ approuve l’usage de la violence pour protester contre cette décision des autorités. Selon lui, c’est la meilleure manière de se faire entendre. « Les étudiants n’étaient pas impliqués dans la prise de décisions. On a fait appel à des gens qui avaient déjà terminé leurs études et qui étaient loin d’être préoccupés par la situation de l’université. 25.000 FCfa de frais d’inscription, c’est très cher », soutient-il. M. Bâ fustige aussi le fait que, jusqu’à présent, les étudiants n’arrivent pas à percevoir leurs bourses. Ousmane Takou, originaire de la région de Sédhiou, embouche la même trompette en qualifiant « d’arbitraire cette décision des autorités ». Selon lui, si le choix d’augmenter les frais d’inscription est avalisé, l’université risque d’être privatisée dans un futur proche. « Nous envisageons d’utiliser la violence jusqu’à obtenir gain de cause, sinon nous risquons de perdre la bataille », souligne-t-il. A son avis, pour mettre un terme à ces confrontations, il faut nécessairement que l’Etat mette, d’abord, en avant le dialogue, lequel permettra d’aboutir à un consensus. L’étudiant en Droit déplore le choix fait sur des sortants de la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (Fastef) pour représenter les étudiants au moment des concertations.
Réprobation
Son ami Sadio Baldé va plus loin. Pour lui, si les étudiants laissent faire, ceux qui viendront après eux risquent de ne pas pouvoir avoir accès à l’université. « Ce qui est inadmissible dans un pays pauvre comme le Sénégal ».
Assis à l’entrée du pavillon B, Lamine Sow, étudiant en Master I au département d’Allemand, a les yeux rivés sur son cahier. La concentration au maximum, le jeune homme affiche une mine radieuse. Interpellé sur la violence qui sévit, ces derniers temps, à l’Ucad, il répond après un moment d’hésitation : « C’est un mal nécessaire. Sans la violence, les gens resteront dans leurs bureaux croyant que tout va merveilleusement bien. Les étudiants se sont, d’abord, signalés en essayant de régler le problème à l’amiable, mais malheureusement, cela n’a pas abouti ». Aussi, le fait que les étudiants ne soient pas consultés sur cette mesure dont les auteurs n’auraient pas tenu compte des difficultés auxquelles ils sont quotidiennement confrontés dans l’espace universitaire l’offusque.
Toutefois, Abou Touré, étudiant en Master II à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg), ne partage pas le point de vue de ses amis. « L’image du temple du savoir ne rime pas avec la violence. C’est déplorable que cette culture de violence ait fini de s’implanter à l’Ucad », argue-t-il, appelant les principaux acteurs à s’asseoir autour d’une table afin de pouvoir arriver à une issue heureuse. Un point de vue que partage Fatou Niane, étudiante en Licence II à la même faculté, qui soutient qu’à force de transformation, l’université est devenue un champ de confrontation, et l’étudiant est actuellement associé à un faiseur de trouble. Selon elle, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, à travers cette réforme, a eu la mauvaise idée de toucher un point sensible : l’augmentation des frais d’inscription. « Je ne suis pas contre cette augmentation, mais je trouve que c’est assez élevé », laisse-t-elle entendre.
Ibrahima BA
Universités : L’augmentation des frais d’inscription, une logique mondiale
La nouvelle réforme initiée par l’Etat du Sénégal à l’issue de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (Cnaes) repose sur 78 points. Celui qui aura le plus retenu l’attention des Sénégalais reste l’augmentation des frais d’inscription. Un montant jugé élevé par certains, dont des étudiants. Cependant, en agissant ainsi, le Sénégal, en réalité, ne s’inscrit que dans une logique mondiale.
Il y a quelques semaines, des étudiants s’opposant à la hausse des frais d’inscription dans les universités ont saboté deux importantes rencontres scientifiques qui leur sont dédiées : le Forum Ucad-entreprise et la Conférence inaugurale de rentrée de la Fondation Léopold Sédar Senghor. Laquelle entre dans le cadre de l’anniversaire de ce dernier, avec comme hôte de marque le grand intellectuel qui fait tant la fierté de tout Africain, le Béninois Paulin Hountondji. Quelle perte pour eux ! Car, au fond, ce sont eux, les étudiants, qui devraient profiter de ces deux rencontres. Faut-il le rappeler, le forum s’inscrit dans la logique de la réforme Lmd qui implique l’instauration d’un lien entre l’université et l’entreprise afin de résoudre le problème de l’insertion de nos diplômés des universités. Quant à la conférence organisée par la Fondation Léopold Sédar Senghor, elle pouvait se dérouler ailleurs. Mais, peut-être que les organisateurs ont voulu que nos étudiants connaissent davantage Senghor, premier président du Sénégal, mais surtout homme de Lettres. Mieux, faire profiter aux jeunes les savoirs des deux éminents intellectuels africains que sont Paulin Hountondji et Souleymane Bachir Diagne.
En faisant annuler cette rencontre et surtout en jubilant de manière éhontée devant un parterre d’intellectuels, dont le premier recteur noir du pays, Seydou Madani Sy, ces étudiants ont, d’abord, sali la mémoire de notre regretté président, puis couvert de honte tout Sénégalais imbu de savoirs et perdu l’estime que nombre de nos compatriotes leur portaient. S’il y a des gens qui instrumentalisent ces jeunes, sûr qu’ils ont eu aussi honte. Et ne serait-ce que par respect à la mémoire de Senghor, ces étudiants se devaient de se garder de troubler cette cérémonie, à plus forte raison de la faire capoter.
Le regretté professeur Mbaye Guèye, historien, disait que « Lux mea Lex » ne signifie pas « La Lumière est ma loi », mais bien « Ma Loi, c’est la Lumière ». Autrement dit l’étudiant doit tendre vers la lumière qu’est le savoir. C’est vrai qu’il y a nuance.
Frais d’inscription
Depuis quelques années, ce slogan plein de sens est en train de perdre tout son sens, tant la violence est érigée en règle à l’Ucad comme si l’espace était et demeure une zone de non droit. Il appartient aux étudiants de préserver l’image de leur institution (espace de débats et non de violence) et faire aussi en sorte que les Sénégalais aient confiance en eux. Les étudiants doivent surtout savoir que l’augmentation des frais d’inscription, décidée par l’Etat à l’issue d’une Concertation nationale, du Conseil des ministres et du Conseil présidentiel (une première au Sénégal), ne s’inscrit que dans une logique mondiale et d’amélioration de leurs conditions d’études, tant il est vrai que l’enseignement supérieur coûte cher. Chacun doit y mettre du sien. Partout dans le monde, l’Etat providentiel, pour paraphraser l’ancien chef de l’Etat Abdou Diouf, n’existe plus. C’est pourquoi les étudiants participent au financement de leurs études. En Côte d’Ivoire, l’an dernier, le conseil des universités publiques (Cocody, Abomey-Adjamé et Bouaké) a décidé de faire passer les frais d’inscription de 6.000 à 100.000 FCfa. Ce montant est valable pour les étudiants de la Licence I à la à la Licence III. Quant à ceux de la Maîtrise, ils devront désormais débourser 200.000 FCfa pour s’inscrire et les doctorants, 300.000 FCfa. Ces tarifs ne s’appliquent qu’aux étudiants ivoiriens et de l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Ceux des autres pays devront débourser la somme de 300.000 FCfa de la Licence I à la Licence III, 400.000 FCfa pour le Master et 500.000 FCfa pour le Doctorat.
Au Rwanda, les frais académiques sont de 5000 dollars Us (2 millions de FCfa) pour la Maîtrise, tandis que dans certaines universités de la République démocratique du Congo (Rdc), ils sont de 400 dollars (200.000 FCfa). Ce qui explique la fuite de nombreux étudiants rwandais en Rdc (Cf. Walfadjri du 14 janvier 2011, citant l’agence Syfia). L’an dernier (2012-2013), à l’Unité de formation et de recherche (Ufr) Sciences exactes et appliquées et à l’Institut de génie de l’environnement et du développement durable (Igedd) de l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), pour s’inscrire en Licence III, au Master professionnel et au Master spécialisé, il fallait déposer un dossier en payant 15.000 FCfa non remboursables pour les droits d’inscription au concours de recrutement. Quant aux frais de laboratoire, ils s’élevaient à 250.000 FCfa par semestre pour la Licence III et autant pour le Master. Alors que pour le Master spécialisé Aménagement durable du territoire (Adt), ces frais sont de 750.000 FCfa par semestre (Cf. Fasonet). Au Togo, explique l’expert en Education Mamadou Ndoye, les ménages contribuent pour « 60 % au financement de l’éducation et l’Etat pour le reste ». Ces quelques exemples montrent combien il est nécessaire que les étudiants sénégalais comprennent qu’ils doivent participer au financement de leurs études afin de bénéficier d’un enseignement de qualité.
Daouda MANE
La qualité de l’enseignement en ligne de mire
Le relèvement des frais d’inscription devrait, entre autres, favoriser une formation adéquate.
Le système Lmd dans lequel a basculé toutes nos universités (publique comme privée) impose, entre autres, la mobilité des enseignants et des étudiants, le renouvellement du matériel pédagogique quasiment inexistant, le renforcement de la politique de perfectionnement pédagogique pour les enseignants, la valorisation de la recherche. Toutes choses que le relèvement des frais d’inscription doit favoriser. Car, expliquait le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Pr Mary Teuw Niane, sur les 25.000 FCfa (montant en deçà des 50.000 FCfa que l’Uemoa exige depuis une dizaine d’années aux pays membres (cf. Sud Quotidien du 23 décembre 2013), seuls les 10.000 FCfa constituent les frais proprement dits, les 15.000 autres vont dans le pédagogique.
Paradoxalement, des Sénégalais s’émeuvent de l’augmentation de ces frais à un tel montant. Pourtant, certains d’entre eux ont des enfants dans le privé, soit ici au Sénégal, soit à l’extérieur. Ils déboursent mensuellement de fortes sommes, parce qu’estimant qu’avec un tel sacrifice, leurs enfants auront droit à une éducation de qualité. Alors, a-t-on le droit de refuser à d’autres fils du pays les mêmes avantages ? A moins qu’on veuille les maintenir dans la médiocrité pour que l’ordre déjà connu soit toujours maintenu, c’est-à-dire que ceux qui ont les moyens continuent de gouverner les moins nantis. Nous osons espérer que tout le peuple a compris que nous ne sommes plus à cette époque au Sénégal. En plus, quel est l’étudiant, au Sénégal, qui ne bénéficie pas d’une allocation ?
Personne n’ignore que le budget alloué aux universités publiques est insuffisant. L’Etat, leur principal bailleur, est, en réalité, écartelé entre plusieurs priorités : agriculture, élevage, santé, social, etc. L’on me dira que l’université étant publique, l’Etat a l’obligation de lui donner les moyens. Certes ! Mais au sein de l’université, dans les facultés, écoles et instituts, pourtant publics, les fonctions de services (privés) s’y développent, parfois en défaveur du public. Celles-ci sont une très bonne initiative, parce que permettant aux structures d’avoir des ressources additionnelles.
A condition qu’elles bénéficient le plus au pédagogique. La manne financière générée par les fonctions de services, celle de la coopération, des frais d’inscription, la subvention de l’Etat et les ressources additionnelles obtenues dans le cadre du Contrat de performance (Cdp) devront permettre à nos universités, confrontées à l’insuffisance de moyens surtout financiers du fait de la massification, de disposer de moyens conséquents, et donc de faire face aux principaux défis.
D. MANE
L’université asphyxiée par le social
Le montant alloué au social est énorme dans les universités sénégalaises. Sans réforme audacieuse, le social risque de plomber l’efficience et l’efficacité du système.
D’après les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur, en 2013, 39.631.797.000 FCfa ont été consacrés aux allocations d’études sur le plan national, auxquels s’ajoutent les 7.506.305.000 FCfa pour celles à l’étranger, soit un montant global de 47.138.002.000 FCfa. Le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), qui s’occupe aussi du social, a bénéficié d’un montant de 17.473.000.000 de FCfa, celui de l’Ugb de Saint-Louis (Crous), 4.430.915.000 FCfa. Pendant ce temps, le montant alloué à l’Ucad et établissements rattachés (salaires des enseignants, Pats et pédagogie) est de 24.845.575.000 FCfa et l’Ugb a bénéficié de 6.081.391.000 de FCfa. Les montants alloués aux autres universités sont respectivement de 2.875.000.000 de FCfa pour Ziguinchor, 3.478.929.000 FCfa pour Thiès, 2.200.000.000 de FCfa pour Bambey et 1.150.000.000 de FCfa pour l’Ecole polytechnique de Thiès.
En 2010, le diagnostic fait par la Banque mondiale est sans équivoque. Atou Seck de cette institution financière a affirmé que le Sénégal, qui dépensait, à cette époque, 990.000 FCfa/an/étudiant, soit le plus élevé de l’Afrique subsaharienne, faisait plus du social. Il consacrait 18 milliards de FCfa aux bourses et aides sur le plan national, et 8 milliards pour l’étranger, soit 26 milliards. Seuls 15 % des ressources de l’enseignement supérieur sont générés sur fonds propres, 38 % du budget servaient à payer les bourses, 30 % les salaires des enseignants et Pats et seulement 22 % dépensés dans les activités pédagogiques. Pendant ce temps, le taux de réussite était extrêmement faible : – 30 % au 1er cycle. Son collègue, Jamil Salmi, marocain et expert de la Banque mondiale, affirme qu’au Sénégal, « il n’y a pas un ministère de l’Enseignement supérieur, mais des œuvres sociales, puisque presque 70 % des ressources servent à payer les bourses et à faire du social ».
Au moment où Habib Fétini, directeur des opérations de la même structure, insistait sur la nécessité d’opérer une rupture, un changement de paradigme. Cela est plus qu’un impératif. Car si l’enseignement supérieur fait face à plusieurs défis, les plus notoires restent le manque de ressources financières et l’utilisation judicieuse des ressources allouées.
D. MANE
SEYDI ABABACAR NDIAYE, SECRETAIRE GENERAL DU SAES : « Il faut nécessairement un dialogue pour mettre un terme à la violence »
Ce n’est qu’à travers le dialogue et la concertation que l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) arrivera à sortir de ce cycle de violences, estime le secrétaire général du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes), Seydi Ababacar Ndiaye. C’est dans ce sens qu’il prône la mise en place d’un comité de crise qui mobilisera l’ensemble des acteurs du secteur de l’enseignement supérieur. A travers ce comité, dit-il, les anciens de l’Ucad auront leur partition à jouer dans l’apaisement de la crise. « Ce n’est pas par la force qu’on arrivera à mettre un terme à la violence. Nous avons toujours fait part de notre opposition au stationnement des forces de sécurité dans l’espace universitaire », soutient M. Ndiaye.
Selon lui, le Saes a toujours déploré la violence, sous quelque forme que ce soit, et son organisation, avance-t-il, a été la seule entité qui a osé, depuis 2001, condamner les violences perpétrées par les étudiants en toute responsabilité. « La position du Saes n’a jamais varié. A notre niveau, nous avons diagnostiqué le mal. Nous avons été les premiers à fustiger l’implantation de certaines organisations religieuses dans l’espace universitaire et qui pourraient aboutir à des confrontations », rappelle-t-il.
Cependant, le secrétaire général du Saes approuve les manifestations des étudiants. A l’en croire, « c’est un droit qu’ils manifestent leur désaccord au sein de l’espace universitaire ». Par ailleurs, Seydi Ababacar Ndiaye dénonce, au nom du syndicat, les agressions des forces de l’ordre sur les étudiants. Il estime que ces derniers n’ont pas été écoutés lors de la mise en œuvre de la réforme émanant de la Concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur (Cnaes).
Ibrahima BA
PR OUMAR SOCK, DIRECTEUR GENERAL DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR : « La mise en place de la police universitaire permettra de mettre fin à la violence »
La mise en place de la police universitaire pour mettre fin à la violence dans les universités avance à grands pas. C’est ce que soutient, dans cet entretien, le Pr. Oumar Sock, directeur général de l’enseignement supérieur.
L’espace universitaire est, depuis quelques mois, le théâtre de violences inouïes. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Nous avons constaté, dans nos universités, comme dans celles de la sous-région, des manifestations de violence. Ces manifestations se sont déroulées à l’occasion de telle ou telle crise. L’université ne rime pas avec la violence. La violence est à bannir totalement de l’espace universitaire. C’est pourquoi, le gouvernement a clairement pris position par rapport à ce phénomène en disant que la violence est inacceptable à l’université. Maintenant, les franchises et libertés universitaires prévoient la mise en place de police universitaire pour maintenir l’ordre, assurer la protection des personnes et des biens puisque l’université, de par ses principes, bénéficie de l’autonomie de police administrative. Avec les étudiants, nous nous sommes accordés sur la mise en place de cette police universitaire.
A quand sa mise en place ?
Cela ne saurait tarder. Le gouvernement a tenu un conseil interministériel, sous la houlette du Premier ministre Aminata Touré, pour évoquer des questions de sécurité au sein des universités. Sous peu, les modalités de mise en place de cette police universitaire seront définies et précisées. C’est ce que nous avons retenu.
Avez-vous cerné les causes de ces violences dans les universités ?
Récemment, au sein de l’Ucad, des étudiants sont venus interdire l’accès aux services de scolarité pour le retrait des fiches d’inscription. Par la suite, il y a eu des heurts, des échauffourées et le saccage du rectorat. Ce qui est inadmissible. Toutes les dispositions seront prises pour assurer la sécurité des personnes et des biens au sein de l’espace universitaire.
A part la mise en place de la police universitaire, avez-vous prévu d’autres mesures pour mettre fin aux violences ?
Il y a d’abord la sensibilisation. A chacune de nos rencontres, nous revenons sur la violence et sur les conséquences fâcheuses auxquelles elle conduit. On vient de parler de l’étudiant (Ibrahima Diouf) qui a perdu l’usage de son œil gauche. Dans le passé, il y a eu mort d’homme. Ce sont des choses qu’il faut bannir totalement et trouver des solutions en ne faisant pas appel à la violence. L’université ne peut pas aller avec la violence. C’est un champ où doivent s’exprimer les opinions. C’est un espace de débats et non de combats. Toutes les dispositions seront prises pour mettre fin aux violences avec la police universitaire et la sensibilisation. Au besoin quand la situation l’exige, l’appel aux forces de l’ordre.
Propos recueillis par Aliou KANDE
ALPHA SOW, COORDONNATEUR DU COLLECTIF DES ETUDIANTS DE L’UCAD : « La violence est liée au sentiment de désolation qui anime les étudiants »
Le coordonnateur du Collectif des étudiants de l’Ucad, Alpha Sow, soutient que la violence qui sévit, ces derniers temps, dans le temple du savoir est la résultante d’un sentiment de désolation qui anime les étudiants.
Il y a une recrudescence de la violence à l’Ucad. Que se passe-t-il véritablement ?
Je pense que dans cette violence, il y a une part de responsabilité des étudiants et des autorités. Elle est liée à un sentiment de désolation qui anime les étudiants qui ont, à de nombreuses reprises, sollicité l’opinion nationale et internationale, ainsi que les autorités de l’enseignement et de la recherche, afin que soit revue la réforme que ledit ministère est en train de nous imposer. Au chapitre de ces points, figurent l’augmentation faramineuse des frais d’inscription, la suppression de la généralisation des bourses et l’implantation d’une police universitaire. Nos revendications se portent exclusivement sur ces trois points.
Nous avons mis en place la Coordination des étudiants du Sénégal, laquelle a rédigé un projet de mémorandum qu’il a soumis au président de la République avec des propositions. Ces dernières vont dans le sens de poser un pas vers le dialogue. Nous proposons ainsi de payer 15.000 FCfa pour le premier cycle, 30.000 FCfa pour le second cycle et 60.000 FCfa pour le troisième cycle. Ces montants paraissent même difficiles pour nous. De tous les temps, les étudiants n’ont jamais eu la maturité de faire ce genre de propositions à l’autorité, parce que nous savons que la crise et les confrontations ne nous arrangent pas. Car cela aboutit, la plupart du temps, à des incarcérations d’étudiants et des cas de blessés.
Est-ce à dire que les frais d’inscription ne sont pas à la portée des étudiants…
Nous pensons que les propositions de frais d’inscription faites par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ne sont pas à la portée des étudiants. Nous estimons qu’il devait tenir compte de toutes les franges de l’université. En tant que représentants des étudiants, nous ne pouvons pas admettre que ces propositions passent. D’où tout le sens des contre-propositions que nous avons faites et que nous trouvons raisonnables et assez pertinentes. Seulement, nous déplorons le fait que l’autorité reste sourde et muette. Si les étudiants prônent le dialogue, les autorités doivent les aider à aller dans ce sens. Elles ne peuvent pas passer ces réformes en nous imposant les éléments du Groupement mobile d’intervention (Gmi). Les forces de l’ordre sont maintenant sur place tout le temps, ils cohabitent avec nous et, à la moindre occasion, ils nous tombent dessus. C’est déjà une violation des textes sur les franchises universitaires. Un de nos camarades vient de perdre son œil gauche en recevant une balle à blanc à bout portant. Le problème ne sera pas résolu de cette façon ; au contraire, cela ne fera que perpétuer la violence. Nous appelons les autorités à revenir à de meilleurs sentiments. Nous sommes soucieux de notre avenir, et voulons tous réussir.
A vous entendre, on a l’impression que vous déplorez le manque de concertation ?
C’est plutôt un manque de communication et de respect à notre endroit. On ne nous écoutait pas à chaque fois qu’on nous convoquait dans ces concertations. Nos suggestions n’ont jamais été prises en compte. Les autorités doivent prendre en considération nos recommandations, nous qui sommes sur le terrain, pour que cette crise prenne fin afin que nous puissions reprendre les cours.
Pourquoi vouloir toujours user de la violence pour se faire entendre ? N’y a-t-il pas lieu d’adopter une autre démarche ?
Cette année, tout le monde s’est rendu compte que, par rapport aux revendications, les étudiants ont changé de démarche. Cette violence constatée ces derniers jours est récente. Depuis le mois d’août, nous avons opté pour des démarches pacifiques, en allant vers les autorités. Nous avons demandé à rencontrer le président de la République, le Premier ministre. Aussi, nous avons sollicité le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ainsi que l’ensemble des acteurs politiques et des droits humains. Cela montre que, cette année, les étudiants ont eu la maturité de ne pas descendre dans la rue pour faire des casses. S’il y a violence, c’est donc la faute des gens qui nous imposent les forces de l’ordre et qui recrutent des nervis pour qu’ils nous tabassent. Nous avons organisé des marches pacifiques et avons fait des sit-in pour tout simplement éviter la violence.
Jusqu’où êtes-vous prêts à aller si vos revendications ne sont pas satisfaites ?
Nous avons le droit de revendiquer si on nous impose des choses qui vont à l’encontre de nos intérêts. S’il faut cinq années blanches pour que ces réformes ne passent pas, nous sommes prêts à assumer les responsabilités. Nous n’allons pas aussi admettre que ceux qui étaient derrière cette réforme posent leurs pieds à l’université tant que ces problèmes ne seront pas résolus.
Propos recueillis par Ibrahima BA
lesoleil.sn