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VERITE SUR LES ACTIVITES DE LA SUNEOR AU SENEGAL Entre les engagements et la réalité

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La Suneor a gagné, tous frais déduits, la manne financière de 64 milliards F CFA pour l’ensemble de ses activités au Sénégal. Pendant ce temps les agriculteurs et producteurs du pays trinquent.
Et si Abbas Jaber, l’acquéreur officiel de la Sonacos n’était en définitive, qu’un porteur de parts pour des personnes placées au plus haut sommet de l’Etat du Sénégal. L’histoire dira ce qu’il en est réellement. La question reste posée. Elle ne manque pas de sens, tant le comportement de l’homme avec les producteurs d’arachide sénégalais et ses agissements à la tête de cette unité agro-industrielle, mais surtout le soutien qui lui est assuré par les autorités publiques, en dépit de la faillite de la privatisation, défient toute logique de développement et de consolidation du secteur. La filière arachidière souffre énormément depuis la privatisation de la Sonacos.

Aujourd’hui, certains experts n’hésitent pas à prédire la mort certaine de l’ensemble d’un secteur agro-industriel. En prenant possession de la Sonacos, devenue Suneor, M. Abbas Jaber s’engageait dans le dossier technique accompagnant son offre pour le rachat de l’unité agro-industrielle à respecter un certain nombre d’obligations découlant d’un constat clairement établi par le repreneur lui-même : « La filière arachidière au Sénégal a connu dans un passé récent, des perturbations consécutives à la libéralisation entamée par l’Etat et qui se sont traduites par un déficit du capital semencier, une baisse de la production d’arachide ainsi qu’une désorganisation du circuit de la commercialisation primaire dont la principale illustration reste le problème des bons impayés aux producteurs. Il s’en est suivi une précarisation du revenu du paysan qui, si elle n’est pas endiguée, risque de compromettre la pérennité de la filière. » Le constat précisait également que : « Dès lors toute politique mise en œuvre devra inéluctablement apporter des solutions idoines aux dysfonctionnements observés et inclure les axes suivants : le respect des principes de libéralisation de la filière ; la responsabilisation des acteurs ; la reconstitution et l’amélioration de la qualité des semences et des productions ; l’amélioration des conditions de stockage ; la sécurisation des revenus des producteurs d’arachide ; la moralisation des circuits de commercialisation ; la compétitivité de la filière par rapport au marché international. » Six ans après la privatisation le bilan, au terme de la campagne 2010-2011, est simplement désastreux. On s’en rend bien compte, dès lors que l’on met ce bilan en relation avec les résultats enregistrés sur les différents points ci-haut cités et qui sont contenus dans l’offre technique de Jaber.

Une désorganisation rentable

Prenons le cas de ce que l’offre technique présentait comme étant une désorganisation du circuit de la commercialisation primaire dont la principale illustration reste le problème des bons impayés aux producteurs. Quand la filière agro-industrielle fonctionnait normalement pendant les années 90, avec deux entités distinctes mais intégrées : la Sonacos et la Sonagraines, les paysans sénégalais n’ont jamais vécu les affres des bons impayés. Après la réforme engagée en 1989, le secteur a été en effet organisé autour d’une unité industrielle de profit : la Sonacos et d’une unité d’encadrement et de développement : la Sonagraines. Le système mis en place a été très efficace. Il a fonctionné jusqu’en 2000 et a valu de très grandes satisfactions. L’unité industrielle de profit, la Sonacos contractait chaque année auprès du système bancaire national un crédit de campagne reposant sur un mécanisme de financement mettant à contribution à la fois la Banque centrale, les banques commerciales et la société de profit elle-même. La banque centrale (pour (80%) et les banques commerciales (pour (10%), prenaient en charge 90% du crédit de campagne, alors que la Sonacos devait fournir sur fonds propres 10% de ce crédit. Le système était très efficace, car il permettait une commercialisation primaire assurée de l’arachide. Il mettait ainsi le paysan à l’abri des déconvenues qui sont aujourd’hui son lot quotidien. Depuis l’arrivée des libéraux en 2000, ils ont plongé la filière dans un affairisme de très mauvais aloi qui a d’abord littéralement cassé le crédit de campagne dans sa forme originelle qui résulte de la réforme de 1989. Au cours de la campagne 1999-2000, le montant total du crédit de campagne a été estimé à 70 milliards de FCfa. Cette masse d’argent a été injectée en intégralité dans la filière arachidière et dans l’ensemble des secteurs connexes qui ont toujours vécu économiquement du fait de l’effet multiplicateur du produit arachidier.

Dans la conception des socialistes qui ont perdu le pouvoir en 2000, l’arachide a toujours été considérée depuis 1960 comme un produit phare de production de richesses, de redistribution et de promotion du développement du monde rural. L’arachide n’a jamais été conçue comme un produit économique ordinaire soumis aux strictes et vulgaires lois du marché. C’est la raison pour laquelle tout un système soumis à une dynamique économique d’ensemble intégrée a toujours été bâti autour de ce produit. C’est l’ensemble de ce système qui a été cassé sans que rien ne vienne le remplacer, dans la perspective de faire de la filière, le fer de lance du développement du monde rural. Ainsi, après la vente à l’encan de la Sonacos au profit du sieur Abbas Jaber, le système qui a été déjà sérieusement ébranlé dès l’arrivée au pouvoir des Libéraux, a été presque totalement cassé. A la place du crédit de campagne structuré et soumis au strict contrôle des banques locales et de la banque centrale, les spéculateurs qui ont pris possession de la filière ont privilégié les banques étrangères et les produits financiers expatriés, avec l’idée de minimiser au maximum les frais financiers attachés à l’utilisation de tels produits. Ainsi, un crédit global de 7 milliards a été obtenu pour la campagne 2010-2011. Cette somme représente le dixième des sommes (70 milliards) qui ont été injectées en 2000 dans la filière, pour l’achat de 500 mille tonnes de graines d’arachides, contre 300 mille (7 milliards) en 2011. Cette somme d’argent a tourné entre les différents centres de collecte, pour assurer l’achat des graines disponibles auprès de l’ensemble des producteurs du Sénégal. Ainsi, à tour de rôle, on a assuré les financements des centres de collecte du pays. Il n’est pas étonnant que face à de telles conditions économiques, des graines soient restées en rade ou que certaines qui ont été collectées n’aient pas été immédiatement acquittées. Ce système appauvrit certes les paysans, mais il permet au repreneur de la Sonacos de maximiser ses profits, en jouant de façon spéculative et artificielle sur ses coûts de production. Le gouvernement laisse faire, car ce repreneur a partie liée avec les plus hautes autorités de l’Etat qui poussent parfois des cris d’orfraie pour tenter de masquer leurs complicités coupables avec le spéculateur. Il en a été ainsi quand en Conseil des ministres (14 mai 2011) le Chef de l’Etat a menacé de représailles la Suneor qui avait failli, disait-il, à ses obligations à l’égard des producteurs sénégalais.

La sécurisation des revenus des producteurs d’arachide

Cet engagement de la Suneor contenu dans l’offre technique qu’elle a présentée en répondant à l’appel d’offres du gouvernement sénégalais n’a pas été, loin s’en faut, respecté. On peut même dire sur ce plan que le repreneur nargue totalement les Sénégalais. Le prix qui a été payé au producteur est une insulte faite à tout un peuple, au regard des cours mondiaux de l’arachide durant la campagne écoulée. La Gazette a obtenu copie de ces cours, tels qu’ils ont été arrêtés et l’application sur les marchés de Rotterdam et de Londres, au cours du premier semestre de l’année 2011. Ainsi, on peut noter qu’entre janvier et juin, le prix moyen a été de 1754, 17 dollars la tonne, au taux de change de 468 FCfa, le dollar. Quand la Suneor a vendu une tonne sur ce marché, en tenant compte de l’ensemble de ses frais de production (frais de collecte primaire, frais de trituration, frais d’assurance, frais de fret et autres), elle gagne au moins plus de 1500 FCfa par litre d’huile vendue (il faut 3kg d’arachide en coque pour avoir un litre). Sans compter les gains rapportés par les tourteaux produits avec les graines qui ont produit le litre d’huile commercialisé sur le marché international. Quand on additionne l’ensemble de ces gains, les experts avec qui nous avons fait l’analyse du tableau des prévisions de vente à l’étranger de l’huile de la Suneor pour 2011, estiment que la société privatisée aurait pu acheter au producteur sénégalais le kg d’arachide à au moins 224 FCfa, plutôt que 160 FCfa. Ainsi, ces mêmes experts expliquent que les estimations de gain de la société sur la filière sur la seule vente de l’huile d’arachide sur le marché international sont de l’ordre de 24 milliards de francs CFA. Seulement, des sources internes à la société, au regard des coûts de production et de l’ensemble des frais officiels non réels présentés au gouvernement sur la base de ses engagements contractuels avec l’Etat, font ressortir des pertes imaginaires qui obligent les autorités étatiques à lui verser une subvention de compensation. Le coût de cette subvention attendue est évalué à 7 milliards de FCfa qui viennent s’ajouter au 24 milliards engrangés sur la vente du produit.

Quand les paysans sénégalais trinquent, Abbas Jaber et ses amis font la bamboula avec les milliards qu’ils gagnent et se redistribuent en dividendes et autres avantages. Pourtant, dans l’offre présentée à l’Etat du Sénégal, le repreneur indiquait clairement que « pour rendre le prix de campagne attractif et acceptable par les différentes parties à l’accord, les conditions suivantes devraient être satisfaites : le prix doit être fixé suffisamment tôt pour permettre aux producteurs de décider de leurs programmes de crédit et de cultures ; le prix doit être déterminé sur la base d’une information aussi complète que possible sur les volumes de production, de collecte, sur les contraintes du marché intérieur (concurrence, protection du marché, etc.), ceux du marché international et des coûts et rendements de la filière. » Aussi, pour tenir compte de ces exigences de fixation de prix qui renvoient à des périodes différentes, indiquait le repreneur, le système pourrait fonctionner de la manière suivante : « compte tenu de la nécessité pour les producteurs de disposer d’informations économiques susceptibles de leur permettre d’engager des programmes de crédit et de cultures en mars/ avril, donc avant les semis, les organisations des producteurs et de l’usine arrêteront un prix plancher provisoire (prix de sauvegarde de la filière). Ce prix pourrait être égal au coût de production d’un Kg d’arachide. » Le repreneur ajoutait une indication majeure : « En octobre/ novembre, il sera procédé à la fixation définitive du prix de l’arachide de la campagne en tenant compte du niveau de la production, des prévisions de la collecte fournies par les producteurs et du niveau des cours sur le marché international. » Six ans après la privatisation de la Sonacos rien de tout cela n’est une réalité.

Au contraire, tout indique que les choses vont dans le sens opposé, en violation de tous les engagements souscrits et acceptés par les deux parties : l’Etat du Sénégal et le groupe Advens. Le repreneur faisait valoir l’idée que le système fonctionnera correctement tant que le niveau des cours sur le marché international permettra le maintien ou l’ajustement à la hausse du prix minimum (redistribution des gains de productivité). Depuis son installation aux commandes de la Suneor jamais Abbas Jaber et ses amis n’ont procédé à la redistribution de gains de productivité, même quand les cours mondiaux, comme pendant la campagne 2011 ont été très favorables. Ils ont toujours au contraire fait valoir cette contrepartie imposée à l’Etat se présentant ainsi qu’il suit : « En cas de retournement de situation, les pouvoirs publics devront doter la filière d’un dispositif conjoncturel de sauvegarde ou de protection contre les effets destructeurs que pourrait avoir sur les producteurs : un effondrement des cours des huiles sur le marché intérieur tel que le prix minimum ne pourrait être garanti ; les industriels : des importations d’huiles à des prix normalement bas sur le marché intérieur. » Ce dispositif pourrait prendre la forme directe de subvention conjoncturelle aux producteurs ou la forme d’un système de protection tarifaire pour le raffineur. C’est ce fameux dispositif qui permet à la Suneor de réclamer 7 milliards de FCfa de subvention à l’Etat, alors même que les cours mondiaux de l’huile d’arachide sont très favorables et rapportent beaucoup à l’industriel.

64 milliards de gain

Comme on peut le constater les consommateurs sénégalais ne consomment pas l’huile d’arachide raffinée par la Suneor. Cette huile est trop chère pour eux, elle est alors presque totalement exportée. En retour, la Suneor, comme le faisait la Sonacos, importe de l’huile végétale brute qui est raffinée sur place et mise sur le marché intérieur. Ce système a été mis en place pour assurer cette régulation nécessaire sur le marché intérieur. Il devait permettre de dégager des profits importants pour le compte de l’industriel mais l’Etat a mis en place un dispositif qui permet une forme d’allocation de ressources destinée à protéger les producteurs sénégalais. Pour l’année 2011, la Suneor a importé un total estimé à 105 mille tonnes d’huile brute raffinée dans ses usines. Cela représente plus de 80% de l’ensemble des 150 mille tonnes d’huile importées annuellement. Ce qui fait pour elle un gain total de 3O milliards FCFA. En récapitulatif, la Suneor a gagné officiellement pour l’ensemble des activités menées au Sénégal (importation et exportation d’huile) la bagatelle de 64 milliards de FCfa, après tous frais déduits. Si l’arachide n’est plus rentable pour le paysan sénégalais et pour l’Etat qui se saigne pour subventionner le repreneur, on ne peut en dire autant pour Abbas Jaber et pour ses amis qui ont trouvé la manne du siècle dans cette affaire. Pourtant en 2010 déjà, la Suneor qui gagne énormément d’argent sur la filière d’importation d’huile végétale, semblait pourtant vouloir changer les règles du jeu en lançant une sérieuse alerte en destination des autorités. Cette alerte tendait à faire croire que l’importation d’huile végétale brute qui devait être raffinée avant sa mise en vente locale n’était plus rentable : le coût de l’huile soja raffinée hors taxe avait été estimé à 431 FCfa, alors que le coût de cette huile importée raffinée était de 376 FCfa. C’est à la limite si la Suneor ne demandait pas à l’Etat de l’aider à démanteler son unité industrielle, en l’autorisant à se cantonner à des activités marchandes et de commercialisation uniquement d’huile.

Abdou Latif COULIBALY

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