La scène a de quoi faire frissonner : un calamar géant, mesurant près de 50 mètres de la tête jusqu’aux tentacules, est échoué sur une plage de la baie de Santa Monica, en Californie (Etats-Unis). Des dizaines de badauds observent la scène, derrière un cordon de sécurité.
Cette créature est la seconde en quelques mois à arriver de la sorte sur nos côtes, explique le site Lightly Braised Turnip, dans un article « aimé » plus de 1,2 million de fois sur Facebook et largement partagé sur les réseaux sociaux. En cause : la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, au Japon, d’où viendraient les deux mollusques. « Les monstres de la nature de Fukushima ! « , lâche une internaute sur Twitter. Alors, la catastrophe de 2011 a-t-elle provoqué des « mutations génétiques »chez les espèces marines, comme l’assure l’article, entraînant leur croissance incontrôlée – « le gigantisme radioactif » ?
Cette photo de calamar est en réalité un simple photomontage. Le cliché d’origine montre un céphalopode décapode certes géant, mais de taille bien plus réduite : 9 mètres de long, pour un poids de 140 kg. Il a été découvert le 1er octobre dernier, échoué sur une plage de la communauté autonome de Cantabrie, dans le nord de l’Espagne, comme le relate le site Livescience. La photo a été prise par Enrique Talledo, photographe sous-marin espagnol, qui s’indigne du détournement sur sa page Facebook.
Le site californien Lightly Braised Turnip paraît coutumier du fait : il s’agit d’un site de fausses nouvelles satiriques, à l’image de son compatriote The Onion ou du Gorafien France. Ainsi, les scientifiques cités par l’article n’existent pas : point de professeur de biologie Martin L. Grimm, soi-disant « expert du gigantisme radioactif » à l’université de Santa Marino, qui estime que ces créatures géantes « pourraient approvisionner des villes en énergie nucléaire ». Ni de Bruce Kenner, biologiste marin à l’université de Californie à San Diego, qui prévient que « les mâchoires géantes pourraient faire la taille d’un gratte-ciel de Manhattan ».
Si cette information est totalement un canular, il n’en reste pas moins que la contamination radioactive se poursuit bel et bien autour de la centrale de Fukushima. Il y a les radioéléments rejetés au moment de la catastrophe, le 11 mars 2011, dont certains persistent encore, en premier lieu le césium 137 (sa demi-vie est de 30 ans). Mais surtout, il y a le problème de la gestion des eaux contaminées.
Chaque jour, plusieurs centaines de tonnes d’eau sont injectées pour refroidir les réacteurs, où elles se chargent en radioéléments avant de ruisseler dans les sous-sols et les galeries, dans lesquelles remonte aussi la nappe phréatique – ce qui entraîne des pollutions. Une partie de ces eaux est traitée et réinjectée dans le circuit de refroidissement tandis que l’autre est stockée dans un millier de réservoirs, construits à la hâte et fuyant régulièrement. Conséquence : 300 tonnes d’eau contaminée (avec notamment du césium, strontium et tritium) finissent à la mer chaque jour depuis la nappe phréatique, comme nous l’avions expliqué dans cette vidéo :
>> Lire notre reportage : Voyage au cœur de la centrale de Fukushima
« Les niveaux de radioactivité mesurés dans un rayon de 10 à 20 km de la centrale restent faibles – de l’ordre de 0,001 becquerel par kilo – en ce qui concerne la colonne d’eau, renouvelée par les courants marins, détaille Jean-Christophe Gariel, directeur de l’environnement à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Par contre, la radioactivité reste concentrée dans les sédiments déposés au fond de la mer qui, eux, sont contaminés à des niveaux élevés : entre 600 et 1 000 Bq/kg. »
Conséquence pour la faune marine (et donc la pêche) : les poissons benthiques (poissons de fond), comme les raies, flétans, grondins ou congres, qui vivent en relation avec les sédiments, sont contaminés et dépassent plus fréquemment la norme de commercialisation de 100 Bq/kg. Au contraire, les espèces pélagiques, maquereaux, sardines chinchards, qui vivent dans la colonne d’eau, s’avèrent peu touchées.
Quant à d’éventuelles mutations génétiques liées à la radioactivité, rien n’a pour l’instant été observé, ajoute l’expert : « De très forts niveaux de doses pourraient entraîner une altération génétique et par exemple des effets sur la reproduction. Mais rien n’a été mis en évidence. Surtout pas sur les calamars, qui vivent à de très grandes profondeurs – supérieures à 500 mètres, soit bien plus que les fonds autour de Fukushima – que la radioactivité n’a pas encore atteintes. »
Audrey Garric