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Vie de bureau à l’Elysée: « Avec Hollande, sans diplôme, tu n’existes pas »

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Il est 22 heures 30 à l’Elysée, ce mardi, veille de visite présidentielle à la Commission européenne et avant-veille de la deuxième conférence de presse du quinquennat. Les huissiers veillent dans un palais désert. Un seul bureau demeure allumé : celui de François Hollande. Le chef de l’Etat est resté le dernier à travailler, dans une étrange solitude. Curieuse aussi, dans l’antre présidentiel, cette absence d’objets intimes, comme si le chef de l’Etat était de passage : hormis une ou deux photos, une DS miniature, copie de celle du général de Gaulle, offerte par un fan et posée sur la cheminée comme un grigri. « Je n’ai pas personnalisé mon bureau, je l’ai bordelisé », sourit François Hollande devant les paquets de feuilles qui ensevelissent, sur sa table de travail, les journaux du jour.
La porte de ce bureau présidentiel, il l’a longuement observée, il y a un peu plus de trente ans, lorsque, fraîchement sorti de l’ENA, il avait débarqué pour travailler sous les combles élyséens. De ce passé, l’ex-conseiller officieux a gardé un goût pour les très jeunes énarques semblables à celui qu’il était alors, ainsi qu’une des quatre secrétaires de l’époque, Bernadette. De l’antichambre, le jeune Hollande avait suivi les ballets de courtisans, les jeux de chausse-trappes, toutes ces personnalités qui prenaient la lumière et parlaient à la place de Mitterrand. Lorsqu’il y est revenu en chef de l’Etat, il a donné consigne au secrétaire général de l’Elysée, Pierre-René Lemas, de construire un cabinet moins flamboyant mais plus soudé. « Tu me demandes de faire une équipe ou de recruter des collaborateurs ? » Réponse de Hollande : « Fais une équipe. »

La veille de cette soirée de travail, la majorité de ses 41 conseillers et leurs conjoints se sont retrouvés à l’Elysée pour assister au spectacle de leur propre effacement. L’Elysée avait organisé, dans la salle des fêtes, une projection du film de Patrick Rotman, l’éditeur de François Hollande, et de Pierre Favier, qui, à l’AFP, fut le chroniqueur attitré des deux septennats de Mitterrand : Le Pouvoir, vision statique et dépolitisée des huit premiers mois de la présidence socialiste sous les ors et les lustres, rendus plus étincelants encore par la rénovation engagée au temps de Nicolas Sarkozy… « C’est drôle, les auteurs du film restent fascinés par les ballets des voitures qui font crisser les graviers dans la cour de l’Elysée », s’est amusé François Hollande, pas mécontent au fond d’un film où il semble « tout faire » à l’Elysée. Dans les seconds rôles, ses collaborateurs ont compris que leurs costumes sombres et leurs mots de technocrates engluaient d’ennui le grand écran. « Nous avons l’air de petits conseillers totalement effacés », soupire l’un d’eux.

« ON N’A PAS FAIT L’EFFORT D’ATTIRER LES CINQ OU SIX PERSONNALITÉS BRILLANTES »

Qu’importe si elle vient s’ajouter à un gouvernement pauvre en figures politiques : cette discrétion inédite, sous la Ve, de l’équipe présidentielle, a été théorisée par le chef de l’Etat. « Eh oui, nous sommes gris, reconnaît Pierre-René Lemas. Je ne fais pas Villepin, je ne fais pas Guéant. Je fais Bianco, c’est un choix », assume-t-il. La volonté forcenée de l’exécutif de ne pas ressembler au « super-président » Sarkozy et au « collaborateur » Fillon passe par ce casting un peu terne. « Mignon, Ouart, Benhamou, Charron, Guaino, Guéant… Certains étaient des voyous, mais quelles personnalités ! » ose, provocateur, un mitterrandiste historique. « L’équipe choisie par François est réglo, bosseuse, d’un accueil parfait et d’un dévouement total », défend un intime du président. Mais il concède : « C’est vrai qu’il manque quelque chose. Dans Fort Alamo, il y a les hommes de Travis mais aussi les trappeurs volontaires de Davy Crockett. C’est le mélange des deux qui crée l’héroïsme. »

Jamais l’Elysée n’a compté aussi peu de politiques dans une armée de « technos ». Leur quotidien ? La vie de bureau. Des notes, des fiches, des réunions et même, depuis peu, un pot organisé par le débonnaire préfet et chef de cabinet, Pierre Besnard, tous les vendredi soirs. Des têtes bien faites et bien pleines : « Avec Hollande, sans diplôme, tu n’existes pas », rappelle un proche. De jeunes gens « prêts à bosser nuit et jour dans un cagibi sans lumière, mais que connaissent-ils à la vie ? », cingle un intime. Un seul est passé par le privé : le secrétaire général adjoint Emmanuel Macron, un ancien banquier que Jacques Attali avait recruté dans sa commission pour la croissance nommée sous le quinquennat précédent et présenté à son ami Hollande.

Fini les saltimbanques de François Mitterrand, les communicants hauts en couleur toujours en cour sous Jacques Chirac. Fini aussi les portes qui claquent comme sous Nicolas Sarkozy. Qui a su que, entre Noël et le Jour de l’an, le secrétaire général de l’Elysée a failli démissionner après l’accord, trop rapide à son goût, conclu entre le gouvernement et Arcelor Mittal sur le site lorrain de Florange ? Au sein du cabinet, aucune de ces haines éclatantes, de ces rivalités spectaculaires qui ont ponctué les présidences précédentes. Védrine contre Lauvergeon, Villepin malmenant les vieux chiraquiens, le gaulliste social Guaino versus le maurrassien Patrick Buisson… Le problème, c’est peut-être précisément qu’ils se ressemblent trop.

« On n’a pas fait l’effort d’attirer les cinq ou six personnalités brillantes, comme l’était, par exemple, le directeur de cabinet de Strauss-Kahn, François Villeroy de Galhau, et qui auraient structuré les équipes », regrette un conseiller. A la place, on retrouve à l’Elysée le club des anciens de la « promo Voltaire » de l’ENA – Hollande lui-même, Lemas, la directrice de cabinet Sylvie Hubac, et, par alliances, la responsable de la communication, Claudine Ripert, copine de Sciences Po du président. On trouve les amis de la mairie de Paris, comme David Kessler, Nicolas Revel ou Paul Bernard, « plume » piquée à Bertrand Delanoë. On trouve même des conseillers qui, endogamie suprême, ont pour conjoints qui la directrice de cabinet d’Aurélie Filippetti, qui la directrice de cabinet de Christiane Taubira, qui le conseiller presse de Laurent Fabius… Fait exceptionnel, hormis le maire de Tulle, Bernard Combes, le cabinet de François Hollande ne compte aucun élu. « Le plus politique de la bande, c’est Aquilino, alors qu’il n’a jamais eu aucun mandat », relève un pilier de Solférino.

LE CHEF DE L’ETAT TIENT EN LUI-MÊME SON SEUL HOMME DE CONFIANCE

Le seul élu, c’est le président. Il est aussi son meilleur communicant : les quatre personnes de son cabinet autorisées à parler à la presse ont pris l’habitude de découvrir dans les médias les commentaires prononcés ou « textotés » à leur insu par François Hollande. L’ancienne star des JT Claude Sérillon a été prié d’assurer « la rédaction en chef » des équipes « Web et com' » mais décline systématiquement tout entretien avec les journalistes. François Hollande est le seul vrai speech writer, réécrivant lui-même la plupart de ses discours (dont aucun n’a jusqu’ici marqué les esprits) jusque tard dans la nuit. « L’avantage, balaie le conseiller presse Christian Gravel, c’est qu’on ne court pas le risque qu’il découvre son discours au dernier moment, comme Sarkozy à Dakar. » Bref, le chef de l’Etat tient en lui-même son seul homme de confiance. « Personne ne peut se vanter d’avoir l’oreille du président », confie un patron d’entreprise publique passé par plusieurs cabinets. « Si vous trouvez quelqu’un capable d’influencer François Hollande, donnez-moi ses coordonnées ! « , renchérit Aquilino Morelle.

Le conseiller politique en sait quelque chose. Les visiteurs de l’Elysée croient pouvoir opposer cet ancien directeur de campagne d’Arnaud Montebourg à Emmanuel Macron, farouche européen, partisan d’une fiscalité plus modérée quand Morelle, lui, fut l’initiateur de la mesure la plus symbolique de la campagne socialiste : la taxation à 75 % des plus hauts revenus. Pire, Jean-Marc Ayrault tient « Aquilino » pour le complice le plus sûr d’Arnaud Montebourg, son ministre le plus contestataire – la rumeur veut qu’il ait réclamé sa « tête ». « Faux », assure Pierre-René Lemas. En réalité, le « noniste » et l’ancien de chez Rothschild travaillent de concert avant chaque intervention présidentielle. « N’oubliez jamais qu’Hollande a toujours été transcourants, sourit Macron, et qu’au PS, il n’a fait que signer des synthèses… » Et Aquilino Morelle : « Neuf fois sur dix, je suis d’accord avec Emmanuel. »

Dans la grisaille de la maison Elysée, Macron et Morelle, les deux sémillants conseillers, émergent fatalement. Pourtant, comme le conseiller politique, le conseiller « éco » du président a découvert dans la presse le rendez-vous organisé, autour de la vente de Dailymotion par le ministre Montebourg avec les représentants d’Orange et de l’américain Yahoo! « L’énigme, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de think tanks à gauche et autant d’impréparation, soupire un conseiller peu médiatique. On est passé de la République des professeurs à celle des énarques, puis aujourd’hui à celle des attachés parlementaires : des as des jeux d’appareil, mais hors du réel et souvent amateurs. » Comme si dix ans d’opposition avaient asséché la gauche, au moment où s’appauvrit la machine administrative.

Le récent déplacement en Chine a résumé les ratés de la machine. Quelques problèmes techniques – des images pixelisées pour les télés – ont achevé de monter les journalistes contre Claudine Ripert, pourtant seule bilingue de la cellule presse : « En un an (…), les choses sont allées en empirant. Nos conditions de travail sont difficiles, les rapports avec certains responsables de la communication se sont tendus », s’agace la presse accréditée dans une lettre de protestation qui n’est jamais partie. Mais surtout, dans les coulisses, des patrons consternés par la brièveté du voyage (37 heures) et la faible moisson de contrats signés avec un pays que François Hollande découvrait « pour la première fois », quand la chancelière allemande Angela Merkel s’y est rendue six fois au cours des six dernières années. Loin, elle, de son bureau.

Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin

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