Même si une certaine presse a déjà donné une coloration saugrenue à la rencontre groupée que le President Obama a accordée aux Présidents sénégalais, malawite, sierra-léonais et au premier ministre cap-verdien, il ne serait pas superflu de préciser que l’Amérique évolue sur un registre plus callé sur le fond que sur la forme. Pragmatisme ou réalisme américain… c’en est certes, mais au-delà de cet aspect qui renvoie aux valeurs culturelles et de civilisation des Etats Unis, force est de reconnaitre que l’Amérique accorde aujourd’hui une place de choix à l’Afrique. Et pour qui comprend l’idéologie libérale d’ouverture, d’expansion et de mondialisation, il sera aisé de constater que la fin renvoie toujours aux questions économiques. Le monde libéral est le monde de l’économie par excellence. Tout est centré autour de la question économique, qui elle-même, est synonyme d’intérêts et de profits. Il ne serait pas dés lors insensé de se demander pourquoi le continent noir suscite subitement autant d’engouement pour l’Amérique.
L’Afrique, il faut le dire, a occupé pendant longtemps une position marginale dans les affaires économiques et étrangères des Etats Unis. Si la première visite d’un chef d’état américain en Afrique remonte seulement en 1957, au Ghana, il faudra attendre 1978 pour que Jimmy Carter s’envolât pour le Nigeria et le Liberia. Suivront en 1998 et 2003, respectivement, les présidents Bill Cinton et George Bush, avant qu’Obama ne visitât à son tour l’Afrique en 2009.
Mais aujourd’hui la donne a changé et l’Afrique a une belle carte à jouer ! L’Afrique tient un rôle important dans la géopolitique actuelle. Son sous-sol renferme d’énormes ressources naturelles et énergétiques. L’Amérique, un grand consommateur de produits énergétiques ne saurait rester en rade dans la course de positionnement.
Sanctuaire des salafistes dans sa partie septentrionale, elle ne pouvait manquer d’intérêt pour le pays le plus ciblé par les terroristes. L’Amérique sait que l’expansion salafiste peut nuire à ses intérêts dans le continent noir et même au-delà, notamment dans les domaines diplomatiques, militaires et industriels. Elle craint surtout la massification et l’exportation du mouvement salafiste dans les pays épargnés. L’implantation du terrorisme installerait une insécurité qui serait fatal aux échanges économiques, surtout les voies maritimes des hydrocarbures. L’Amérique exporte 20% de ses besoins en hydrocarbures en Afrique, et compte passer à 25% en 2015. L’insécurité dans le monde arabe et des réserves énergétiques peu satisfaisantes sont davantage de raisons qui font tourner l’Amérique vers l’Afrique.
Pont naturel vers l’orient et l’occident, l’Afrique occupe une place stratégique très importante. Si l’Amérique a installé une base militaire au Djibouti et s’est rapprochée de l’Ethiopie, de l’Erythrée, du Rwanda, de l’Ouganda et du Kenya, c’est pour contrer le mouvement des pirates shebab somaliens qui peuvent nuire aux échanges énergétiques et à ses intérêts économiques dans cette région séparée par la mer rouge.
L’Afrique centrale est adulée pour ces richesses indispensables aux Etats Unis (Or, chrome, manganèse). Elle est également une zone de passage essentielle pour l’économie occidentale avec un flux de marchandises et de produits pétroliers.
Le golfe de Guinée (Angola, Gabon, Congo) attire pour son pétrole abondant.
Cette politique de regroupement et d’isolement d’états est appuyé par des pays dits pivots de par leur position géographique et leur influence économique et militaire. C’est pays sont le Sénégal, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie, le Kenya et l’Ouganda. Et c’est le lieu de dire que le choix porté sur le Malawi comme invité à la Maison- Blanche pendant que l’Afrique du Sud est hôte du groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’est pas gratuit. L’Afrique du Sud qui se positionne de plus en plus comme une puissance économique continentale contraint l’Amérique à se rabattre sur un nouvel allié dans la partie méridionale du continent. Le Malawi est assis sur d’immenses ressources naturelles comme l’uranium et la bauxite. Pays ancré dans le multipartisme depuis 1994, le Malawi est un partenaire non négligeable.
Le Sénégal, pays laïc avec 90% de musulmans, est un allié sûr qui offre une position géographique stratégique. Disposant d’une armée républicaine mondialement reconnue et réputé pour sa démocratie, le Sénégal est un état pivot qui ne peut manquer d’intéresser les grandes puissances militaires.
La Sierra –Leone du Dr. Koroma se veut ouverte, démocratique et transparente. Un pays qui cherche à masquer les cicatrices d’une guerre fratricide et qui veut renouer avec le concert des états dits démocratiques et « civilisés ». Obama n’est pas insensible à cette politique du Dr. Koroma. On a vu le Dr. Koroma aux côtés du Président Américain à l’occasion du « Special luncheon » de 2011 tenu à la Maison- Blanche. La Sierra Leone est riche en diamant, or, bauxite, cuivre, café, cacao, etc…
Le Cap-Vert est aujourd’hui le champion de la démocratie Africaine. Fortement démocratique, le Cap-Vert connait un taux de croissance supérieur à 5% et attire bailleurs et investisseurs du monde. Situé dans un archipel peu commode à l’agriculture, le Cap-Vert s’est doté d’institutions solides et crédibles qui ont permis un développement économique axé sur le littoral. Le Président Pires a été jusque là, le seul Président Africain récompensé du Prix Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance en Afrique.
Mais comme suggéré plus haut, ce discours portant sur la démocratie et la lutte contre la corruption a un soubassement économique dont le dynamisme s’explique davantage par la présence de la Chine sur le continent.
En une décennie de présence économique sur le continent Africain, la Chine, deuxième économie du monde, a un chiffre d’affaires qui dépasse largement celui de son concurrent, les Etats Unis, première puissance économique.
L’AGOA ( African Growth and Opportunity Act), « ce pont Marchal” lancé pour fructifier les échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Amérique présente des retombées estimées à 80 milliards de dollars américains alors les rentrées chinoises dépassent les 200 milliards de dollars !
Il est vrai que l’Amérique ne voudra pas laisser à son concurrent le soin de contrôler longtemps un marché de plus d’un milliards de personnes ! L’autre raison est que même si la Chine n’est pas dans une logique idéologique d’exportation du communisme, elle gène le champion du libéralisme qui veut garder sa place de première puissance économique et militaire du monde.
L’Afrique ne doit pas jouer au spectateur dans cette guerre de positionnement et de recherche effrénée du profit qui se joue dans ses terres. Elle doit être un partenaire privilégié de rapports gagnant- gagnant. Aussi doit-elle rompre avec cette attitude d’élève docile et hausser le ton au besoin, vu les immenses ressources naturelles et énergétiques sur lesquelles elle est assise.
Mohamed KA
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