Au commencement était la question de savoir si Karim Wade, candidat aux élections présidentielles, a bien fait de recourir à la juridiction française pour s’extirper des griffes de la justice sénégalaise. Abdoulaye Wade, avisé des externalités sur la crédibilité de son fils, a réussi le coup de maître en déplaçant l’axe du débat de la présomption d’infidélité de son fils à l’aspect technique et légal de la double nationalité. Commission parlementaire sur la question, privation éventuelle des avantages d’ancien chef d’État, poursuite pour haute trahison et patati patata, les apéristes, apprentis sorciers, se sont laissés prendre au jeu du plus doué d’entre nous.
Si le droit positif n’admet pas que ceux qui ont la double nationalité soient candidats à la magistrature suprême, il faut en prendre acte, quitte à s’ajuster éventuellement pour réunir les conditions d’éligibilité. Cela n’a rien à voir avec le choix de Karim Wade de saisir la justice française sur sa condamnation pour enrichissement illicite. Il peut bien se prévaloir de sa nationalité française comme le commun des sénégalais en territoire étranger. Mais symboliquement, voilà un acte qui altère, aux yeux des sénégalais, sa disposition à se consacrer exclusivement aux intérêts du Sénégal.
La nationalité par excellence traduit l’expression d’un sentiment d’appartenance qui saisit et s’incarne sans déclic, ni décret. L’attachement ancré à un pays ne se découvre pas ; il accompagne, possède et obsède son sujet pour ne plus le quitter, même pas le temps d’un suffrage. Le sentiment d’appartenance à une patrie n’a rien à voir avec le simple cachet citoyen, il surplombe les avantages et les assurances que le tamponnage administratif procure. S’il faut braquer les sénégalais les uns contre les autres, pourvu que Karim s’en sorte, Wade l’incomparable se déploie comme jamais dans un juridisme distrayant.
Surprenante spectacle, la diaspora s’est emparée de ce faux problème de la double nationalité pour se positionner en victime d’injustice. Bohèmes des temps modernes, les expatriés pensent à leurs enfants et à l’impact sur les plans de retour. Tout compte fait, ils passent toutes leurs nuits rivés vers Dakar ou alentours, empêtrés dans l’actualité du pays, préoccupés par le devenir de leur seule véritable nation. La nationalité ne se mérite pas, elle ne s’hérite même pas, c’est une foi qui se révèle telle une vocation. L’argument légaliste du droit acquis versus droit d’origine ne traduit pas le sentiment profond, la fierté et l’engagement du patriote ligoté au pays d’origine. Sénégalais un jour, sénégalais pour toujours.
« L’enfant n’a choisi ni son lieu de naissance ni ses parents. La nationalité qu’il acquiert du fait de ces deux droits s’impose à lui », a brandi Maître Wade, le subtil, pour ramener en avant plan le débat autour de la double nationalité. Pourtant, jusque-là l’homme politique, Karim Wade, n’a pu gagner le cœur des sénégalais par un déficit présumé de « sénégalité ». C’est donc dire que la requête de Karim Wade auprès des instances françaises ne suscite pas une question de droit ; cela remet en surface sa question d’appartenance sentimentale à l’univers culturel sénégalais.
Subrepticement, le tour de passe-passe du maitre inspire la peur, en souvenir du chaos ivoirien, ivoirité meurtrière. Pourtant, il n’en est rien. Ici, il n’est question que de confiance et d’indices de fidélité. Parce qu’il ambitionne de se porter à la direction du Sénégal, Karim Wade ne devrait pas passer outre le cadre de souveraineté juridictionnelle du pays. Vivement qu’il sorte de prison, non pas pour innocence, mais par équité par rapport à tous les autres qui ont exploité les mêmes zones grises au sommet de l’État.
Birame Waltako Ndiaye