Si le Président Abdoulaye Wade décidait, en février prochain, de ne pas postuler à sa propre succession, son peuple lui dresserait sans doute un monument, et l’Afrique, définitivement, le hisserait au rang de ses très grands hommes politiques. Mais rien, dans les préliminaires auxquels sont soumis les Sénégalais, ne laisse présager une sortie aussi distinguée. Ses concitoyens lui enjoignent de renoncer à un troisième mandat, et lui, inlassablement, répond qu’il a le droit de se présenter, et qu’il va même gagner.
Sur ce, il s’en est allé chercher des juristes étrangers pour venir expliquer aux Sénégalais pourquoi, à 86 ans, il peut s’accorder un petit supplément de sept ans au pouvoir. Autant le Président Wade semble prendre plaisir à narguer ainsi ses opposants, autant la jeunesse en colère persiste à lui indiquer la sortie.
Le cri de ralliement, de plus en plus strident, est d’ailleurs sans équivoque : « Y en a marre ! ». L’exaspération est grande, et les mises en garde empreintes d’une réelle gravité. Au terme de son actuel mandat, Abdoulaye Wade aura bouclé douze années à la tête du Sénégal. Dans l’Afrique d’hier, cela n’aurait sans doute pas paru si long. Mais la pratique du pouvoir de l’ex-plus vieil opposant d’Afrique fait que chaque année qu’il passe aux affaires compte double, sinon triple, aux yeux de ses concitoyens.
LA VENERATTION POUR LES ANCIENS DOIT AVOIR DES LIMITES
La légendaire vénération que l’on voue aux anciens, en Afrique, commande que ceux-ci sachent tenir leur rang, rester à leur place, où on va les consulter lorsque la société est confrontée à un dilemme, ou menacée dans ses fondements.
Le Tunisien Habib Bourguiba avait 84 ans lorsqu’il a été déposé, en 1987, pour sénilité. Félix Houphouët-Boigny est mort au pouvoir à l’âge de 88 ans. S’il avait consenti à passer le relais de son vivant, il aurait probablement épargné à son peuple bien des drames, et finalement les tragiques évènements que l’on sait.
Nelson Mandela a bien anticipé tout cela, en renonçant au pouvoir, à 81 ans, après seulement un mandat. Nul n’ose imaginer ce qu’il serait advenu de l’Afrique du Sud, si Mandela n’avait pas été là pour tempérer, de sa tutélaire stature, l’animosité et la lutte fratricide entre Thabo Mbeki et Jacob Zuma.
Oui, la vénération pour les anciens doit avoir des limites. Et la sagesse populaire, au Mali, les fixe d’ailleurs en des termes on ne peut plus clairs : « On ne peut pas faire son temps et vouloir faire, en plus, le temps de ses enfants. » Le danger, ici, est que l’on en vienne à vouloir rogner, aussi, sur le temps de ses petits-enfants.
Jean Baptiste Placca (Mfi)
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