xalimasn.com-Elle est ni féministe, ni militante, plutôt « féminine ». Quand Woré Ndiaye Kandji prend la plume, c’est pour décrire les conditions de son genre. Critique et audacieuse, elle fait son « j’accuse » : « Nous sommes tous coupables ». De quoi ?
Xalimasn.com a voulu savoir avec l’écrivaine. Entretien.
Bonjour madame Kandji.
Bonjour .
Pouvez-vous vous présenter à nos Internautes ?
Je suis une sénégalaise née à Brazzaville au Congo. J’ai passé mon enfance à Dakar et vis aux Etats-Unis. Je suis mariée depuis une dizaine d’années et mère de deux enfants.
Vous avez publié récemment un roman « Nous sommes coupables ». Nous sommes coupables de quoi ?
Nous sommes coupables de la destruction de nos pays respectifs. Par « nous », je veux dire les femmes. Ce n’est pas que je ne culpabilise pas les hommes. Les hommes, ils ont les mains trempées jusqu’aux coudes. Mais pour une fois j’ai voulu qu’on fasse face à la vérité aussi crue qu’elle puisse être. Les femmes ont toujours été les victimes de toute société. Elles sont victimes des tares et souffrent de tous les maux. Mais il y a une chose que l’on n’admet pas. C’est que ces maux dont nous souffrons sont très souvent insufflés par des dirigeants que nous les femmes avons éduqués. Nous faisons très souvent des erreurs en éduquant ces enfants sans nous rendre compte que ces erreurs peuvent être monumentales plus tard sur le plan économique, social et politique.
Dans votre livre vous ouvrez avec Nabou Camara, mais l’on remarque subitement qu’autour il y a d’autres personnages. Qui est cette femme ?
A Camara Kunda, vit une femme qui se nomme Nabou Camara. Elle vit dans une concession très typique d’une famille africaine avec ses parents, ses tantes paternelles et les coépouses de sa mère. Elle est professeur de Français dans un des lycées de la ville de Saint-Louis du Sénégal. Malgré son éducation académique, elle n’est pas pour autant un modèle de référence. A cause des réalités dans lesquelles elle a été éduquée, tout son esprit est plongé dans le stress qui va avec cette tendance destructrice. J’ai voulu démontrer à travers Nabou Camara une atmosphère qui nous est familière : que la femme africaine passe son temps à se mesurer à ses consoeurs, que les femmes passent leur vie à se déchirer, à se faire une guerre perpétuelle. Donc en vivant de cette façon sans nous en rendre compte nous apprenons à nos enfants une formule pas du tout respectable, qui mine de rien, n’est qu’un échantillon de ce qui se passe dans le reste du pays et dans le reste du continent. Evidemment il vient un moment où l’individu a besoin de s’auto-corriger. Pour qu’il y ait correction, il faut conscientisation. Cette conscientisation s’amène lorsque Ganegui, la meilleure amie de sa fille qui est venue lui rendre visite oublie chez elle un classeur dans lequel elle griffonne ses idées sur l’avenir de l’Afrique. C’est lorsqu’elle lit les réverbérations de cette jeune fille qu’elle se rend compte de l’erreur dans laquelle elle a vécu plus de quarante années de sa vie.
A quand remonte l’histoire que vous racontez ?
Le livre lui-même porte deux tons qui sont différents mais intrinsèquement liés l’un à l’autre. D’une part il y a la partie du roman qui conte la vie de Nabou Camara et d’autre part nous comptons les écrits de Ganegui ou l’Etrangère qui sont une série de réflexions et d’analyses qui portent le manteau d’un essai. La partie de l’essai date exactement de dix ans. Ce sont dix ans d’analyses de nos vies : c’est une étude de nos réalités sociales, la mentalité africaine. Par exemple que représente la polygamie pour la majeure partie des femmes africaines en général et sénégalaises en particulier ? Il y aurait-il une leçon positive à apprendre de la polygamie ? La disparition de toutes les normes ayant été à la base de la cellule africaine pendant des siècles explique le manque de balance de nos sociétés. Les réalités dont je parle dans la vie de Nabou Camara, nous les colportons à nos lieux de travail et en affectons la productivité. Cela ne s’arrête pas là. J’ai voulu démontrer combien un génocide comme Rwanda et Darfur, des événements comme Sénégal-Mauritanie 1988, Kenya 2008, Cote d’Ivoire 2010 continuent de se déverser sur nous. Et cela ne finit pas et ça continue. Il faut que cela s’arrête.
Dans votre livre, vous faites allusion à la femme moderne. Comment vous la définissez ?
La femme africaine moderne, je la dépeins avec ses deux visages : elle est celle qui se décarcasse tous les jours pour se battre contre la conjoncture. On a beau se plaindre de la crise économique à la fin de la journée, un repas doit être servi. Et c’est la femme qui fait toujours avec les moyens du bord. Ça et là en grinçant sa colère entre ses dents, mais très souvent sans broncher. Il ne faut pas se tromper ici. Moi la femme j’ai énormément de respect pour elle. Elle est vaillante, battante, ambitieuse. Malheureusement en même temps qu’elle
porte sa bravoure sur ses épaules, elle se couvre d’une épaisse couche de manque de conscience par rapport à l’importance de son rôle dans la société. J’ai juste peur qu’elle ne soit pas du tout consciente qu’en fait elle est le sacerdoce de toute société.
Le fond du livre avait été achevé depuis 2004 avec la fondation de l’idéologie. Mais les maisons d’Edition avaient du mal à comprendre ce concept. De façon très ironique, ces derniers mois, toutes les réalités qui ont été dépeintes dans ce livre ont fait surface dans les informations : Simone Gbagbo, Leila Ben Ali, Grace Mugabe, Constancia Obiang . Quand les gens doutent du titre du livre et commencent à débattre du point avant même de l’avoir lu, je ne fais que leur poser une question bien simple : si Simone Gbagbo dans la moiteur d’un jour avait dit à Laurent : « Chéri, tu as déjà régné. Les résultats sont explicites car les chiffres ont parlé d’eux- mêmes : tu as perdu. Allez on ramasse nos affaires et on s’en va à Cocody dès la semaine prochaine », pensez-vous que la côte d’Ivoire aurait vécu les quelques mois de cauchemars ces derniers temps ? Des milliers de morts pour quelle cause ? ».
Alors la plupart du temps les gens me disent : « c’est vrai que vous les femmes vous êtes coupables quelque part ».
Peut-on dire que cette femme a échoué dans son rôle ?
Malheureusement oui. La femme a échoué quelque part. Autant la femme sagement assise chez elle que la femme élitiste. L’on ne peut pas avoir échoué plus que celle-là qui se fait appeler première dame du pays, celle qui en premier lieu doit faire preuve de compassion et d’affligeons pour son peuple, celle entre les mains de qui le devenir de millions de foyers repose et qui un beau matin, porte ses noirs-fumées, entasse ses valises Louis Vuitton, encaisse l’argent du pays roulé en Suisse, se range tout simplement dans un yacht et disparait avec les siens dans les décombres de la nuit. Le matin le peuple se réveille et la Reine-Mère n’est plus là. Cet exemple de la Tunisie, c’est l’épée de Damoclès qui se repose sur la gorge de nos réalités africaines. Et des Leila Ben Ali, il y en a en petite catégorie dans beaucoup de concessions. Je tire la sonnette d’alarme pour dire que de par la façon dont nous menons nos quotidiens, nous ne sommes en rien différentes de femmes comme Grace Mugabe du Zimbabwe ou de Constancia Obiang de la Guinée Equatoriale. Tout le long du livre, j’ai justement souligné cette analogie selon laquelle tout ce dont nous nous plaignons sur le plan macrocosmique se trouve sur le plan microcosmique de nos concessions.
Vous êtes féministe ou militante ?
Je ne suis ni féministe ni militante. Je me dis féminine tout simplement. Il y a une date d’expiration à tout produit et une fin à tout deuil. Or le mouvement féministe en est à sa fin. Il est temps de faire des analyses et d’en tirer des conclusions. Il fut un temps où le féminisme avait sa raison d’être. Il fut un temps où le monde avait besoin que l’on comprenne que la femme avait autant de mérite sur le plan professionnel que les hommes. A présent ce moment est révolu. Car il n’y a plus aucune raison de prouver cela. Les femmes ont fait leurs preuves. Seulement ces preuves se sont amenées aussi avec des conséquences néfastes sur nos sociétés africaines. Les femmes sont dehors, elles se tracassent toute la journée pour avoir une vie décente, valser avec la technologie. Pendant ce temps, nos enfants sont à la maison et leur éducation reste incomplète sur tous les plans. Le résultat de mes analyses ne s’arrête pas seulement dans nos pays africains. Les notions évoquées peuvent aussi être colportées dans les sociétés Européennes et Américaines. Car si l’économie des Etats-Unis est accroupie sur ses flancs, c’est parce qu’elle souffre du même mal dont l’Afrique a souffert pendant des décennies : « greed » ! C’est la gourmandise, le manque d’humanisme et d’éthique des sociétés multinationales qui mirent leur métaphore sur nos gouvernements. Ce sont des vertus qui s’effritent de plus en plus et évidemment l’économie en pâtit. Malheureusement ce que nous ne comprenons pas c’est que l’Africain vit, respire et fonctionne en fonction de la hiérarchie établie par les normes éthiques d’humanisme. Or chaque fois que ce manque de vertu se pointe, nous en souffrons. Nous en avons souffert dès le lendemain des indépendances et en souffrons de plus en plus tous les jours. Je dis qu’il faut réinsérer ces notions d’humanisme dans les cranes et dans le curriculum des élèves durant tout leur cursus scolaire, des premières classes de primaire au Doctorat.
Revenons sur votre livre. Vous s’ en prenez aux journalistes.
Je m’en prends partiellement au journaliste comme je m’en prends à presque toutes les couches sociales et beaucoup de professions. Le journaliste a un travail très noble : celui d’informer le peuple de façon objective. Mais certains d’entre eux informent mal. Les réalités de nos pays ne sont pas mises en perspectives. Ayant vécu à Dakar pendant une bonne partie de ma vie comme tout jeune je n’ai jamais su les réalités des coins reculés du pays, jusqu’à ce que j’eus l’occasion de sillonner le pays avec le Geep, le groupe d’Etude pour l’enseignement aux Populations. Je vais vous expliquer de façon très simple et précise comment nous les femmes pouvons être coupables des failles de nos sociétés : combien de femmes à Dakar ont une dame de compagnie qui les aide à entretenir leurs maisons ? Savez-vous que plusieurs dames sont fières d’avoir une femme chez elles pendant deux, trois, dix ans qui ont pouponné leurs enfants et on cuisiné leurs repas. De toutes ces femmes, combien d’entre elles ont pris le temps ne serait-ce une fois d’aller au village de leur dame de compagnie pour rendre visite à ses parents et découvrir ses origines ? J’en veux aux journalistes d’oublier que Dakar n’est pas le Sénégal. Dakar c’est une région parmi dix autres aux Sénégal. Je m’en prends aussi aux organisations non gouvernementales en leur disant de faire attention aux séquelles de tout mouvement. De nos jours, les organismes comme V-Day de Eve Ensler ainsi que Batonga d’Angélique Kidjo trouvent que la solution pour valoriser l’économie de l’Afrique et mettre une fin aux guerres est ancrée dans la nécessité d’alphabétiser les femmes et de les pousser à rester sur les bancs de l’école le plus longtemps possible. Cela a une part de vérité absolue. Seulement j‘attire leur attention sur une chose bien simple. Je leur demande de ne pas focaliser cette éducation sur une éducation académique. Le problème avec cette histoire de parité est justement que l’on est entrain de donner énormément de pouvoir à un groupe d’individus qui a été marginalisée pendant très longtemps dans l’histoire. Or j’ai bien peur que l’on ne soit entrain de former de nouveaux impérialistes. L’éducation académique est extraordinairement importante, mais elle doit aller de paire avec une éducation sociale. Par éducation sociale, je veux dire toute une armada d’apprentissage éthique, culturel, sociologique, historique. Il ne faut pas juste dire aux femmes que le diplôme va les sortir d’embarras. Parce qu’après elles se retrouvent avec un bout de papier et ne savent pas quoi faire avec. Ce diplôme va de pair avec des notions de civisme : apprendre qu’un bien public doit être respecté ; conserver son humilité ; sa magnanimité afin de faire preuve de compassion qu’importe combien de responsabilités elles auront dans le futur. Faire preuve de notions pure à l’Afrique ; comme par exemple le « Kerseu » qui n’est autre que l’empathie et l’égard en soi d’abord puis envers le reste du monde ainsi que bien d’autres notions évoquées dans le livre.
Votre dernier mot.
Il est absolument nécessaire de comprendre que « nous sommes coupables » n’est aucunement là pour détruire la femme. Au contraire. C’est plus pour lui donner des forces. La disséquer pour la renforcer dans son rôle essentiel au sein de la société. Car je dis que la femme est le socle et quelque part nos sociétés ont perdu leur balance parce que la fondation n’est plus solide. Lorsque la femme perd conscience de qui elle est, elle s’enfonce dans un coma fugitif y plongeant avec elle toute la société. Le but ultime de « Nous sommes coupables » est d’inviter la femme à une auto-observation, auto-éducation, auto-restructuration. Ce n’est ni pour la dénigrer ni pour la décourager, mais juste un miroir que je lui tends pour qu’elle repeigne les contours de son présent pour enfin s’honorer du respect qu’elle se doit.
Xalimasn.com
Livre
Woré Ndiaye Kandji » Nous Sommes Coupables »
Edition: Phoenix
site Internet: worendiayekandji.com/
très bel entretien. Voilà une femme différente des féministes qui pensent tout leur temps à pleurnicher. J’ai bien aimé la référence faite aux premières dame.
Merci beaucoup
J’espère que Viviane wade lira votre article et dira à son wade de dégager.
Ma cherie tu as ete sublime tout ce que tu dis est la realite de nous femme , tu as bien fait de ns rappeler a l’ordre. Que le TOUT PUISSANT t’aide et te protege inchallah . Du courage et bonne chance en avant