Le Directeur général de la Société africaine de raffinage (Sar) est un homme amer. Carmélo Sagna l’est, d’autant plus que la pénurie de gaz, qui frappe de plein fouet les ménages, était, selon lui, évitable si Itoc les avait prévenus à temps. Il révèle entre autres avoir été informé lundi soir que le bateau de gaz (attendu aujourd’hui 29 Septembre) sera finalement à Dakar le 1er Octobre, alors que, dans un premier temps, cette arrivée avait été fixée d’un commun accord entre le 16 et le 18 Septembre. Tout en s’étonnant qu’à chaque fin de contrat les « comportements changent », Carmélo Sagna ne cache pas son « courroux ».
L’As : Monsieur le directeur général, pour aller droit au but, qu’est-ce qui est à l’origine de la pénurie de gaz ?
Carmélo Sagna : La pénurie de gaz butane que nous connaissons présentement découle de reports non concertés de l’arrivée d’un butanier. Dans un premier temps, notre fournisseur, Itoc, nous avait dit que ce butanier, la Celenova, sera à Dakar dans la fourchette 16-18 Septembre. Nous avions retenu cette date d’un commun accord. Ensuite, il nous a dit que ce ne sera plus le cas, mais le 24 Septembre. À l’époque déjà, nous nous étions engagés vis-à-vis de notre fournisseur, pour virer 6 millions d’euros, c’est-à-dire 4 milliards de F Cfa, avant le déchargement du bateau.
Mais Itoc parle de 11 millions d’euros que vous lui devez ?
J’en arrive. Le 24 Septembre donc, nous apprenons que le bateau sera finalement à Dakar le 29 Septembre. À partir de ce moment, d’autres échéances sont tombées, et avec d’autres facteurs, l’encours a atteint 11 millions d’euros, comme vous l’aviez écrit. Du fait de ces reports, la pénurie était à nos portes. Et qu’est-ce qui arrive maintenant ? Lundi, nous avons appris que le bateau, qui était annoncé pour ce 29, sera finalement à Dakar le 1er Octobre. Ça nous a fait sortir de nos gonds.
Pourquoi ?
C’est inadmissible ! Dans les relations commerciales, il y a toujours des problèmes, mais les deux parties doivent savoir les gérer ensemble. Bien avant moi, Itoc et la Sar étaient des partenaires. Ils ont au moins quinze ans de relations. C’est vous dire qu’il y a eu pas mal d’incidents. Parfois, à la place de 4 000 tonnes, nous avions reçu 2 000 tonnes, mais personne ne nous a entendu parler. Étant en relations commerciales, on doit pouvoir surmonter ensemble nos problèmes. Surtout quand c’est un marché de 50 milliards par an. En quinze ans, ça devient un marché de plus de 600 milliards de F Cfa. Que représentent 4 milliards de F Cfa sur ce montant ? Surtout quand il s’agit d’un produit sensible comme le gaz, qui est devenu presque indispensable pour tous les ménages. Malgré tout, nous avons toujours honoré nos engagements. Et si les relations ont duré, c’est parce que nous sommes un partenaire fiable.
Aujourd’hui, c’est difficile pour les ménages de supporter le manque de gaz. Même moi, je souffre quand il y a pénurie. On est obligés de recourir au charbon, alors que tout le monde sait qu’en temps d’hivernage, la pluie et le charbon ne font pas bon ménage. Quand une Société est au courant de tous ces facteurs, certains comportements ne doivent pas exister de son côté. Au-delà des relations commerciales, il y a le Sénégal. Il doit y avoir une confiance mutuelle entre nous pour servir les intérêts du pays.
Ce qui est important dans des situations pareilles, c’est d’être prévenu à l’avance pour trouver des solutions sur le marché. Si vous attendez le 28 Septembre pour dire que le bateau ne sera pas là finalement le 29, mais le 1er Octobre, ça ne va pas. Itoc devait nous prévenir à temps. Mais si vous attendez 24 heures pour le faire, alors que les autres pays de la sous-région ne consomment pas autant de gaz que le Sénégal, il y a problème. Les 4000 tonnes de gaz assurent notre consommation entre 9 et 10 jours. Nous sommes presque à sec, en ce moment.
D’ailleurs, nous sommes en train de trouver des solutions dans le cadre d’un partenariat public-privé pour sortir de cette situation. Comme vous le savez, le bateau déchargé aux larges de la raffinerie traverse un sealine, qui ne peut pas accueillir plus de 4000 tonnes. Aujourd’hui, notre objectif est de faire en sorte de sécuriser notre approvisionnement avec un stock, qui pourra assurer notre consommation pendant un mois. Dans ce cas, nous serons à l’abri de toute perturbation.
Qui vous a informé que le bateau sera finalement à Dakar le 1er Octobre, Itoc ?
C’est lundi nuit seulement que j’ai reçu un email d’une société de conciliation Sonemar, m’informant que le bateau serait finalement à Dakar le 1er Octobre. Quand j’ai reçu cet email, excusez-moi du mot, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’exprimer très fort mon courroux.
Vous avez trouvé des solutions immédiates, pour mettre fin à la pénurie ?
Pour le moment, nous cherchons une alternative. Mais au-delà, la question, qui se pose, est la fiabilité de notre partenaire Itoc. Devons-nous continuer de travailler avec une Société qui ne se gêne pas de laisser en rade le Sénégal ? Surtout que, je vous donne l’information, au Sud du Sahara : nous sommes le pays qui consomme le plus de gaz. C’est dire que nos besoins, nous ne pouvons pas les trouver ailleurs.
Vous avez parlé avec le patron d’Itoc ?
On a échangé au téléphone, parce qu’il était indisponible. Il doit reprendre ce mercredi. Mais c’est sûr que nous verrons après les mesures à appliquer. Nous déplorons cette situation. Si nous avions été prévenus à temps, nous aurions pu éviter cette pénurie.
Itoc vous réclame 11 millions d’euros, alors que vous avez récemment finalisé un financement de 165 milliards de F Cfa avec Uba et Ecobank. Y a problème…
Non, les gens font un terrible amalgame. Ce financement ne concerne pas le gaz. Il n’y a aucune passerelle et l’obligation de facilité a été clairement précisée. Ce financement concerne l’achat de brut. Alors que le marché national était de 1,8 million de tonnes, la Sar ne pouvait fournir que 1,2 million de tonnes. Avec ce financement qui témoigne de la confiance des banques à la Sar, nous allons pouvoir combler le gap.
Allez-vous revoir le contrat, qui vous lie à Itoc ?
On verra…
Certains observateurs jurent que c’est l’appel d’offres que vous comptez lancer en Octobre pour la fourniture du gaz, qui chauffe les nerfs…
C’est un sujet récurrent, il faut le reconnaître. Chaque fois que nous approchons de la fin du contrat qui nous lie (Ndlr : le contrat entre l’Etat et Itoc pour la fourniture du gaz prend fin en Octobre), les comportements changent. Pour qu’on prolonge le contrat ? En tout cas, la coïncidence est troublante. C’est difficile de le prouver formellement, mais on doit constater que les comportements ont commencé à changer, depuis qu’on approche de la fin du contrat. C’est récemment seulement que nous rencontrons des problèmes de ce genre. Mais, actuellement, le plus urgent pour nous et pour notre tutelle, c’est de trouver une solution dans les meilleurs délais.
Propos recueillis par Cheikh Mbacké GUISSE
lasquotidien.info