Abdoul Aziz Mbacké Majalis au Cœur des Relations Politico-religieuses : « Khidma, la Vision Politique de Cheikh Ahmadou Bamba »

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C’est un essai audacieux sur les relations entre les mourides et le pouvoir politique au Sénégal que vient de publier l’intellectuel Abdou Aziz Mbacké Majalis. Intitulé « Khidma », l’ouvrage met les pieds dans le plat des réalités socioreligieuses sénégalaises au travers de relations parfois complexes entre Touba et les tenants du pouvoir politique, de Senghor à Wade en passant par Diouf sans oublier l’administration coloniale. Plaidoyer de la doctrine mouride, Abdoul Aziz Mbacké scrute aussi d’un œil intelligent, les dérives notées dans la pratique actuelle du mouridisme incarnées par certaines figures charismatiques. 

« Il faut savoir que, dans la perspective de Cheikh Ahmadou Bamba, le mouridisme n’existe pas en tant que tel : ce qui existe, ce sont l’Islam et les musulmans », a précisé l’essayiste qui d’emblée a mis en perspective « l’œuvre de réhabilitation et de renaissance des valeurs fondamentales de l’Islam » dont Khadimou Rassoul a été l’artisan incontesté. Ceci par une fructueuse production littéraire mouride à même d’apporter des réponses adéquates aux interrogations multiples et préoccupations actuelles. L’ouvrage, d’une immense richesse en références bibliographiques, se veut un condensé qui fait référence d’abord aux sources écrites puis à la biographie du serviteur du Prophète, Khadimou Rassoul, ce grand soufi musulman sénégalais et cheville ouvrière d’une doctrine à la dimension universelle. Et l’auteur de dénoncer sans complaisance les amalgames visant à ternir l’image du mouridisme au travers d’actes isolés de la part d’individus peu représentatifs de la communauté mouride. Lesquels actes ne peuvent en aucun cas engager le mouridisme, a-t-il expliqué.

« La khidma, c’est l’humanisme de l’Islam »

 


Qu’en est-il de la « khidma » alors ? « Il suffit de lire l’œuvre du Cheikh et d’étudier sa biographie pour réaliser l’omniprésence de la notion de khidma qui, tel un fil conducteur, traverse toute sa pensée », explique l’auteur qui fournit plusieurs définitions à même d’étayer sa pensée car en vérité, dit-il, « la khidma, c’est l’humanisme de l’Islam ».

Justement l’Islam, quelle place occupe-t-il dans l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba ? « Il est au début et à la fin », a l’air de répondre Abdoul Aziz dont les nombreuses références au Coran et à la tradition du Prophète constituent une réponse aux détracteurs du mouridisme, et à tous ceux qui sont tentés de déceler dans la pratique ‘mouridienne’ des relents d’associationnisme. Le thème de l’intercession, l’écrivain l’aborde en toute objectivité non sans mettre en garde contre le glissement entre le Shirk (associationnisme) et le monothéisme, qui se côtoient mais ne se touchent pas. A certains prédicateurs et intellectuels francophones, le concepteur du site Majalis reproche de faire abstraction des écritures saintes qui justifient l’intercession. « Certains versets du Coran, avance-t-il, démontrent l’existence de l’intercession, même attribué exclusivement à Dieu, ce qui ne contredit pas la possibilité pour le Seigneur de gratifier ce pouvoir d’intercession à certains de ses serviteurs privilégiés. » Toutefois, s’il y a eu des relations privilégiées entre les pouvoirs temporel et spirituel, c’est bien à l’époque du président poète qui a bénéficié du vote mouride grâce à une consigne de Serigne Fallou Mbacké, a-t-il noté.

« La khidma de Senghor », ou la négritude face au mouridisme

 


A la question peut-on côtoyer les politiques sans se compromettre ? « Oui et non, semble répondre l’essayiste qui évoque au passage les relations entre Serigne Fallou Mbacké, le second calife des mourides, et Senghor, le premier président du Sénégal indépendant, de confession chrétienne. Outre la complicité voire l’interdépendance des deux types de pouvoirs qu’ils incarnent chacun, l’auteur y voit un duel sous-jacent, une confrontation qui ne dit pas son nom, au point de se demander « qui de Serigne Fallou et Senghor, a le plus gagné aujourd’hui, un demi siècle après l’indépendance, dans le cœur, la pensée et le vécu quotidien du peuple sénégalais ? » Pour lui, le clientélisme maraboutique, à l’époque, a conduit à ce qu’il désigne par les termes « Mosquée contre Ndigueul », ce qui a permis de réaliser « une étape importante du projet de société de Cheikh Ahmadou Bamba. » Mais, souligne l’auteur, le clin d’œil électoral de Serigne Fallou à l’endroit de Senghor, avait pour contrepartie d’assurer au mouridisme « un soutien dans certains domaines administratifs et techniques afférents à la compétence de l’Etat. » Toutefois, Aboul Aziz Mbacké fait remarquer l’adoption d’une nouvelle posture des mourides, avec l’avènement de Serigne Cheikh Mbacké, un intellectuel, ce qui a changé la nature des relations.

Compromis ou compromission ?


Abdoul Aziz Mbacké Majalis a notamment salué l’esprit d’autonomie, « une valeur cardinale du mouridisme » qui concourt à l’intérêt de la cité et de l’islam. Il cite un passage de l’ouvrage « Silkul Jawâhir » (Le Collier des perles), où Cheikh Ahamadou Bamba met en garde : « il est nécessaire d’éviter la fréquentation des gens du pouvoir à cause des risques de corruption que cela comporte. » Pour mieux étayer ses propos, l’auteur renvoie aux vers 1434 et 1477 des Masalik (Les Itinéraires du Paradis) dont il cite un extrait, invitant à « ne jamais associer les nombreux tartuffes religieux aux véritables saints de Dieu », « ces gourous et faux dévots et contrefacteurs aux comportements démagogiques », et dont les errements portent préjudice à l’image du mouridisme même. Le texte cité va plus loin : « n’accorde donc point ta confiance à quiconque se présente sous les apparences d’un « cheikh » de nos jours », car « il est évident que la plupart des prétendus cheikhs de notre époque ne sont en réalité que des tartuffes. »

Un ouvrage à la qualité rédactionnelle notoire, un style relevé, même si l’auteur, par endroits, fait usage de termes « recherchés ». En plongeant le lecteur dans les relations politico-religieuses de l’époque coloniale, Abdoul Aziz Mbacké apprécie dans une relative subjectivité les productions dites « intellectuelles » dont il botte en touche, à plusieurs égards, le bien fondé. A la place, il préconise de décomplexer notre rapport à l’Occident, mais également d’octroyer aux intellectuels arabisants toute leur place dans les débats de société.

Que pense-t-il de Cheikh Ahmadou Bamba, un rénovateur qui a vivifié l’Islam ? Sans aucun doute, martèle Abdoul Aziz qui a démontré que le saint-homme n’avait rien d’un négationniste, tout au contraire. Cheikh Ahmadou Bamba s’est montré unificateur, dès le début, en prônant la rénovation par l’ouverture : «  il reconnut très tôt la valeur de tous les grands maîtres l’ayant précédé sur la voie en essayant constamment surtout dans ses premiers ouvrages, de mettre en exergue la pertinence de leurs arguments respectifs … sans aucun parti pris, tout en prenant chaque fois la liberté d’adhérer ou non à leurs idées », a-t-il commenté. Dans une société où prédomine l’oralité, l’un des principaux canaux de transmission de la connaissance, le Cheikh a privilégié l’écriture, qui constitue l’une des formes les plus élevées de khidma auxquelles il se fut consacré. « Mes écrits sont mes miracles », de quoi amener l’auteur à voir en Cheikh Ahmadou Bamba « un étonnant accident de l’histoire en Afrique. » Et malgré son opposition à l’entreprise coloniale, ajoute-t-il, le Cheikh a fait preuve d’ouverture en soulignant les qualités qui le frappaient chez ses interlocuteurs occidentaux, entre autres, « leur sens de la ponctualité et de la rigueur, leur esprit de discipline et de méthode et leur capacité de contrôle de l’information ». Ainsi a-t-il invité ses disciples à s’inspirer de ces qualités, révèle l’auteur.

Le mouridisme, un Etat dans l’Etat ?


Quoique Abdoul Aziz n’ait pas parlé ouvertement de civilisation mouride…, son argumentaire laisse entendre que c’est bien de cela qu’il s’agit, d’où son renvoi à des définitions facilement repérables et caractéristiques du mouridisme, entre autres, la présence d’une ville, la structure de classe, l’organisation étatique. En d’autres termes, Touba est bien un Etat dans l’Etat, même si l’auteur a promis de consacrer à cette question, une étude plus exhaustive.

Aux intellectuels francophones qui se réclament des idées de Cheikh Anta Diop, Abdoul Aziz reproche « l’idée d’archaïsme et de féodalité qu’ils se sont forgée des mourides », ce qui les empêche de citer par exemple l’influence mouride sur le chantre de la renaissance africaine, et son passage à l’école scientifique du village de Guédé dirigé par l’érudit Serigne Mbacké Bousso, cousin et disciple de Cheikh Ahmadou Bamba. L’auteur établit des parallélismes entre Cheikh Anta Diop et Cheikh Ahmadou Bamba tant au niveau de projets de renouveau structurel et culturel qu’au niveau de leur approche panafricaniste. « Touba, dit-il, est une ambitieuse tentative de matérialisation du projet de société de l’Islam, une citée fondée pour Dieu ». « Touba n’est nullement dans l’Etat, non, mais c’est plutôt l’Etat hérité des non-croyants qui est sur Touba. Cette forme d’Etat léguée par Voltaire et Faidherbe, celle qui prétendit avoir occis dieu sur l’autel de la liberté humaine, au point de légitimer aujourd’hui l’homosexualité, le transsexualisme et l’inceste consentant » Touba, renchérit-il, « est une cité de l’Islam que l’on ne pourra bâtir qu’avec la truelle de la khidma, le ciment de la solidarité agissante et du don de soi à l’autre pour l’amour de Dieu, le fer du sacrifice bénévole de sa personne pour le salut de son peuple, pour ses semblables. » Vers la fin de l’ouvrage, l’essayiste exprime son indignation et prend le contre-pied de l’entreprise coloniale qu’il critique vertement, pour avoir, semble-t-il, noyé l’histoire du Sénégal dans celle de la France, l’ancienne métropole dont les références historiques sont citées en lieu et place de la véritable histoire du Sénégal. « Pourquoi et au nom de quoi notre nation devrait-elle continuer à se réclamer d’une histoire et d’un système politique né de la Révolution française de 1789, œuvre de Rousseau et Voltaire, de Robespierre et des jacobins, alors qu’elle se reconnaît plutôt héritière d’une autre révolution : la Révolution sénégalaise de 1895, celle de Cheikh Ahmadou Bamba, d’El Hadj Malick Sy et autres valeureux artisans du Siècle sénégalais des Lumières ? » Une pierre dans le jardin des intellectuels francophones, qui sans doute ne manqueront pas de réagir.

Momar Mbaye

« Khidma » est publié aux éditions Majalis

L’ouvrage sera dédicacé prochainement à Dakar

Le blog de l’auteur : www.khidma.org

 

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