Axelle Kabou, celle que l’intelligentsia africaine n’aime pas

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Il y a vingt ans, l’essayiste camerounaise Axelle Kabou a créé une vaste polémique: l’Afrique refuse le développement. Les élites du continent ne lui ont jamais pardonné cet affront.
Qui n’a pas lu Axelle Kabou? Il est des textes qu’il vaut mieux avoir rencontrés. En 1991, était publié à Paris le livre d’une jeune femme, née en 1955, à Douala au Cameroun.

Elle était jusque-là inconnue du microcosme de la vie intellectuelle et journalistique du continent africain dans la capitale française.

En guise de titre de l’ouvrage, Axelle Kabou posait une question terrible, qui tourmente depuis longtemps ceux qui, intellectuels, politiques, hommes de bonne volonté, se soucient encore de ce continent qu’on a qualifié de «maudit»: Et si l’Afrique refusait le développement?

En réalité, cette question renvoie à se demander pourquoi le continent le plus anciennement peuplé est de loin le plus faible, le plus dépendant. Mais, l’ouvrage d’Axelle Kabou est surtout celui d’une auteure qu’on n’attendait pas.

Personne ne l’attendait

Lorsque cette Camerounaise a été publiée, il y a maintenant vingt-et-un an, elle n’est ni une autorité universitaire ni une auteure européenne, pour oser ce type de questions avec un tel aplomb.

Car, que dit-elle dans son ouvrage? Elle soutient que l’Afrique ne s’est jamais vraiment sentie concernée par le concept du progrès. Axelle Kabou finit de noircir le tableau en martelant que l’effort en faveur du développement sur ce continent tient de la supercherie, de la prestidigitation!

Européenne, on l’aurait traitée de raciste; grande intellectuelle africaine, on l’aurait traitée de «vendue».

S’adressant à des gens habitués à dégainer leur cursus universitaire, l’auteure a eu le loisir de se faire snober (et parfois insulter) par l’establishment.

L’essayiste se demande pourquoi l’idéologie régnante sur le continent noir est celle du parti unique de l’immobilisme. Ce qui frappe en Afrique, affirme-t-elle, c’est l’inexistence dans tous les pays d’un projet de société clair, repérable et défendable par tous.

Elle dénonce avec véhémence la parade lamentable que les responsables adoptent chaque fois pour couvrir leurs errements: l’évitement, la surenchère verbale.

Le soubassement de l’interrogation de Kabou est celui du rôle que les Africains se donnent dans l’Histoire.

Elle a bousculé les certitudes

L’Afrique semble se comporter comme ces aînés sacrifiés dans certaines cultures anciennes au rôle de frayeur de chemin, et qui n’ont pas d’autre destin que celui de permettre aux suivants de mieux faire.

Il est vrai qu’Axelle Kabou n’aide pas à lire sa contribution. Elle n’hésite pas à dénoncer l’inculture des élites africaines, et assène que l’Africain ne voit pas plus loin que le bout de son ventre, même quand il est suffisamment aisé pour être en mesure de prendre des risques.

Lorsqu’on sait à quel point l’amour-propre, le nombrilisme, constituent chez les intellectuels africains l’alpha et l’oméga de l’analyse, on ne peut s’étonner que l’ouvrage les rebute d’emblée.

C’est donc à l’étranger qu’il a connu l’intérêt qu’il mérite. Pourtant, mis à part quelques insuffisances de forme, que de vérités cruciales versées au débat! A commencer par l’ambition tout à fait rare de l’entreprise: une réflexion sur les mécanismes idéologiques du processus par lequel l’Afrique refuse le développement.

On a pris l’habitude, dès qu’il s’agit de juger ce qui se passe sur ce continent, d’y jeter un coup d’œil fantaisiste, souvent prétentieux, de préférence dans un jargon inaudible, histoire de masquer le discours monomaniaque de la victimisation.

Kabou se décide de prendre l’explication de la situation sociale, économique et politique par le bout le plus difficile, celui de la culture. Convaincue qu’il n’y a pas de responsables ex nihilo, convaincue que le sous-développement de l’Afrique, quelle que soit l’époque considérée, n’est pas le produit du hasard.

Contre les murs de la mystification, elle affirme que quiconque a vécu et travaillé en Afrique sait que ce continent a, avant tout, des problèmes d’organisation, de motivation, de contrôle et de production qu’aucune idéologie ne résoudra et qui persisteront tant que les Africains se tiendront à l’écart de l’évolution du monde.

Axelle Kabou trouve dans ce qu’elle appelle «l’économie d’affection», la source centrale du sous-développement du continent noir. Elle conteste de façon décisive le mythe d’une solidarité supérieure des Africains entre-eux, et ne voit dans l’esprit communautaire qui règne en Afrique qu’une manière désastreuse de se procurer des rétributions psychologiques à peu de frais.

Bien sûr que des choses ont été dites et écrites, avant Kabou et aussi après; mais la tendance a souvent été, au mieux, celle d’un partage des responsabilités entre l’Afrique et les anciens auteurs de l’esclavage puis de la colonisation. Le pas a très rarement été franchi d’une dénonciation unilatérale de l’Afrique comme coupable de son sort.

Un plaidoyer plus qu’un pamphlet

L’originalité et la force de la méthode de cette auteure résident dans son choix de procéder à un examen microscopique de la causalité du sous-développement.

Là où les experts des organisations internationales et les chercheurs brandissent chiffres et statistiques, elle s’occupe de ce qui se passe dans la tête des Africains, parce qu’on ne prend jamais assez cela au sérieux.

Le pamphlet d’Axelle Kabou est un plaidoyer pour donner (enfin) un horizon à ces millions d’enfants d’Afrique que ce continent pousse littéralement au suicide.

Axelle Kabou a raison de rappeler que l’on ne peut pas éternellement se contenter d’examiner la logique de la domination du Nord sans jeter un coup d’œil sur la logique de la sujétion africaine qui lui répond.

Raoul Nkuitchou Nkouatchet

slateafrica.com

8 Commentaires

  1. Deug nékhoul
    Mais la plupart de ce qu’elle dit vrai.
    Si on a en Afrique tant de richesses(minières et énergétiques), tant de ressources humaines (population très jeunes), tant de terres, Pourquoi alors l’Afrique n’arrive pas à se développer?

  2. Pour moi l’Afrique ne refuse pas le développement. Seulement,au moment des indépendances l’Afrique n’avait pas suffisamment de cadres pour assurer la continuité du développement trouvé sur place. Les américains ont un mot qu’ils utilisent qu’on appelle grooming. Quand le père fondateur d’une entreprise veut passer les rênes de l’entreprise à la génération suivante il y’a un choix dans la famille ou en dehors de la famille, une personne qui répond au développement future de l’entreprise. Les français nous ont laissé des biens immenses. Des entreprises colossales qui pouvaient placer l’Afrique dans les pays avancés. Mais hélas le niveau du personnel était si bas qu’ils pouvaient pas planifier ni réfléchir ensemble. Il faut un niveau de connaissance élevé des affaires. Par exemple si les français n’achètent pas mon produit qui va l’acheter. Mais si vous ne planifié pas de produire, vous savez la suite. Il faut une bonne maîtrise du marché mondial. Des connaissances approfondies de ce que vous produisez. Tout c’est l’argent l’économie qui va englober la politique, l’indépendance. L’expérience, et l’amour de la patrie. Si on aime son pays et on a rien, nonsenses. Les connaissances arrondies avant les moyens.
    Wa salam

  3. Axelle Kabou a raison. Les aficains de part leur maniére de faire et d’agir, n’ont pas fait le pas vers le developpement. les africains sont devenus des professionnels en polique, du thiahkane. Regardez les televisions africaines: danses, rires betes, musique 24/24
    bref ce continent est dejà dans le trou..

  4. Eh oui, le contenu de ce ce livre reste d’actualité, je fus parmi les premiers à l’avoir acheté le jour de sa parution ! Je conseille à ceux qui ne savent pas qu’il existe, de demander à l’avoir. Jamais jugement sans complaisance n’avait été fait avec autant de lucidité, de courage, même si, il faut le reconnaître, les Afro-pessimiste trouvèrent là une caisse de résonnance de leurs pensées; Il me souviens l’appel de quelques – uns de mes amis de Dakar qui me demandaient si je n’avais pas collaboré avec Axel que j’ai eu l’honneur de connaître alors qu’elle était à Dakar. Je n’aurais enlevé une virgule de tout ce qu’elle expose dans ce livre qui mériterait d’être réédité s’il ne figurait plus sur les rayons des librairies en Afrique ou en France. Elle a eu l’audace de dire ce que beaucoup pense tout bas ! Il suffit de voir ce qu’est devenu Dakar qui ressemble à un gros village, à nos traditions qui n’ont pas beaucoup évoluées, en ce sens que les femmes sont très souvent releguées au rang d’objet de satisfaction des désirs des hommes qui les obligent, compte-tenu d’une absence d’indépendance financière à accepter d’être 2ème, 3ème ou même 4ème épouse ! On peut affirmer, sans risque de se tromper que la seule présence d’un semblant de modernité est incarnée par l’usage que nous faisons des NTIC et des moyens de locomotion, sinon nous pourrions être considérés comme nos parents qui vivent toujours au village, dans le fin fond du Baol, du N’diambour et d’ailleurs . Non , les Africains ne vivent pas encore dans la modernité ! Relisez Axel Kabou !

  5. Votre réflexion n’est juste qu’en partie ! Qui n’entre-nous n’est conscient que si, on faisait venir dans deux pays, : Gabonb, et Guinée Equatoriale, deux millions d’Américains du Nord , de Français, d’ Allemands ou même de Maltais issus de toute Classe Sociale ils n’en feraient pas un pays développé en une seule génération ! Je suis convaincu que si, compte-tenu de leur culture, de l’idée qu’ils ont de l’importaznce à oeuvrer pour mener une vie meilleure ici-bas avant d’aller dans l’au-delà.Ce qui étonne le plue chez nous autres Africzains noirs on donne l’impression que Dieu, le Maître de l’Univers nous aurait confié le monde, en nous exhortant à la prière permanante, à l’égrenage de chapelets alors que les peuples développés s’acharnent à inventer, travailler pour un mieux vivre terrestre. UN VIEUX SENEGALAIS AVAIT L4HABITUDE DE DIRE? VERS LES ANNEES SOIXANTE : Le jour du jugement dernier, si je vois un seul « Blanc » au Paradis, on entendra  » Dieu arrête, Samba arrête » parce qu’il y aurait de la bagarre ! Pour dire l’idée que nous nous faisons de la vie ici-bas qui ne vaut pas la peine !

  6. Pour moi L’Afrique ne refuse pas le développement, c’est qu’elle n’y crois meme pas. En fait, l’Africain ne crois pas en lui, comment voulez-vous dans ce cas que le continent se développe.
    Un exemple: si un modou-modou dit à ses parents africains qu’il compte rentrer et essayer de travailler en Afrique, tout le monde lui rèpètera: » non, ne rentre surtout pas, il n’y a rien ici ».
    S’il n’y a rien en Afrique, c’est que les africains n’y ont rien mis, tout ce qui est enEurope, ce sont les européens qui l’ont mis là-bas.

  7. Assalamu alaikum,moi je me marie avec l’idee de l’auteure,si vraiment les africains voulaient que l’afrique se developpe,ils auraient du creer leur propres politiques,qui prendront en compte leur realites socio-politiques et culturelles

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