Bienvenue dans l’univers bling-bling des footballeurs

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La principale différence avec leurs prédécesseurs: l’entourage. Agent, conseiller spécial, impresario, avocat, frangins, cousins, amis de discothèque…

Le désamour risque d’être total à l’ouverture de la Coupe du monde. Le dépit avait déjà gagné le contingent des supporters de l’équipe de France, affligés par le niveau de jeu proposé par la bande de Thierry Henry et son individualisme. Alors que Franck Ribéry frise la mise en examen, l’audition de plusieurs internationaux comme témoins dans le cadre d’une instruction judiciaire pour des faits de proxénétisme sur mineure, n’est que l’aboutissement d’une dérive de quinze ans: le foot business, la starisation à outrance, et les loulous attirés comme les lucioles.

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Les footballeurs sont-ils pourris jusqu’à la moelle? Peut-être. Etait-ce différent, «avant»? Pas forcément. C’était surtout moins spectaculaire. Mis à part coach Courbis accro aux casinos et aux jeux d’argent, on comptait plutôt une bonne affaire d’adultère dans chaque équipe de la champêtre division 1. En 1981, l’une d’elle, qui concernait deux milieux de terrain de l’AS Saint-Etienne, a pris de grandes proportions: les joueurs concernés étaient également partenaires en équipe de France, et il fallait régler ça avant la Coupe du Monde 1982. Lors d’un stage des Bleus en altitude à Font-Romeu, feu Fernand Sastre, alors président de la FFF, et le sélectionneur Michel Hidalgo avaient organisé une réunion de crise. L’amant a finalement disparu des terrains dans les années 1980 à cause d’une blessure, le mari trompé s’en est sorti grâce à son talent et malgré quelques quolibets des kops adverses.

Courtisans et courtisanes

Aujourd’hui, le joueur de foot de très haut niveau a tendance à avoir une vie plus réglée, tout du moins au début: centre de formation à 15 ans, mariage à 19 ans, premier enfant à 21 ans. On caricature, mais pas tant que ça. La grande différence avec ses prédécesseurs? Son entourage, qui s’est étoffé de façon exponentielle. Agent, conseiller spécial, impresario, avocat, frangins, cousins, amis d’enfance, amis de discothèque… certains footballeurs connus sont autant entourés que le président de la République. Depuis plusieurs mois, Wahiba Ribéry et la belle famille du joueur tentaient d’ailleurs de faire le ménage parmi les courtisans du joueur. Djibril Diawara, ancien milieu défensif du Havre, de Monaco et du Torino, dispense parfois quelques conseils à son petit frère Souleymane, défenseur central viril de l’OM: améliorer son pied gauche et «faire attention à tout ceux qui viennent profiter de toi». Il précise: «A Monaco, je sortais beaucoup, j’avais plein d’amis, on faisait les 400 coups. Puis quand je me suis blessé, quand j’ai dû arrêter ma carrière plus tôt que prévu, ils ont tous disparu. Plus personne n’était là pour moi.» Rencontré en février dernier, Didier Deschamps dissertait sur la «nouvelle génération»: «Les mentalités ont évolué, mais ce n’est pas valable qu’en football. Les relations avec les joueurs sont plus complexes. Moi, si je critique un joueur, c’est pour son bien. S’il y a trois, quatre personnes de son entourage qui interviennent pour lui dire le contraire, pfff… C’est bien plus facile d’entendre des choses agréables, c’est la spécificité de cette génération aussi. Beaucoup de monde gravite autour.»

Parmi ces astres en gravitation, des personnages comme Abou, le patron du Café Zaman, le lieu de débauche sur les Champs-Elysées ciblé au départ par la PJ parisienne dans l’affaire pour laquelle sont entendus des Bleus. Ephémère participant de la Nouvelle Star, d’un bagout à toute épreuve, le bonhomme est bien connu des nuits lyonnaises, où il a frayé avec les jet-setters du coin: les joueurs de l’OL. Avoir un présumé proxénète pour copain peut paraître surprenant. Ça l’est moins si on replace cette fréquentation dans toute la faune qui entoure un footballeur vedette de Ligue 1, prête à tout pour approcher un footballeur, cette corne d’abondance. Combien d’agents ont-ils payé des prostituées à un joueur pour se le mettre dans la poche?

Autour du joueur, il y a aussi des demoiselles, comme miss Alexandra Paressant. Derrière une montagne d’affabulations -beaucoup avaient cru à ses coucheries avec Ronaldinho, alors qu’elle avait plutôt affiché «à son tableau de chasse» une belle brochette de joueurs de Ligue 1- on était tombé sur l’essentiel à la fin de l’interview menée en janvier 2009: «J’ai quitté ma région pour Paris avec un objectif, rencontrer les Worlds Apart. Avec un groupe de filles, on les a traqués pendant des semaines, on arrivait à découvrir leur hôtel, on les suivait dans Paris. C’est ce qui m’a rôdé pour les footballeurs. Il y a des endroits à connaître pour les rencontrer, on se refile leur numéro entre copines.» Début 2009, Libération avait qualifié Paressant de «footfuckeuse». Elles existent. Ce ne sont pas forcément des groupies écervelées: parmi elles, on compte une animatrice télé amatrice de footballeurs fameux et également impliquée dans l’affaire Gasquet. Le monde est petit.

Une Ile de la Tentation 24h/24

Il ne s’agit pas ici de dédouaner les footballeurs en glosant sur de dangereuses prédatrices. Juste de faire un constat. La vie du joueur moderne de l’OM et du Paris-SG ressemble à une «Ile de la Tentation», en continu, 24 heures sur 24, 365 jours sur 365. C’est un poil moins exacerbé dans les clubs moins cotés. Via un copain commun, j’ai passé un week-end au printemps 2008 chez un milieu de terrain de Strasbourg, alors en Ligue 1. Il était blessé. Colin blanc et riz pour garder la ligne à midi, après-midi Playstation et foot anglais. Pas de quoi sauter au plafond. Jusqu’au voyage au stade de la Meinau pour assister au match du Racing et à l’irruption de deux jeunes mères de famille fort apprêtées. Visiblement sous le charme du footballeur, au point de laisser leurs enfants seuls en loge. Après une heure de drague intense, le camarade footballeur a dû trouver une excuse pour partir. Nous sommes allés finir la soirée dans un bar-boîte en Allemagne, où personne ne l’a reconnu pendant qu’il buvait ses bières. C’était… un mec normal. A tel point qu’il a proposé en rigolant d’aller visiter les prostituées du coin.

Quand les tentations ne viennent pas aux joueurs, ce sont les entremetteurs s’en chargent. Dimanche dernier, moins de 24 heures après le début du «scandale», une marque de vêtements organisait une soirée de lancement dans le VIIIe arrondissement parisien. Plusieurs joueurs cotés de L1 (de l’OM, de Lille, de Lorient, de Rennes, du Mans…) étaient invités. Une foule de filles les attendaient. «Un vrai défilé de mode, un océan d’alcool et de fringues offerts. Je n’avais jamais assisté à une telle fête, explique Frédéric, un agent fraîchement débarqué dans le métier. Les joueurs n’avaient qu’à faire leur choix, et les hôtes poussaient même les filles dans les bras des plus timides.» Ironie de l’histoire, un des joueurs proches d’Abou et dans la tourmente médiatique est sorti en généreuse compagnie. Sans se cacher, sans même se préoccuper de son image. Soit les footballeurs sont les rock stars d’aujourd’hui, assumant tous leurs excès. Soit ils n’ont pas encore compris que les casseroles sont vite arrivées.

Une certaine candeur

C’est le cas dans cette histoire, que m’a contée récemment un gradé de la brigade des stupéfiants de Marseille. Le récit d’une nuit en garde à vue, début 2008, pour un défenseur de l’OM, interpellé pour complicité dans un trafic. Il avait prêté une de ses voitures haut de gamme à ses copains, qui s’en étaient servis pour des deals de cannabis. Ce joueur, musulman pratiquant, qui n’a probablement jamais touché à un joint de sa vie, est tombé des nues. «Il ne savait pas! Il était sincère. Aucune charge n’a été retenue contre lui», soupire l’officier. Qui a vu l’histoire se répéter ces derniers mois avec un international tricolore, «qui donne les clés de sa voiture à n’importe qui. A quoi pense-t-il? Des bagnoles comme ça, ça se remarque en plus.»

En 2010, les footballeurs n’ont jamais été aussi entourés. Mais ils n’ont jamais été aussi seuls. Le paradoxe tient à la réduction drastique de tout lien de confiance, à la disparition de toute relation «ordinaire». A l’époque de Bernard Tapie, au carrefour des décennies 1980-90, les joueurs de l’OM n’étaient pas moins fêtards. Mais on se soutenait. Prenez la relation Papin-Tapie. Papin a des problèmes avec sa compagne? Le président marseillais l’envoie se ressourcer pendant une semaine sur le Phocéa, son yacht long de 74 mètres. De gros problèmes? Marc Fratani, attaché parlementaire, chauffeur, garde du corps, bref l’homme à tout faire de Tapie, joue le conseiller matrimonial: «Un soir, peu avant minuit, Tapie m’appelle :  »il faut que tu files chez JPP, sa femme fait une crise d’hystérie ». Mais je ne sais pas où habite Papin! Je vais dans le quartier d’Aix-en-Provence indiqué par Tapie, mais je ne trouve pas. Des voisins, réveillés par mes recherches, alertent la police, qui m’amène finalement chez le couple Papin. Je les découvre en pleurs, et je tente d’apaiser les choses.»

Des rapports de plus en plus éphémères

Attention, toutes ces faveurs ne sont pas désintéressées. Papin racontera comment sa relation «père-fils» s’est désagrégée lorsqu’il est parti au Milan AC. Mais on remarque aujourd’hui que les rapports sont toujours plus éphémères, notamment entre agents et joueurs. «Je sais très bien qu’il est presque impossible de garder un joueur sur toute une carrière, explique Frédéric, le nouvel agent. Le modèle Pape Diouf, qui cocoonait ses poulains sur des années, est terminé. Aujourd’hui, je m’occupe de jeunes joueurs d’un niveau moyen (deuxième partie de classement Ligue1, Ligue2). Quand ils commenceront à être convoités par les grands clubs, ils me lâcheront, parce que le club en question leur dira: soit tu passes par notre circuit, avec nos agents, nos intermédiaires, soit tu ne viens pas. Le choix est souvent vite fait pour le joueur.» Qui peut ainsi changer d’agent (dont la fonction première reste de conseiller -oui, ça fait bizarre de l’écrire) chaque année, s’enfonçant dans un univers toujours plus factice, loin de ses racines.

Marc Roger, ancien agent de Claude Makelele ou Patrick Vieira, l’expliquait encore samedi dernier dans L’Equipe Mag: «Les joueurs, ça ne leur vient même plus à l’idée de te payer un café.» Le temps passe, les transferts sont colossaux, les salaires enflent, le business tourne à plein régime, et le footballeur est coupé progressivement de toutes les réalités. En fait-il d’ailleurs encore partie, de cette réalité? Lors du procès des transferts douteux du Paris-SG, qui s’est achevé mi-avril, le procureur de la République Bruni Nataf a évoqué un concept unique, «la chosification». Il lui fallait expliquer pourquoi les joueurs, dont on a parlé tout le procès et principaux bénéficiaires d’un système «gangréné par l’argent», ne figuraient pas dans le box des accusés: «On ne peut pas, lors des transferts, considérer les joueurs comme des objets, et, lors d’une procédure, comme des objets de droit.» En somme, on ne questionne ni ne punit la marchandise. Dans le foot, la prostituée n’est pas toujours celle qu’on croit.

Mathieu Grégoire

Photo: Dans un bar à Cancun. REUTERS/Gerardo Garcia

slate.fr

1 COMMENTAIRE

  1. A St Etienne, au debut des annees 80, c’etait Larios qui se payait la femme du plus grand joueur francais de tous les temps: l’incomparable Michel Platini. Quelle heresie!

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