Débat sur le Franc Cfa : Les vérités de Ndongo Samba Sylla

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Dans le cadre d’un débat démocratique, les adversaires doivent se vouer un respect mutuel et l’objectif devrait être d’éclairer les citoyens ordinaires, les décideurs publics, etc. Les meilleurs arguments doivent triompher des intérêts partisans. Autant nous devons nous réjouir de l’émergence d’un débat public sur le franc Cfa partout dans l’espace francophone, autant nous devons déplorer le manque de courtoisie et d’honnêteté intellectuelle de nombre de partisans du franc Cfa.
Le manque de courtoisie, pour employer un euphémisme, se manifeste lorsque l’on dénigre ceux qui ne sont pas favorables au maintien du franc Cfa à l’aide de qualificatifs comme «ignorants», «idéologues», etc. Pareille attitude ne permet pas la tenue d’un débat rationnel entre pairs. Les intellectuels qui s’opposent au système franc Cfa parlent en connaissance de cause et ont des arguments solides à faire valoir. Quant au manque d’honnêteté intellectuelle, il se révèle par l’autocensure opportuniste et par le recours systématique à une argumentation insidieuse et biaisée – caricature des arguments des adversaires, occultation des faits troublants, etc.
Lorsque l’on se limite aux faits, et uniquement aux faits, il est impossible, dans le cadre d’un débat démocratique dépouillé de tout oripeau partisan, de souhaiter le maintien du système franc Cfa. Le débat sur les faits est en effet ce qu’il y a de plus dangereux. C’est pourquoi les partisans du franc Cfa n’en veulent pas.
Premier fait irréfutable : le franc Cfa n’a pas favorisé le développement économique des pays qui l’ont en partage. L’ap­partenance à l’espace FCfa (par ce raccourci commode il est fait référence aux deux blocs monétaires distincts que sont l’Uemoa et la Cemac ; la zone Franc en Afrique c’est l’espace FCfa + les Comores) est corrélée avec sous-développement et pauvreté. Parmi les 14 pays de cet espace, 10 sont classés parmi les Pays les moins avancés (Pma) ; les 4 autres (Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Congo) ont de nos jours un niveau économique (Pib par habitant) inférieur au moins à celui des années 90. Sur les 11 pays en bas du classement mondial 2015 de l’Indice de développement humain (indice qui prend en compte le revenu par habitant, le niveau scolaire et l’espérance de vie à la naissance), 6 sont des pays de l’espace FCfa.
Deuxième fait irréfutable : on ne peut pas dire que le franc Cfa ait favorisé l’intégration commerciale du continent. En 2014, les échanges commerciaux au sein de la zone Franc se situaient à moins de 10% du total des exportations et des importations des pays membres. Pour l’Uemoa et la Cemac, on obtient respectivement 19% et 7,1% (voir l’Annuaire Statistique 2016 de la Banque Africaine de Dévelop­pement).
Troisième fait irréfutable : les pays de l’espace FCfa souffrent d’un déficit chronique de crédits bancaires. Le ratio crédits bancaires à l’économie/Pib est de l’ordre de 25% en zone Uemoa et de l’ordre de 13% en zone Cemac alors qu’il se situe en moyenne à plus de 60% pour l’Afrique subsaharienne, 100% en Afrique du Sud, etc. Autrement dit, appartenir à l’espace FCfa c’est être membre d’un espace où les porteurs de projets économiques ont très peu de chances d’obtenir un financement bancaire de moyen-long terme abordable.
Quatrième fait irréfutable : les pays de l’espace FCfa sont ceux qui souffrent le plus des flux financiers illicites en Afrique. Alors que l’espace FCfa représente 11% du Pib du continent, il pèse 18,5% du montant estimé des flux financiers illicites qui sont sortis du continent entre 2004 et 2013 (voir les travaux de la Global Financial Integrity). Chaque jour, c’est ainsi 21 milliards de FCfa en moyenne qui sortent de l’espace FCfa sous forme de flux financiers illicites. Cette réalité est facilitée, on le devine bien, par le principe de libre circulation des capitaux au sein de cet espace.
Compte tenu des faibles performances socioéconomiques des pays de l’espace FCfa et de l’emprise que la France y exerce, il n’est pas surprenant que l’appartenance à la zone Franc ait été et continue d’être synonyme d’instabilité politique et d’autoritarisme. C’est là un cinquième fait irréfutable. Entre 1960 et 2012, cette zone a enregistré 78 tentatives de coups d’Etat, soit près de 40% des tentatives de coups d’Etat dénombrées pour tout le continent africain sur cette période ! De manière générale, on observe que le couple Franc Cfa/ressources naturelles rime souvent avec régime politique autoritaire.
Ces cinq faits irréfutables plaident tous contre le maintien du système franc Cfa en l’état. Les partisans du Franc Cfa les passent d’ordinaire sous silence, préférant servir à l’opinion publique un discours de justification du statu quo. Cette apologie de l’immobilisme monétaire repose sur une série d’affirmations dénuées de fondement. Citons-en deux principales.
Les partisans du franc Cfa soutiennent que la stabilité monétaire permise par la fixité du taux de change entre le franc Cfa et l’euro encourage l’investissement et la croissance. Dans les faits, aucun pays de la zone Franc (à l’exception de la Guinée-équatoriale, pays pétrolier contrôlé par les multinationales et dont l’équivalent de la moitié du Pib est transféré chaque année vers l’étranger) n’a réussi à obtenir un taux de croissance du Pib par habitant de plus de 2% en moyenne annuelle sur le long terme (disons depuis les indépendances). Par comparaison, la Corée du Sud et la Chine ont obtenu des taux de croissance du Pib par habitant de 6-7% en moyenne annuelle sur plus de trois-quatre décennies.
Sur ce point, les partisans du franc Cfa sélectionnent adroitement les faits. Ils vont dire par exemple que le franc Cfa favorise la croissance économique en donnant les exemples des performances économiques actuelles du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, pays qui vivent une conjoncture favorable.
Ce qu’ils ne vont pas dire est que des épisodes d’accélération de la croissance économique ont souvent été observés en Afrique. Mais ces épisodes ont rarement été durables. D’où un constat empirique bien établi dans la littérature économique : en Afrique il est plus facile d’allumer la croissance économique que de la soutenir durablement. Or rien ne dit que la croissance économique récente des pays de l’Uemoa comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire sera durable.
Ce qu’ils ne vont pas dire, est que le Pib par habitant du Sénégal en 2014 était inférieur à celui de 1960 alors que la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara avait un Pib par habitant en 2014 inférieur de 41% au meilleur niveau de Pib par habitant de l’histoire du pays qui a été observé à la fin des années 1970, sous l’ère Houphouët (voir les Indicateurs de développement de la Banque mondiale).
Ce qu’ils ne vont pas dire, est que les pays de la Cemac sont au bord du gouffre depuis la chute ces dernières années des prix des produits primaires.
Ce qu’ils ne vont pas dire est que la soi-disant stabilité monétaire n’est qu’un objectif intermédiaire. Ce n’est pas une finalité en soi. Ce qui importe au bout du compte c’est l’amélioration du bien-être des populations, ce que le Franc Cfa ne permet pas. Que signifie d’ailleurs la stabilité monétaire dans un contexte de paupérisation massive ? Sans doute que ceux qui veulent transférer vers le reste du monde leurs avoirs peuvent le faire sans encourir de risque de change.
Les partisans du franc Cfa soutiennent également que le franc Cfa est un mécanisme pour préserver le pouvoir d’achat des populations. L’inflation, terme pour désigner la hausse des prix d’une période à une autre, est certes en moyenne plus faible dans les pays de l’espace FCfa. Mais l’obsession anti-inflationniste dans cet espace a pour contrepartie une croissance économique en-dessous du potentiel des pays membres. Ce point a été mis en évidence par beaucoup de travaux économiques. Moins de croissance économique, c’est moins d’emplois décents et moins de revenus distribués aux ménages.
En réalité, le franc Cfa permet de préserver le pouvoir d’achat de ceux qui ont un revenu important- les classes les plus aisées. Il ne permet pas de créer du pouvoir d’achat pour ceux qui n’ont pas de revenus et ceux dont les revenus sont insuffisants. Cette célébration du faible taux d’inflation dans le contexte de pays pauvres est d’autant plus risible qu’une ville comme Dakar fait partie des villes les plus «chères» au monde – c’est-à-dire des villes où le coût de la vie est l’un des plus élevés au monde.
Parallèlement, l’argument est souvent avancé par les partisans du franc Cfa qu’un faible taux d’inflation facilite l’octroi de crédits bancaires à des taux abordables. Ceci n’est pas vérifié dans l’espace FCfa. Non seulement les crédits bancaires sont faibles, mais encore les taux d’intérêt bancaires sont prohibitifs.
Faute d’avoir un argument économique décisif en faveur du maintien du Franc Cfa, les partisans du Franc Cfa tendent à mobiliser le registre des déclarations comminatoires : «Si on sort du franc Cfa, ce sera le chaos monétaire». Et pour illustrer leur point de vue, ils vont citer des exemples comme le Nigéria, la Guinée, etc. Ils vont dire que certains pays voisins non-membres de l’espace FCfa ont plus confiance dans le Franc Cfa que dans leur monnaie nationale.
Le manque d’honnêteté intellectuelle repose ici dans la sélection de contre-exemples, c’est-à-dire des pays qui ne sont pas, à dire vrai, des parangons de souveraineté économique (la monnaie est une dimension parmi d’autres de la souveraineté économique). La Tunisie, le Maroc et l’Algérie étaient membres de la zone Franc et l’ont quittée au moment des indépendances (respectivement en 1958, 1959 et 1963). Chacun d’entre eux dispose de sa monnaie nationale et a une situation économique plus enviable que n’importe lequel des pays de l’espace FCfa. Sortir du franc Cfa = chaos monétaire programmé ? Si ceci était le cas, pourquoi la Tunisie, le Maroc et l’Algérie n’ont pas vécu un effondrement monétaire ? Pourquoi donner l’exemple du Nigéria ou de la Guinée alors que nous avons l’expérience plus parlante de pays de la zone Franc qui ont fait très tôt le choix résolu de la souveraineté économique ? Pourquoi choisir des pays qui ont une gestion monétaire loin d’être exemplaire alors qu’il y en a beaucoup d’autres à travers le monde qui ont réussi à se développer économiquement grâce à une gestion monétaire souveraine et pragmatique ? A nouveau, la réponse est le manque d’honnêteté intellectuelle.
Dire non au Franc Cfa n’est pas faire de l’«idéologie» ou verser dans le nationalisme primaire. Les partisans du franc Cfa gagneraient à faire preuve de moins de snobisme intellectuel et à tenir au sérieux les arguments de leurs adversaires, qui ne sont pas leurs ennemis. Il est temps qu’ils sortent de leur tour d’ivoire technique pour répondre aux questions sensées que n’importe quel citoyen africain ne peut manquer de se poser une fois qu’on lui parle des relations monétaires entre la France et l’Afrique.
Est-il normal que la France continue de gérer la monnaie des pays africains près de soixante ans après les indépendances ? A-t-on déjà vu un pays ou un groupe de pays d’une taille significative se développer sur le plan économique avec une monnaie coloniale – créée, administrée et «garantie» par l’ex-puissance coloniale ?
Faute de s’être ouvertement prononcés là-dessus, sous le prétexte qu’ils ne parlent que des choses techniques et jamais de «politique», les partisans du Franc Cfa répondent implicitement par l’affirmative sur ces deux questions. Pour nous autres qui sommes pour une sortie collective méthodique du système Franc Cfa, la réponse ne souffre aucune ambiguïté. C’est Non dans les deux cas.

Ndongo Samba SYLLA

4 Commentaires

  1. La sortie ou non de la zone CFA pour adopter une monnaie commune dépend seulement de la volonté politique des chefs d’état. Toutes les études à ce sujet ont déjà été faites depuis des décennies. Les préalables qu’ils cherchent à mettre en œuvre, pour réaliser la mise en place de la monnaie unique- les fameuses critères de convergence- ne seront jamais atteints ensemble par les différents pays de la zones cfa vus les niveaux de production faibles de leurs économies. Toutes choses déjà relevées dans le texte ci-dessus.

  2. vous n’avez fait que reprendre des discours déjà entendus. Plusieurs théoriciens ont en effet développé l’idée selon laquelle , le fcfa ne guère un décollage économique. Cependant, il est impératif de faire une lecture sociopolitique des sociétés africaines pour se positionner sur cette question. les niveaux de développement ne sont point homogènes. Ce qui affecte l’intégration sous-régionale avec notamment les réticences de certains Etats pour une harmonisation des politiques économiques. Il ne faut ainsi mettre la charrue avant les boeufs. Des défis immenses sont à relever en premier temps avant de decider de se retirer du Fcfa.

  3. Les défenseurs du francs CFA n’ont qu’une argumentation infantile. La raison en est qu’ils tirent cette argumentation de la tutelle coloniale, la France, celle là qui est la seule à trouver un intérêt au maintien du CFA, et qui obtient cet intérêt en infantilisant ceux sur qui elle tire cet intérêt. Osons appeler un chat un chat. La seule raison pour laquelle, 60 ans après l’indépendance, nous continuons toujours d’utiliser cette monnaie coloniale pour l’intérêt de la France et pour notre malheur, c’est uniquement parce beaucoup de nos élites sont de grands enfants qui ont accepté de l’être pour les petits intérêts qu’ils y gagnent ou par peur. Notez les différentes argumentations des défenseurs du CFA: économies des pays de la zone CFA non homogènes, donc impossible de quitter le CFA, nos économies sont faibles, donc quitter le CFA entraînera un désastre monétaire; Papa France nous assure la convertibilité, donc si elle ne l’assure plus nous seront foutus, etc, et autres niaiseries du genre. Quand vous entendrez l’un des débiles défenseurs du CFA argumenter de la sorte, posez lui seulement une question, à savoir s’il est un homme ou une femmelette, s’il se croit pleinement être humain comme tous les autres, ou s’ils se considère comme humain de seconde zone qui n’a et n’aura jamais le bagage intellectuel nécessaire pour faire face au monde. Un être humain qui ne se sous estime pas, se dira toujours que puisqu’un humain l’a réussi, alors lui il le peut, ou le pourrait. Mais se mettre en tête, et défendre sans honte, que la France l’a réussi, mais que nous, pauvres pays de nègres, damnés de la terre, nous ne le réussirons jamais, est le point le plus bas qu’un être puisse s’imaginer se trouver. J’enrage quand je lis quelqu’un qui se dit intellectuel, ou qui est pris comme tel, défendre de pareilles choses. Et à chaque fois je me dis que du haut du ciel, Dieu doit regarder cet africain avec un de ces mépris…. Honte à tous les défenseurs de cette monnaie coloniale.

  4. Cette offensive contre le franc cfa est devenue suspecte. Orchestration médiatique soutenue et des acteurs qui ne sont rien d’autres que des avatars d’ONG souterrains bien intéressés qui finance l’opération. DE TOUTE FAÇON, L’HEURE DE VERITE APPROCHE ET TOUT VA SE SAVOIR.
    Au passage, je voudrais souligner que les pays du Maghreb n’étaient pas en union monétaire quand ils quittaient la zone franc. Le problème n’est peut-être pas de quitter le franc CFA. si le schéma de sortie est celui de la monnaie unique de la CEDEAO, vous enfoncez des portes ouvertes. Et puis comparez des choses comparables. La structure des exportations de la Chine n’ont rien à voir avec celle des pays de l’UEMOA.

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