« Dr. Tariq Ramadan : Le devoir de vérité sur un ami » (Par Dr. Moustapha)

Les péripéties de la vie de notre frère, Dr. Tariq Ramadan, nous poussent à réfléchir sur l’homme et son message à la lumière de notre récente lecture de son livre Devoir de Vérité publié en 2019. Pendant une vingtaine d’années, nous sommes parmi ses admirateurs. Nous l’avons suivi de près. Nous avons participé à ses conférences suivies par des milliers de personnes. Nous avons lu presque tous ses livres et écouté un nombre considérable de ses cassettes et vidéos où il défend les causes de l’Islam avec clarté, respect et pertinence. Pendant une trente années de travail sur le terrain, il a su défendre la cause des plus démunis, fustigé les pétromonarchies du golfe et plaidé pour la cause de la Palestine.  L’homme impressionnait de par ses prises de positions braves, de ses sorties médiatiques triomphantes et triomphales. Le surnom de « Luther musulman » collait bien avec son ardent désir d’une reforme radicale dans la pensée islamique. En lui, nous avons vu un partenaire sérieux, un orateur hors-pair qui savait défendre l’islam bec et ongles contre les ennemis de l’islam dans les émissions de télévisions. Il démontait les arguments de ses adversaires les plus redoutables dans l’exercice de la rhétorique et l’esprit critique. Le Time Magazine le place parmi les cent penseurs les plus influents du monde. Bref, il forçait le respect, l’estime et bénéficiait de tous les honneurs et de toutes les amours inconditionnelles de millions de musulmans à travers le monde.

Coup de théâtre, tout changea quand la première plainte de viol fut introduite contre lui le 20 octobre 2017 par une ex-salafiste du nom de Henda Ayari qui précipita la « chute » de l’homme et ouvra la boite de pandore d’autres accusations de viols en France, en Suisse et aux États-Unis. Les jours et les mois passèrent, les plaintes de viol se succédèrent en cascade comme de foudroyants coups de tonnerres sur le ciel carcéral de Fleury-Mérogis où l’homme était dans un confinement solitaire pendant neuf mois et demi, loin de sa famille et de ses proches. Ces détracteurs et détractrices jubilaient et s’attroupaient autour de l’autel télévisuel de sacrifice où l’avaient attendu pas mal de ses ennemis, de la trempe de Caroline Fourest, qui voulaient sa peau pendant très longtemps. « Imposteur », « hypocrite », « bandit », « violeur », « trompeur » et que je ne sais-encore… les qualificatifs fusaient de partout et ne manquaient aucune occasion pour juger et condamner l’homme avant qu’il ne soit jugé par le tribunal.

 Nous, qui sommes parmi ses fidèles admirateurs qui l’avons lu et relu, avons certes pris un coup dur et senti la trahison. Néanmoins, nous avons su suspendre notre jugement le temps d’une découverte, le temps d’un verdict de justice. Et même si ce jugement devait se faire aujourd’hui, il ne saurait jamais se faire sur l’homme mais sur ses actes car nul ne doit juger les âmes.  Très tôt dans notre formation coranique, nous avons appris à ne jamais confondre le message avec l’homme.  Autrement dit, nous avons compris que l’homme n’est pas le message et le message n’est pas l’homme. Malgré tout, nous n’avons jamais douté d’une seconde de la bonté et de la sincérité du cœur de Tariq et son amour de Dieu, du prophète et de l’Islam. Nous avons su aussi qu’il est un simple mortel qui a ses faiblesses, qui lutte toujours avec ses tensions internes, contre ses manquements comme tout autre humain. Et la grandeur de cet homme, c’est qu’il a découvert sa « petitesse » dans ce long processus de cheminent vers son Seigneur où il a reconnu ses manquements.

S’il fallait juger les actes de l’homme aujourd’hui, nous aurions dit qu’il a dû « s’éloigner » de Dieu dans ses trente années de service pour le compte l’humanité. Plus qu’un rappel, cependant, cette « chute » au regard du tribunal de l’humanité, est tout simplement une élévation spirituelle vers son Seigneur qui lui rappelle l’essentiel et l’urgence d’un cœur qui doit se déconnecter des parures monde terrestre pour vivre la toute plénitude de son intimité avec son Seigneur.

Et l’homme l’a si bien compris qu’il proféra ses mots : « […] à parcourir le monde, j’avais oublié et déserté mon cœur. Je l’avais cru « terre connue et apprivoisée » alors que je l’avais tant négligé et délaissé. Le cœur est un jardin qui exige des soins de l’attention et de la délicatesse. Pour que les plantes, les fleurs et les fruits s’épanouissent, il faut l’habiter, l’écouter, l’entretenir. Les murs de ma prison m’ont invité à cultiver mon jardin » (Ramadan, 2019).

Au regard des propos de l’homme, devrions-nous aussi suspendre nos jugements sur les humains et à nous atteler à cultiver notre propre jardin?

Certes les propos subversifs de Jésus restent éternels et s’appliquent aux humains de tous les temps et de tous les espaces : « Que celui qui n’a jamais péché, jette la première pierre » (Jn 8,7)

Continuez votre chemin, cher frère Tariq… en attendant que justice fasse son travail… !  

Dr. Moustapha Fall, Enseignant-chercheur.