Edito : Cette presse qui…”détruit” (Par Mansour Dieng, Icône)

M. Fall ( nom d’emprunt ) est un industriel bien connu et qui s’est fait par la force du poignet. Son entreprise qui emploie plusieurs centaines de sénégalais d’horizons divers évolue dans un secteur vital pour l’économie sénégalaise. Au-delà du fait qu’il soit une figure de proue du patronat sénégalais, il est considéré comme l’un des acteurs les plus assidus du monde du mécénat et de l’humanitaire.

Sa notoriété qui a fait le tour du Sénégal et de la sous-région, est à l’image de ses des bonnes actions et de sa réussite qui forcent l’admiration. Suffisant pour qu’un magazine, se disant people, s’intéressât à sa vie privée. Sachant que les moindres faits et gestes de cette icône de la réussite, mais père de famille, allaient intéresser un lectorat sénégalais très friand de rumeurs et avide de sensationnel, le magazine lui tailla, à sa Une, une histoire rocambolesque de relations extraconjugales basée sur la rumeur et des infos non vérifiées.

Ce qui s’en suivit, c’est le divorce d’avec sa deuxième femme qui prétendait ne plus pouvoir vivre avec un homme qui la trompait et qui l’a humiliée. Car la Une du magazine, vendu comme des petits pains, a fait le ‘’buzz’’ pendant des semaines dans les salons feutrés et autres grands-places.

Les enfants de M. Fall, meurtris, n’ont jamais compris pourquoi leurs parents ne pouvaient plus vivre ensemble.

Coumba Ndiaye ( nom d’emprunt ) elle, n’est pas prête d’oublier le jour où elle a tenté de se suicider. Accro d’internet, de Face book et de Twiter, elle tomba, à force de naviguer, sur un papier posté dans un site qui parlait d’un membre de sa famille en des termes inconvenants et orduriers. Elle ne put s’empêcher de lire les commentaires des internautes Ce qu’elle ne devait pas faire ! Car elle découvrit, selon un internaute qui s’est lâchement vautré sous la couverture fallacieuse de l’anonymat, que son père, homme d’affaires notoire, est un escroc doublé d’homosexuel et que, elle et sa fratrie, étaient le fruit des escapades et amours interdits de leur génitrice qui était loin d’être un modèle de fidélité vis-à-vis de son mari.

C’est à l’hôpital, où elle venait d’être sauvée, après avoir ingurgité des barbituriques, que l’on sut le pourquoi de sa tentative de suicide. Une ‘’amie’’ de sa mère, longtemps jalouse de la réussite de leur famille, était passée par là. Profitant de l’anonymat que lui permettait l’internet, cette voisine ne s’est pas faite priée pour assouvir, avec une méchanceté gratuite, une prétendue vengeance sur le destin.

Ces deux histoires bien vécues, témoignent du fait que l’heure est grave. Et l’adresse du président Macky Sall, lors de la présentation des vœux de la presse, est venue enfoncer le clou, dans ce que le sénégalais commun considère comme une dérive, sans précédent, dans l’histoire de la presse au Sénégal.

Emu par les cris d’orfraie d’une dame, non encore au bout de sa peine et décontenancée par la violation, sans frais, de sa vie privée et qui n’a d’autres recours que le président de la République, Macky Sall n’a pu se retenir. Son cri d’alarme devant les patrons de presse, qu’il regardait les yeux dans les yeux pour leur dire, doctement, que la presse est un outil très puissant, mais qui peut se révéler être dangereux. Il est vrai que quand celle-ci piétine les fondamentaux de la profession que sont : l’éthique et la déontologie, elle devient un monstre dangereux et incoercible.

L’information dite people ne saurait être une information particulièrement hybride. Elle doit obéir aux principes sacro-saints des règles qui régissent la pratique du journalisme. Comme toutes les informations, elle est faite pour être vérifiée et recoupée. Et même si elle est avérée, il faut encore qu’elle soit publiable. Car il y a des informations qui peuvent porter préjudice à toute une famille, toute une communauté ou toute une institution. Et le président de la République, l’institution suprême de la nation, en a fait, tout récemment, les frais par la publication par un quotidien de la place d’une information qui relevait plus de l’enfantillage que d’une information juste et vraie, crédible, vérifiée et recoupée.

L’autre plaie béante, ce sont les dérives dans la presse en ligne. Et Macky Sall ne s’est pas ménagé pour les décrier et les dénoncer. Il a non seulement touché du doigt une pratique qui gangrène ce secteur, c’est-à-dire les commentaires gratuits et injurieux, mais il a aussi décrété que les propriétaires de sites doivent être les responsables de leur contenu. Car si la liberté d’expression et d’opinion est un droit, la responsabilité est un devoir.
Il est vrai qu’après l’interpellation du Chef de l’Etat, l’Association des Editeurs et Professionnels de la Presse en Ligne ( APPEL ) a rué sur les brancards à cause des multiples commentaires faits à leur encontre par diverses personnalités. Cependant il est de leur devoir de faire une introspection car c’est sur la sacro-sainte liberté de la presse consacrée par la loi sénégalaise et les énormes efforts de modération des forums faits par les médias on-line que l’APPEL s’appuie pour défendre ses membres.

Pendant que des personnalités comme Moustapha Diakhaté de l’Assemblée nationale veulent que les responsables des médias one-line s’expliquent sur ce qu’ils appellent les ‘’dérives’’ sur les commentaires en ligne, -ce qui est du reste avéré, les éditeurs membres de la presse en ligne se disent bien au fait de la chose. En effet, avouent-ils, ils sont bien conscients de leurs responsabilités et ont été les premiers à combattre les ‘’dérives’’ et commentaires attentatoires qui seraient à l’origine de cette levée de bouclier contre la presse en ligne ces temps-ci.

Ils sont d’accord, affirment-ils, pour la modération mais pas pour une censure ou une éventuelle suppression de ces espaces. C’est, pour eux, un principe sacro-saint consacré par l’article 5 de la loi sénégalaise d’orientation sur la société de l’information ; et mieux encore, par la Charte universelle des Droits de l’Homme. Ce qu’ils demandent, c’est un débat constructif et inclusif pour tenter de trouver des solutions durables aux problèmes de la presse en ligne de manière générale au grand bonheur de tout le monde. Ils veulent des concertations structurées, avec un échéancier précis, qui vont regrouper tous les acteurs.

L’APPEL n’a pas manqué de rappeler que depuis deux ans, les sites d’information sénégalais ont fait d’énormes efforts de modération des forums, cela au prix d’une lourde perte en trafic web, préjudiciable au modèle économique de ces organes en ligne. Et que, si par le passé, des abus ont été notés dans ce sens, la presse en ligne, en son sein, a fait une prise de conscience.

C’est tout ce que l’on demande, de part et d’autre, pour que la graine soit séparée de l’ivraie qui, elle, œuvre pour la cannibalisation de ce secteur qui fait partie intégrante de la presse en générale.

Je me doute qu’on pourrait me taxer de manquer de confraternité et de scier la branche sur laquelle je suis, moi-même, assis. Mais ce que l’on doit savoir c’est que je suis un homme de conviction et j’assume toujours mes idées et mes positions. Et, ceci, sans concession !

Par Mansour Dieng, Icône