Femmes et petits commerces de fortune: survivre dans l’informel

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De plus en plus de femmes assument seules la charge de leur ménage par le biais de commerces informels « de survie ». Tranche de vie de quelques unes d’entre elles dans leur fief : un microcosme de marché, situé au rond point Marimar, à la Scat urbam. Reportage.

Arpenter les ruelles des quartiers de Dakar, périmètre éphémère du commerce alimentaire…. Là où se passe le sempiternel duel au soleil entre les commerçantes de petites tables de fortune et les femmes au foyer avides des derniers nécessaires pour le repas de midi. Une véritable saga, qui ferait un bon scénario de théâtres populaires. Ami, filiforme, foulard de circonstance, engage le marchandage avec un joli sourire. Elle veut tout avec seulement 500 frs cfa ! elle dit : « C’est à combien ce tas d’oseille ? » la vendeuse, distraite par les nombreuses sollicitations, répond sans lever la tête : « 25 frs ! » ainsi, se rythme ce marché du matin, situé au rond point Marimar à la Scat urbam.

Faire ses courses dans les petits commerces informels, c’est un peu retourner aux sources, vivre les saveurs et l’ambiance d’un quartier de région où tout le monde se tutoie. Un regard poétique révèle l’atmosphère chaleureuse, les charmes et les produits incontournables qu’offre chaque étal. Le marché c’est bien. il a ce côté rétro qui rassure. Acheter sur le marché c’est se persuader qu’on a accès aux meilleurs produits, meilleurs encore que ceux qui sont proposés par ces commerçantes qui font désormais partie du décor. Sans a priori et avec allégresse, commençons à parcourir ces étals. Après un premier passage, on élimine directement ces carottes dont l’exposition au soleil a rendu la peau ridée, ces salades moisies par l’air du temps. Et on opte pour ce machoiron fumé, le chou et les navets qui viennent tout droit du marché et dont la vendeuse n’a pas encore fait endormir chez elle. Elle dit : « parfois on n’a pas le choix, les produits achetés frais le matin passent la nuit à la maison à cause des invendus ». La table évaluée vaut 25oo frs, parfois moins. « De temps en temps, le porte-monnaie n’est pas garnie, on est alors obligé d’acheter 1000 franc de condiments au marché Castor, à la fin de la journée on peut avoir un bénéfice de 500 francs ou plus. Les invendus serviront pour le repas de midi ».

C’est mignon. Elles se ressemblent toutes. Aec leurs boubous bariolés et leurs mouchoirs de tête, leurs visages torturés par la chaleur, leurs monceaux de cartons et emballages sur l’arrière de leurs tables. Entre deux échanges de monnaies entre les quatre camarades qui occupent l’angle du rond point Marimar, la fête commence…. C’est la remontée dans le temps en parcourant le tour des étals. Effarant !

La poissonnière : elle liquide les invendus de la semaine et se place en concurrence directe avec « Mon copain », le poissonnier branché du coin. Sa stratégie consiste à casser les prix de ses poissons et les brader. Avec son concurrent, ils ont en commun l’odeur du poisson frelaté. Très populo, elle invective les chalands avec une franche camaraderie. C’est la star des mamys et des « dieks » à qui il ne faut pas en raconter. Virtuose des brèves de comptoir, elle déverse ses sous-entendus haineux avec une jovialité à faire pleurer et le public hilare se bouscule devant son comptoir. Entre deux éclats de son rire cristallin, elle revient à l’essentiel en laissant les potins de côté : « Du poisson frais et à petit prix ! Acheter mes poissons pour un bon tiébou dieune ! »

La marchande de poisson fumée. Elle a la figure de l’emploi : rustre, en bleu de travail et presque avec un accent du terroir indéfini. Elle malaxe ses mains rugueuses sur ses produits, jette par endroit un regard sur son entourage et lance : « ce sont des produits de la Casamance, c’est pourquoi je vends l’unité à 1OO frs. »

Le crémier et la crémière. c’est le duo de stars du coin. ils vendent aussi des fruits sortis tout droit du carton marqué : extra frais… Oh ! cool ! ah, elle est là, son étal était masqué par la présence olfactive des poissonniers concurrents. « Je peux avoir 25 frs de lait caillé ? » la dame détourne son regard de l’acheteuse et répond par le mépris. Le bonhomme, sans doute son époux, répond avec un énervement qui frise la crise cardiaque : « Où est ce que tu as vu du lait caillé à 25 frs ? Le prix minimal est de 5O frs, si tu ne l’as pas, tu peux aller voir ailleurs. » oh ! Du calme.

La convivialité. c’est ce qui fait le charme du coin. clients et négociants sont vraisemblablement séduits par le contact humain durant la vente ou les emplettes. « Ce qui est bien ici, c’est que les clientes et les commerçantes ont noué de bonnes relations humaines. Même si tu n’as pas d’argent, tu peux prendre à crédit », s’exclame une dame enthousiaste. C’est, peut être, ce qui fidélise la clientèle : « Certains qui ont déménagé reviennent ici faire leur course, ou même juste pour dire bonjour », insiste Mariéme. Du côté de la bourse, on y trouve aussi son compte. La légumière Ndéye Fatou constate que les clientes sont très regardantes. Mais elle est formelle : « quoi qu’on dise, on vend des produits frais et au même prix que le marché ». Si vous le dites ! amie, 25 ans, trouve ainsi son compte, mais relativise. « C’est parfois un peu plus cher mais ça vaut la peine de venir ici. Cela vous épargne le déplacement au marché. Puis, on finit par tisser de bonnes relations avec les gens. C’est très sympathique. »

C’est extraordinaire, la loi de la jungle sur le marché… Elles vendent tout et n’importe quoi… Elles sont gentilles, vous flattent, vous offrent même une poignée de queues de persil gratuitement, elles vous racontent des banalités et conversent comme autant de « fatou » avec ces affligeantes conversations populistes d’un autre siècle. Ca respire fort le Sénégal des profondeurs. c’est le Sénégal attaché à sa chère téranga (hospitalité), celle des terroirs mourants. le ton est le même dans toute la région et tout ce qui est proposé est standardisé, formaté : même goût, même prix, même provenance….

LE SYSTEME DE TAXATION
L’enfer des femmes

Généralement, les femmes représentent toujours les effectifs les plus importants parmi les vendeurs de produits « pauvres » à faible valeur ajoutée, particulièrement l’alimentaire (vente de légumes et condiments). elles sont majoritaires dans la périphérie des grands marchés, « l’informel » et sur les marchés de quartier. En effet dans de nombreuses contrées, leur activité économique est devenue indispensable à la survie des ménages compte tenu de la détérioration des conditions socio-économiques.

Pourtant, elles ne sont guère encouragées. le système de taxation des marchés est en général peu transparent et ce sont les femmes qui en pâtissent le plus. Les vendeuses de produits pauvres sont exposées à l’arbitraire, à la fraude dans la collecte des taxes. Quant aux « informelles » des abords des marchés, elles sont souvent soumises à plusieurs taxes plus ou moins « officielles » pour éviter les harcèlements et obtenir le droit de vendre dans la rue. De ce fait, les commerçantes de rue comme les vendeuses de produits pauvres paient souvent plus que les commerces « riches ». De par leur commerce et leurs obligations familiales, les femmes, surtout dans l’alimentaire sont souvent à temps partiel dans les marchés, contrairement aux hommes. Elles ont donc besoin d’arrangements spécifiques pour garantir leur droit à l’emplacement à un tarif abordable.

Aïssatou LAYE

lagazette.sn

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