[Guest-Editorial] Tout est urgent, rien ne presse. Par Abdoulaye Ndiaga Sylla

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S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par argument. » Hannah Arendt

Escorté en 2000 par un état de grâce qui n’en finissait pas, Me Abdoulaye Wade avait pu s’installer dans ses meubles de premier magistrat du pays, sans subir la pression des urgences. La demande sociale, si forte qu’elle avait été n’avait pas souffert d’attendre un traitement différé. Le temps ne lui était pas compté. Le Parti socialiste, pratiquement la seule souche d’opposition dans le terreau national, envoyé dans les cordes au soir du 19 mars, était plus préoccupé par la gestion de ses affaires domestiques avec la vague des transhumants. Me Wade, en son Palais, pouvait alors donner du temps au temps, multiplier les bains de foule.

Au-delà du raisonnable, et sur le ton du «Bayilène gorgui mu liguey» – laissez le Vieux travailler-, les acteurs de l’espace public lui ouvraient de larges boulevards. On sait ce qu’il en a coûté aux populations rurales, à celles des bourgs, faubourgs et banlieues, aux forces politiques qui avaient fait bloc avec le Parti démocratique sénégalais (Pds) pour forcer les portes de l’alternance.

Les comptes d’une gouvernance erratique étant soldés le 25 mars dernier et l’épisode Wade clos, la séquence Macky Sall déroule un tout autre scénario. L’ancien ministre, Premier ministre, président de l’Assemblée nationale replonge dans la gestion des affaires publiques où la perspective temporelle est mince, incertaine, volage. Tout, tout de suite. Comme si la saison des soldes était ouverte avant l’heure, avec Père Noel accueilli en plein été.

Le quatrième chef de l’Etat du Sénégal pose des actes incitant à penser qu’il se laisse porter par la vague. Mieux élu que son prédécesseur, il est bien à sa place et n’a donc pas des gages à donner en engageant une course contre la montre. Sa mandature l’inscrit dans la durée et s’il doit se presser dans le traitement de certains dossiers, autant le faire lentement. L’instant n’est pas son temps. La gouvernance ne saurait être réduite à la seule volonté manifestée de respecter les promesses électorales. Les Sénégalais ne l’ont pas seulement élu pour être mieux armés à faire face à la conjoncture, mais pour assumer complètement leur part d’humain dans un monde gouverné par la vitesse et la compétition.

«Yonu Yookuté» – le chemin, la voie du progrès – son programme fondée sur une vision, des objectifs bien définis et la mise en œuvre de moyens pour l’atteindre, n’est pas une prescription pour traiter de manière urgente, le Sénégal, un grand malade. Les orientations dégagées, il reste au Premier ministre qui, pour l’heure s’installe dans ce rôle, de les traduire en résultats. A vouloir donner des gages de sa fidélité à des engagements dans des délais aussi courts comme si la tyrannie de l’horloge lui était imposée, Macky Sall court le risque de fragiliser sa posture. Le fusible, dans la sphère de l’Exécutif, ce n’est pas lui, sauf s’il décide, alors que rien ne l’y oblige, de se mettre en première ligne, en se mêlant de tout, pour en définitive, et malgré les effets d’annonce, ne régler rien.

La volonté de bien faire du nouveau locataire du Palais de la République est certes à saluer, mais la République n’en sera pas une, si la personnalité qui l’incarne au plus haut niveau de représentation dans cette forme de régime affaiblit ou tue, par les actes, son mythe fondateur. C’est dire que le président Macky Sall doit prendre de la hauteur, incarner l’Autorité sans glisser dans l’autoritarisme, mieux occuper l’espace aménagé par la Constitution du pays et affecté par plus de 65% de l’électorat. Cette posture ne peut l’empêcher, à quelques encablures d’élections législatives parties pour être très ouvertes, de battre campagne en s’appuyant sur son coefficient personnel pour contrôler l’Assemblée nationale. Un impératif car, si l’opposition libérale, les mouvements citoyens présentant des listes pour les législatives et des franges ou éléments de la coalition «Benno bokk Yaakaar » arrivaient, par le jeu des « combinazione » à faire bloc pour constituer une majorité, le pays pourrait courir le risque d’une ingouvernabilité.

Il serait du reste salutaire, dans le train de mesures à prendre et des réformes envisagées pour le renforcement de la démocratie, de l’Etat de droit, d’inscrire la promotion de la bonne gouvernance, l’obligation, à tous les niveaux de responsabilité dans l’Etat, de rendre compte, que le président Macky Sall prenne des initiatives. Elles pourraient intéresser l’incompatibilité entre les fonctions de chef de l’Etat et de responsable de parti politique, les immunités, la dissolution du Sénat ou le changement du mode de choix de ses membres, un autre procédé de désignation des membres du Conseil constitutionnel, la procédure de dévolution du pouvoir en cas de vacance , la déclaration de patrimoine avec une justification des biens avant et après tout accès à des responsabilités dans la sphère de l’Etat et de ses démembrements, la réforme judiciaire…
sudonline.sn

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