Imam Kanté: « La précision de l’astronomie moderne ne peut plus être négligée par la Oumma »

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Imam de la mosquée du Point-E, haut lieu de débats et d’échanges, Ahmadou Kanté est l’un des penseurs les plus écoutés de sa génération. Cette notoriété, il commence à l’acquérir à la Mosquée de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar qu’il dirigea pendant dix ans. A l’Université, l’imam n’a pas fait que diriger la prière. Ahmadou Kanté y a décroché aussi un diplôme de l’Institut des Sciences de l’Environnement (ISE/UCAD). Solides études arabes et islamiques au Sénégal puis au Maroc, Imam Kanté est auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels « naufrage du bateau le Joola, « Axiruz Zaman » et encore « Comment psalmodier le Coran ». Le prochain à paraître est consacré à l’apport de l’astronomie dans l’observation du croissant lunaire. Un sujet au centre de l’entretien que l’imam a accordé à Reussirbusiness.com …


Reussirbusiness: Imam, vous êtes l’auteur d’un livre à paraître bientôt sur l’observation du croissant lunaire dénommé « Astronomie et Charia, la Oumma peut-elle guérir de ses malaises de Lune? Avant d’entrer dans le coeur du livre, dites-nous comment est né le calendrier musulman ?

Ahmadou Kanté:   Tout est parti du Calife Umar ibn Al Khattab (qu’Allah l’agrée). Confronté aux problèmes des lettres qui lui venaient de ses gouverneurs, qu’on arrivait pas à dater , à fixer dans le temps, il a fait un effort de réflexion (ijtihad) extrêmement intéressant sur le sujet et a invité ses conseillers au même exercice. Ainsi, une discussion approfondie a eu lieu entre compagnons pour trouver une date repère, un point de référence musulmane.  Et il parait que c’est le Calife, lui même qui proposa l’exil comme date de référence musulmane. Des conseillers avaient proposé la naissance du Prophète et d’autres repères encore, mais au finish ils se sont entendus sur la date de l’hégire, symbole d’un mouvement qui changea le monde.  Il faut dire aussi que malgré cette entente, cela n’avait pas encore vraiment toutes les composantes d’un calendrier en tant que tel. A l’époque des fatimides, un calendrier fut adopté avant d’être abandonné suite à des changements de régimes politiques. Mais ce n’était pas un calendrier basé sur un calcul astronomique précis.

Reussirbusiness:  En vous entendant, on voit que les controverses ont la dent dure. Aujourd’hui  vous proposez dans votre nouvel ouvrage: le recours à l’Astronomie pour parfaire le calendrier musulman et par ricochet l’observation du croissant lunaire ?

Ahmadou Kanté: Depuis des siècles, il y’a des controverses autour du calendrier musulman. Pourquoi ? Eh bien, il y’a des Hadiths qui lient la détermination du mois lunaire à l’observation oculaire. Des oulémas surtout anciens, en ont tiré une interprétation selon laquelle le mois lunaire commence avec l’observation oculaire au soir du 29eme jours du mois en cours. Si on voit le nouveau croissant le mois de Ramadan débute le lendemain et si on ne le voit pas à cause de l’état de l’atmosphère, on compte 30 jours le mois en cours et le mois suivant commence le surlendemain. Mais, les recherches et les interprétations ne sont pas restées statiques . Elles ont évoluées et le débat a perduré. En effet, certains oulémas ont remis en cause le caractère obligatoire de l’observation oculaire en référence au hadith où le prophète parle d’incompétence des musulmans de son époque en matière de calcul astronomique. Pour ces réformateurs, maintenant que la Oumma est compétente en calcul astronomique, il est légal et plus fiable de recourir au calcul astronomique.

Reussirbusiness : Un débat que pourrait clôre définitivement la science astronomique ? 

Ahmadou Kanté: Aujourd’hui on a une référence de base c’est l’hégire. Maintenant, pour un véritable calendrier, il faut des critères et la science astronomique a atteint un niveau de précision tel qu’elle ne peut plus être confondue avec l’astrologie. Le mois lunaire musulman doit être le même que le mois astronomique c’est-à- dire : du début du cycle lunaire jusqu’au  début du cycle lunaire prochain, autrement dit entre 2 instants de conjonction (alignement Soleil-Lune-Terre) que peut déterminer à la seconde prés.

Reussirbusiness : Qui sont ces savants favorables à l’utilisation de l’astronomie ?

En 1939, l’égyptien MouhammadAhmad Chakir, grand connaisseur des textes islamiques, a clairement contesté le supposé consensus ancien sur l’observation oculaire obligatoire. Dans son papier, le chercheur explique avec des exemples précis qu’on a mal interprété les textes hadiths y afférents. Pour lui, l’observation oculaire était juste un moyen à portée des arabes musulmans de la première génération et que le Prophète n’a pas voulu imposer définitivement ce moyen de détermination. Il énonce que le calcul doit être la base de la détermination du mois lunaire. Certains oulémas contemporains ont suivi Ahmad Chakir tandis que d’autres sont restés réticents. En 2008, un Cheick du nom de FayçalAl Mawlawiy publie un livre extrêmement important où il dit formellement qu’il est temps de s’en référer systématiquement aux données astronomiques. Pour se faire dit-il, on a besoin que de 2 critères pour établir un calendrier perpétuel et en finir avec les divergences : La connaissance de l’instant de la conjonction qu’on ramène au coucher du soleil selon la localité et on a ainsi un calendrier perpétuel pour toute la Oumma, compatible avec la charia et avec l’astronomie.

Reussirbusiness : Où se situent les quatre grandes écoles de l’islam dans ce débat ?

Ahmadou Kanté : C’est une excellente question. Les grandes écoles, que j’appelle Théologico-juridiques par ordre chronologique, Hanafite, Malikite, Chafiite et Hanbalite sont divergentes sur quelques points. Les écoles Hanafite, Malikite et Hanbalite disent que là où l’observation oculaire est faite, elle doit engager tous les musulmans du monde, tandis que pour l’école Chafiite l’observation oculaire doit être locale, seulement, elle ne parvient pas à délimiter géographiquement ce « local » de façon tranchée.

Reussirbusiness: Le Sénégal a une tradition malikite…

Ahmadou Kanté : Tout à fait, mais quand l’Imam Malick dit que là où l’observation oculaire est faite, elle doit engager tous les musulmans du monde, cette prescription n’est pas vraiment respectée au Sénégal puisque la Commission nationale se limite au territoire national. Toutefois, il faut savoir que c’est le cas de la plupart des pays musulmans pour des raisons de  » souveraineté nationale ». Aujourd’hui, pratiquement aucun pays ne suit l’information d’un autre pays. Une semaine avant le Ramadan, il y’a eu une grande réunion sur l’astronomie et comment trouver un calendrier musulman.Dans mon ouvrage je dis on ne doit pas ignorer ce que la science apporte en terme de précision qui est de plus en plus grande et que les oulémas de la charia peuvent considérer cet apport comme étant des données fiables.

Reussirbusiness : L’islam est-il compatible avec la science ?

Ahmadou Kanté : Il y’a un grand problème entre les musulmans et la science depuis quelques siècles. Pourtant cela n’a pas toujours été le cas. Je donne souvent cet exemple : du 9e  au 13esiècle, si on donnait des prix Nobel de science, les musulmans en auraient remporté plusieurs. Je dis bien les musulmans et non les arabes parce que beaucoup de ces penseurs, mathématiciens, astronomes n’étaient pas d’origine arabe et venaient de tous les coins du monde. Autre exemple, au 14e siècle, un ouléma du nom de Taqyuddine As-Subki disait qu’aucun témoignage visuel sur le croissant lunaire ne devait être validé par les autorités en cas de contradiction avec les prédictions du calcul astronomique. Et voici qu’au 21e siècle, des oulémas refusent toujours la référence au calcul ? En revanche innombrables sont les versets qui invitent à la réflexion sur le Cosmos, pour décrypter les signes de Dieu à travers les termes de « taskhîr, husbân » (réglage, calcul), « Mizân » (Balance), « Taqdîr » (mesure, proportion), « falak » (orbite).

Reussirbusiness : Si on devait reformer quelque chose dans l’observation du croissant lunaire quelle serait la première étape ?

Ahmadou Kanté : D’abord il faut être conscient que n’est pas par un coup de baguette magique qu’on pourra arranger ce problème. Aujourd’hui, c’est le monde musulman dans son ensemble qui est confronté au phénomène. Dés lors, il faut être patient et méthodique afin de trouver le message qui peut mobiliser les oulémas, les penseurs,les élites musulmanes (autorités politiques et de la société civile). Il faudra beaucoup de courage intellectuel et moral : poser les vrais problèmes pour se donner toutes les chances de trouver les vraies solutions. Le but est juste d’avoir des débuts de solution. J’ai la conviction que chaque génération doit apporter sa contribution.

Reussirbusiness: En proposant quoi concrètement, une fois ces précautions prises ?

Ahmadou Kanté : En fait, je propose la création au sein de la Oumma d’un observatoire, au sens institutionnel du terme.Une institution mondiale de la Oumma qui va avoir la responsabilité de collecter et de traiter l’information sur le mois lunaire et de la donner à tous les pays musulmans en temps réel.

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