La traque a une tare congénitale car initiée et commanditée par un président de la République sur lequel pèsent de sérieux soupçons d’enrichissement illicite. Par Pape Samb

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Monsieur le Président ! Au soir du 25 mars 2012, 65 % des électeurs sénégalais vous avaient porté à la magistrature suprême. Les 35 % restants des électeurs n’avaient alors que leurs yeux pour pleurer. Qu’à cela ne tienne, vous êtes devenu le président de tous les Sénégalais. Dès lors, cette posture exige de vous une stature de rassembleur devant se hisser au-dessus de la mêlée, prendre de la hauteur et se détacher des contingences politiciennes afin de conduire le pays vers des lendemains plus porteurs. Votre plus grand combat, aujourd’hui, devrait être de fédérer et de canaliser les énergies de vos concitoyens et d’agréger les compétences et les intelligences en vue de réaliser ce saut qualitatif certes pas suffisant, mais nécessaire, pour l’avènement du Sénégal émergent que vous appelez de tous vos vœux.

Monsieur le Président ! Les Sénégalais ne vous ont pas élu pour que vous utilisiez la puissance publique et la force du pouvoir pour brimer vos adversaires politiques, vous livrer à une chasse aux sorcières et instrumentaliser les institutions de la République (gendarmerie nationale, police nationale, justice, etc.) comme bras armé du parti au pouvoir pour assouvir un quelconque désir de vengeance politique. L’intérêt du Sénégal et des Sénégalais dépasse de loin les querelles crypto-personnelles. La fonction présidentielle est trop prestigieuse pour s’accommoder de manœuvres et pratiques de bas étage sur le dos et au détriment d’un peuple qui trime dur tous les jours pour joindre les deux bouts et qui s’est plié en quatre pour vous investir de sa confiance, convaincu que vous pouvez apporter des solutions à ses problèmes.

Monsieur le Président ! Vous avez hérité, de vos prédécesseurs, d’un pays debout, avec des institutions en place et qui fonctionnent correctement. Le temps de jouer votre partition pendant le(s) mandat(s) qui vous est (sont) imparti(s), vous passerez la main à votre successeur. Inévitablement. Prenez garde donc, de ne pas vendanger l’héritage que vous ont légué vos prédécesseurs. Le pire, pour vous, serait de le jeter à vau-l’eau. Il n’y a pas pire que «Moudjée pousso bi mu réer ci say loxo» disent les wolofs.

Le monde entier est encore en pâmoison et sous le charme du cérémonial digne d’éloges qui a eu lieu sur le perron du palais présidentiel quand, après votre victoire à l’élection présidentielle du 25 mars 2012, le président sortant, Abdoulaye Wade, au moment de quitter définitivement sa résidence officielle, vous prend la main et prie pour vous, sous le regard hagard de centaines de paires d’yeux et devant les caméras du monde entier, qui ont immortalisé l’évènement. Aussi, la tournure que prennent les évènements aujourd’hui, ne fait-elle pas désespérer les Sénégalais quant à la reconduction d’un tel évènement quand arrivera votre tour de passer le témoin à votre successeur, tant les rapports actuels entre les acteurs de la classe politique sénégalaise sont exécrables. Ils sont nombreux, aujourd’hui, les Sénégalais qui rêvent de cette image d’Epinal d’un Macky Sall, ayant quitté le pouvoir, qui reprend goût aux plaisirs simples de la vie, en se promenant allègrement dans les rues de Dakar, accompagné de son épouse, bras dessus bras dessous, ou encore d’un Macky Sall qui débarque en plein jour au quai de pêche de Soumbédioune, toujours flanqué de Marème Faye Sall, pour acheter du poisson, comme un citoyen ordinaire, mais qui se voit offrir ce qu’il était venu acheter, par des poissonniers reconnaissants et fiers de l’action de leur ancien président.

Monsieur le Président ! Eu égard à votre pedigree, vous ne méritez pas ce chienlit que traverse le pays actuellement, sous votre magistère. Vous auriez pu éviter une telle situation si vous n’aviez pas prêté une grande oreille aux Cassandre, va-t-en guerre, pyromanes et oiseaux de mauvais augure, de votre entourage, qui vous poussent au fond de précipice. Les autres irresponsables de l’autre camp, ne sont pas aussi exempts de tout reproche. Ce que vous partagez avec le président Abdoulaye Wade est infiniment plus important que ce qui vous oppose. Grand seigneur, vous avez eu la noblesse et la grandeur de ne pas céder à la colère ou à la loi du talion, en répondant de la manière la plus élégante à la sortie malheureuse de votre ex-mentor qui, dans un accès de colère, s’est laissé aller à des excès qui ne l’honorent pas. Prenant à contre-pied vos partisans qui, s’érigeant en boucliers, versaient à longueur de journée dans des insanités, comme pour «laver l’affront» et assurer votre défense, vous en avez bouché un coin à certains. Le «Je préfère n’avoir pas entendu de tels propos» que vous avez  rétorqué, là où certains s’attendaient certainement à vous voir curer les caniveaux, a laissé les Sénégalais pantois, abasourdis, interdits et… admiratifs. Par cette répartie tout d’élégance, vous épousez une posture en parfaite adéquation avec votre rang, tout au contraire du «œil pour œil, dent pour dent» qui ne fait que vous desservir en fin de compte.

Avec cette sortie manquée contre vous, le président Abdoulaye Wade a touché le fond. Mais, sa chute a été atténuée par les réactions épidermiques, immatures et contre-productives de vos «soldats». Finalement, les Sénégalais ont été décontenancés par les propos du déclencheur des insultes, le président Wade, et interloqués par les réactions tout aussi pauvres de vos «snipers» qui ont cru devoir riposter. Résultat des courses : ils ont tous été mis dans le même sac de rejet par les Sénégalais, qui les ont tous envoyés paître. «Tous pareils !», leur ont-ils  lancé avec grand dédain.

Monsieur le Président ! Vous avez su inventer de belles formules, des slogans accrocheurs, mais sans consistance : «la rupture»,  la gouvernance sobre et vertueuse», «la patrie avant le parti». Malheureusement, tout cela est resté au stade de pures intentions. Un catalogue de vœux pieux. D’aucuns disent qu’après 26 ans d’opposition démocratique, un premier mandat de président de la république (2000-2007) élogieux à maints égards – vous y avez personnellement joué un rôle prépondérant – le président Abdoulaye Wade était à même d’entrer dans l’histoire et d’être «le Nelson Mandela du Sénégal». On pourrait tout aussi subodorer que le président jeune, pondéré et ambitieux que vous avez été au moment d’accéder à la magistrature suprême, après avoir fait le parcours que l’on sait, avait les cartes en main pour rentrer lui aussi dans l’histoire. La concrétisation et la traduction en actes palpables, visibles et incontestables des slogans ci-dessus évoqués pourraient parler pour vous et plaider en votre faveur. Mais, cela signifie pour vous, une aptitude à vous transcender et à vous sublimer pour vous mettre dans la peau d’un président de la République qui est dans son second et dernier mandat, et qui n’a donc plus de préoccupations ou de soucis de réélection. Donc, entièrement dévoué à sa mission de faire avancer son pays, de finir en beauté et de marquer et l’histoire, et les esprits. Naturellement, cela demande beaucoup de courage, de témérité, d’audace et de sacrifice pour s’affranchir des pesanteurs, lobbies, groupes de pression, et autres forces de régression qui feront barrage, vous combattront férocement, dans le seul but de préserver et de sauvegarder leurs propres intérêts. A vous de choisir entre les deux options qui se dressent devant vous et qui vous demandent de trancher dans le vif.

Monsieur le Président ! Les marabouts ne sont pas des citoyens ordinaires. Sinon, Son Excellence Jean-Félix Paganon, ambassadeur de France au Sénégal, n’irait pas s’expliquer à Touba, devant le vénéré Serigne Sidy Makhtar Mbacké, khalife général des mourides, après sa bourde au sujet du verdict du procès de Karim Wade. Là où votre Premier ministre, Mahmmad Boune Abdallah Dionne, a choisi de se défiler et de se débiner devant la représentation parlementaire, dans une fuite en avant en termes de : «On n’entendra pas le gouvernement du Sénégal sur cette affaire».

Monsieur le Président ! «Boromm caxx du xèex ak boroom bàatu nèen». Vous n’avez rien à gagner à ferrailler en permanence avec l’opposition. Vous avez plus à perdre dans cette guéguerre avec le président Abdoulaye Wade que ce dernier. C’est vous qui êtes aux affaires. C’est vous le chef de l’Etat. C’est à vous que les Sénégalais ont confié, pour le moment, les destinées de leur pays. Il ne faut pas que vous soyez détourné de votre mission ou entraîné sur un terrain qui vous éloignerait de votre feuille de route. Vous avez là, suffisamment de responsabilités qui demandent une concentration absolue sur votre «plan de vol» pour que vous vous autorisiez une quelconque diversion par autre chose.

Monsieur le Président ! C’est vraiment désolant, qu’en mars 2015, l’une des préoccupations majeures du gouvernement du Sénégal, à travers ses ramifications que sont les préfectures, ne se trouve être que le ramassage de pneus usés qui jonchent les rues, soi-disant pour désencombrer la voirie publique. Mais, c’est oublier que les Sénégalais ne sont pas dupes. Cette opération préventive, pour éviter comme par le passé, que les pneumatiques soient utilisés comme combustibles pour réaliser des autodafés dans différents quartiers, renseigne à suffisance que l’équipe actuelle qui dirige le Sénégal, s’y connaît bien en matière d’actes de pyromanie. De là à dire – comme l’a du reste déjà avoué Mame Mbaye Niang, actuel ministre de la Jeunesse – que ce sont les activistes de l’ex-opposition  (et actuel pouvoir) qui organisaient et coordonnaient les actions lors des «émeutes de l’électricité» du 27 juin 2011, à coups d’actions d’éclat et de… pneus brûlés un peu partout dans Dakar et sa banlieue, il n’y a qu’un pas que nous franchirons allègrement. Votre régime a même inventé un nouveau délit : le «délit de détention de pneus» qui a frappé le maire Pds de Djeddah Thiaroye Kaw, le docteur Cheikh Dieng, embastillé depuis lors. Dès lors, les pauvres vulcanisateurs sont sur le qui-vive, redoutant chaque minute une saisie de leur «marchandise» par la police. C’est tout juste la folie qui s’empare de la république.

C’est aussi stupéfiant que Dakar ressemble ces derniers temps en une ville en état de siège, avec des escouades de policiers ou de gendarmes, l’air sévère et armés jusqu’aux dents. Une situation qui nous rappelle les temps forts de l’état d’urgence de 1988.  C’est aussi incontestablement un recul de notre pays, lorsqu’on entend certaines radios de la place rediffuser en boucle le fameux enregistrement sonore de feu El Hadji Abdou Aziz Sy «Dabakh» (Rta) où l’ex-khalife général des tidianes faisait pour la énième fois son fameux appel à la paix civile qui, à chaque fois qu’il a été émis, même à travers les ondes de la radio, comme à l’occasion du siège du Parlement, le 23 juin 2011, arrive à éteindre le feu dans le pays. A dire vrai, on pensait que ce temps de «Dabakh le rédempteur» qui nous parlait et nous sermonnait d’une voix outre-tombe était dépassé et même révolu. Oh que non ! Le Sénégal semble marcher à reculons.

Monsieur le Président ! Vous n’avez pas le droit d’entretenir longuement ce suspense intenable, cette atmosphère irrespirable.  La peur se lit sur le regard des Sénégalais. Tout comme, derrière les actes maladroits posés tous les jours par votre gouvernement qui est tombé bien bas (arrestations ridicules et tous azimuts, discours absurdes, interdictions de tenue de manifestations, actes d’intimidation de toutes sortes) se cache un sentiment de gêne et une peur passablement dissimulée. Le «dossier Karim Wade», ce n’est pas tout juste une affaire de justice. C’est une affaire éminemment politique. Comme vous avez eu, dans un passé récent, à limoger le procureur spécial près la Crei, Alioune Ndao, alors qu’il était en pleine audience, l’intéressé ne l’apprenant que par… sms, vous le président du Conseil supérieur de la magistrature, vous pouvez, sans porter atteinte à cette prétendue « séparation des pouvoirs» qui n’existe que de nom,  agir dans un sens qui préserve la paix civile, et trouver un compromis historique qui ne signifie pas pour autant une compromission.

Qu’on se le tienne pour dit, il y aura bien un après-23 mars. J’imagine bien un mardi 24 mars 2015, avec des Sénégalais, réconciliés avec eux-mêmes et fiers de leur justice, qui se lèvent tôt le matin pour vaquer tranquillement à leurs occupations. Comme d’habitude. La vie reprenant le dessus sur la vague d’inquiétude qui, des mois durant, a tenu en haleine et pris en otage tout un peuple, suspendu à un verdict autour duquel semblait dépendre l’avenir du Sénégal.

Monsieur le Président ! Vous avez le droit de vous tromper. C’est humain. Le reconnaître, comme avec l’affaire des visas d’entrée au Sénégal, c’est magnifique. Cela démontre l’humilité qui vous caractérise et qui vous grandit aux yeux des Sénégalais. Reconnaissez que vous avez été abusé et que vous vous êtes sans doute trompé de bonne foi sur le cas Karim Wade. Par ailleurs, les viles pratiques comme les pressions exercées sur des hôtels de la place pour qu’ils refusent d’accueillir des manifestations de l’opposition, érodent la sympathie que les Sénégalais peuvent avoir pour vous.

Monsieur le Président ! Nous sommes au regret de constater que depuis votre brillante élection du 25 mars 2012, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Mais, pendant ces trois années, on a comme l’impression qu’il n’y en a que pour la traque des biens mal acquis. Comme si vous n’avez été élu que pour ça. Certes, vous avez réalisé de belles choses (bourses de sécurité familiale, couverture médicale universelle, baisse des impôts sur les salaires, baisse du coût des loyers, baisse des prix des hydrocarbures, etc.). Mais tout cela a été vampirisé par cette sordide traque qui fait ombrage à tout le reste.

Incontestablement, vous avez réussi la prouesse d’installer Karim Wade, jadis honni, dans le cœur des Sénégalais. Tout comme le président Abdoulaye Wade vous a, malgré lui, remis en selle et a rehaussé votre cote de popularité, à cause de son dérapage verbal.

Déjà que le niveau d’acceptabilité de la traque des biens mal acquis pose un problème de légitimité.nés des extraits rendus publics de sa déclaration de patrimoine et qui ont estomaqué les Sénégalais, surpris d’apprendre qu’ils avaient élu un président riche comme Crésus, alors que huit années auparavant, il était pauvre comme un rat d’église.

Monsieur le Président ! La jeunesse est l’avenir de la nation. Le développement sans l’éducation de nos enfants est un leurre. Or, à l’heure actuelle, l’école sénégalaise est malade, l’université est dans un état comateux. Avec les grèves perlées des enseignants qui passent plus de temps à arpenter les rues et à battre le macadam, à travers des marches de protestation, qu’à être dans les classes pour y dispenser les enseignements-apprentissages, nos écoles et nos universités forment plus de cancres que de cracks, faute de quantum horaire suffisant. Une situation qui a poussé certains apprenants à menacer de faire, tenez-vous bien, un sit-in devant le palais présidentiel pour exiger de vous, Monsieur le Président, de régler au plus vite le problème des grèves ou alors de vous substituer aux enseignants grévistes et de leur dispenser, vous-même et vos ministres, les cours en souffrance.

Seulement, nous espérons que nous n’en arriverons pas à cette situation extrême. Tous les problèmes du Sénégal et des Sénégalais ont leurs solutions. Le Syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes) et le gouvernement ne sont-ils pas parvenus à enterrer la hache de guerre à travers le protocole d’accord qu’ils ont signé sur le fil ? Il y a donc des motifs d’espérer et d’appréhender l’avenir avec un optimisme réel. Et de rendre grâce, de nouveau, au Bon Dieu d’avoir permis au Sénégal de franchir, encore une fois, et avec succès, un obstacle redoutable et redouté.

Très haute considération. Vive le Sénégal !

Pape SAMB
[email protected]

4 Commentaires

  1. Au temps du régime d’Abdoulaye Wade nous avons vu des journalistes d’investigation comme Latif Coulibaly et Jules Diop écrire des ouvrages pour dénoncer les dérives de ce dernier avec force argumentation et des éléments de preuves.
    Ceux qui soutiennent que le président Macky Sall devrait subir le sort de Karim Wade n’ont qu’à produire les éléments…
    Nul besoin de palabres interminables, des supputations et conjectures de toutes sortes.

  2. Soyons serieux et reflechissons en tant que intelectuels et defenseurs de la patrie et non pro wade ou pro macky il est plus que evident apres la declaration de patrimoine du president que il s’est enrichi illicitement parce macky disons en ayant un salaire de 15 millions par mois de 2000 a 2015 sans y toucher pendant ses 15 ans doit avoir 2700000000 disons 3 milliards etant donne comme on le sait tous il etait locataire avant les annees 2000. Wassalam

  3. La seule révolution possible, c’est d’essayer de s’améliorer soi-même, en espérant que les autres fassent la même démarche. Le monde ira mieux alors.vive la traque que la vérité jaillisse

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