Le « prince » de la Chinafrique

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Il y a tout juste un an, lors de notre premier entretien à Hongkong où est installé Frontier Services Group (FSG), Erik Prince jurait ses grands dieux ne pas vouloir reprendre les armes. Son entreprise se cantonnant à des opérations « logistiques et de transports » pour plusieurs clients chinois sur le continent africain.

« Avec FSG, nous ne faisons pas de sécurité, nous n’avons aucun personnel armé. Notre rôle est d’assurer la logistique et le bon fonctionnement des opérations pour nos clients sur le continent africain », déclarait-il.

Mais c’était bien mal connaître le soldat qui sommeille en lui. A 45 ans, l’ancien Seal (forces spéciales américaines), patron de Blackwater à l’origine d’une série de scandales en Irak, aurait pu prendre sa retraite. Il a préféré prendre le large. Direction Hongkong, siège des basses besognes de la finance chinoise. C’est ici d’ailleurs que se retrouve nombre des clients de Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats des fameux « Panama papers ».

Adepte des paradis fiscaux

Côté à Hongkong, FSG est lui aussi adepte des paradis fiscaux. Enregistré aux Bermudes, ses principaux bureaux se trouvent à Nairobi et à Malte d’où l’entreprise contrôle ses opérations au Moyen-Orient. Depuis Hongkong, Erik Prince entouré de ses lieutenants américains, chinois et d’anciens mercenaires, pilote ses affaires depuis janvier 2014.

En 2015, FSG a d’abord repris le groupe congolais Cheetah Logistics puis le transporteur sud-africain Transit Freight Coordinators Group. L’action a pris plus de 30 % !

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En deux ans, il est ainsi devenu le partenaire indispensable des opérateurs publics et privés chinois en Afrique pour la logistique de leurs projets les plus stratégiques. Il est notamment épaulé par l’ancien commandant du Centcom américain, William Fallon, et Jon Dollan, un ancien cadre de la NSA. A leurs côtés, deux anciens cadres de Blackwater ayant servi en Irak : Gregg Smith, le directeur de FSG. Un ex-Marine américain déployé deux fois au Liban avant de se reconvertir dans les affaires. Et Ric Peregrino, le chef de la sécurité, lui aussi militaire de carrière reconverti dans la police puis la sécurité privée. Décoré deux fois de la médaille d’honneur, la plus haute distinction militaire des Etats-Unis.

« En liaison étroite avec les services secrets chinois »

Comme l’a révélé Intelligence Online, ce sont les employés et les moyens logistiques de FSG qui ont été utilisés – à titre gracieux – pour rapatrier les corps des trois ressortissants chinois morts dans l’attentat de Bamako du 20 novembre 2015, à la demande des ministères chinois des affaires étrangères et de la sécurité d’Etat. C’est la première fois que l’Etat chinois faisait appel à une entreprise privée pour ce type d’opération sensible.

FSG est détenu à hauteur de 15 % par Citic, un fonds d’investissements public chinois. Il compte les grands groupes d’Etat chinois parmi ses principaux clients, au Soudan et au Congo notamment, et dispose d’un bureau permanent à Pékin. Erik Prince est ainsi flanqué d’un ancien superflic chinois, Lawrence Zhao. Il s’agit d’un ancien agent des services secrets reconverti lui aussi dans la sécurité privée. Il a ainsi fondé China Security & Protection Co. Ltd., placé sous l’autorité du ministère chinois de la sécurité d’Etat et le cabinet Risk Services spécialisé dans la sécurité des investissements chinois à l’étranger. Zhao est aussi conseiller du gouvernement chinois pour la gestion des risques à l’étranger, et notamment en Afrique. Sa présence aux côtés d’Erik Prince au sein de FSG a fait grincer bien des dents à Washington.

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La société FSG est à l’image de l’ambiguïté chinoise en Afrique et du rôle que jouent les services secrets sur le continent. « FSG travaille pour assurer la sécurité des infrastructures chinoises et la Chine met tout en parallèle pour l’acquisition du renseignement et on a là une sorte de “service action” avec Prince qui fait en Afrique ce qu’il a appris à faire en Irak et en Afghanistan. Et il ne s’en cache pas. Donc forcément il travaille en liaison étroite avec les services secrets chinois », remarque Gérald Arboit, spécialiste français du renseignement.

Des bataillons privés à la lutte anti-piraterie en Somalie

Mais cette nouvelle vie tourne rapidement au vinaigre. Selon une enquête du magazine en ligne The Intercept, publiée le 24 mars, il serait visé depuis mars 2016 par une enquête de la justice américaine pour « blanchiment d’argent, vente de services militaires à des pays étrangers – en l’occurrence la Libye – et liens avec les services secrets chinois ».

FSG affirme collaborer avec les enquêteurs, reconnaissant implicitement une partie des charges et démentant simplement les allégations portant sur la vente d’armes à des milices libyennes. Erik Prince a en effet un peu trop de cordes à son arc. Bras armé de Pékin sur le continent, il joue aussi et un peu trop fort sa propre partition. Investissant à titre personnel dans des mines africaines et formant des équipes de mercenaires dans plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient sans le feu vert des actionnaires de FSG. Le 11 avril, The Intercept révèle encore qu’Erik Prince aurait pris à titre personnel 25% d’une société d’aviation privée « Airborne technologies », censée opérer au Soudan du Sud avec des appareils équipés de mitrailleuses 23mm.

Au Nigeria, Erik Prince a répondu à un appel d’offres concernant le recrutement, la formation et le déploiement d’une milice privée pour lutter contre les terroristes de Boko Haram. Il a même rencontré le président nigérian qui a repoussé son offre, lui préférant des mercenaires sud-africains. FSG dément être impliqué dans ces négociations.

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Aux Emirats arabes unis, en 2010, le prince d’Abou Dhabi a recruté l’ancien militaire américain pour former un bataillon de 800 soldats étrangers afin de protéger ses intérêts. Un contrat de 529 millions de dollars à la clé.

En 2011, Erik Prince a formé des bataillons privés à la lutte anti-piraterie en Somalie, mais son offre de services aux Nations unies a été repoussée. Sous la bannière FSG, il préfère offrir des services plus pacifiques. L’an dernier, il proposait de mettre à disposition « 250 véhicules, des hélicoptères et des barges de débarquement » pour lutter contre Ebola en Afrique. « Pour lutter contre une telle catastrophe humanitaire, nous pouvons mettre à disposition et livrer dans des conteneurs sécurisés de la nourriture, des médicaments, des hôpitaux de campagne, des tentes, des purificateurs d’eau et des générateurs d’électricité au fuel. Tout ce dont vous avez besoin », détaillait Erik Prince en expliquant combien les entreprises privées comme la sienne sont à même de s’adapter à toutes les situations de crise.

La Chine a cruellement besoin de son expertise

Mais là encore, l’ONU n’a pas donné suite à cette opération séduction du mercenaire qui désespère de travailler avec les casques bleus. « L’un de nos objectifs est de pouvoir travailler pour les missions des casques bleus chinois en Afrique, surtout au Soudan du Sud. Je pense qu’il est dans l’intérêt de l’ONU de travailler avec des entreprises comme la nôtre », expliquait-il.

Depuis son arrivée à la tête de FSG, en 2014, Prince s’est rendu dans une douzaine de pays d’Afrique pour vendre ses services et son expertise militaire. Résultat : la Chine commence à prendre ses distances. Erik Prince apparaît toujours sur l’organigramme, mais pour combien de temps ?

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Pourtant, la Chine a cruellement besoin de son expertise. Pour protéger son million d’expatriés et ses 25 000 entreprises sur le continent elle s’en remet encore le plus souvent à des mercenaires étrangers comme Erik Prince. Il a fallu attendre le 11 avril 2011 pour que la première licence officielle soit attribuée à une société chinoise, Huangjia Security Company dans la province du Henan, suivie par la Shandong Warwich Security. Ce n’est qu’en 2012 que SWS et MSS Security Group, l’un des plus importants services privés de sécurité, signent ensemble un partenariat pour protéger les installations chinoises en Mauritanie, au Sénégal, au Burkina Faso, au Mali, en Guinée et au Niger. MSS a pour vice-président Will Aylward, ancien parachutiste de la Légion étrangère.

Il n’existe qu’une petite poignée de sociétés de sécurité à travailler en Afrique pour les entreprises chinoises. Un marché lucratif estimé à une centaine de milliards de dollars par an dans le monde. Si un mercenaire américain ou britannique coûte près de 10 000 dollars par mois, un ancien militaire chinois se monnaye dix fois moins. Mais sur les théâtres dangereux, comme on a pu le voir récemment à Bamako, les gardes du corps professionnels et les mercenaires étrangers restent les mieux armés.

Sébastien Le Belzic dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.

lemonde.fr/afrique

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