Les dessous de la bataille des rues à Dakar

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A la conquête de la rue depuis quelques jours, Dakar et ses autorités sont engagées dans une véritable guerre de tranchées contre les anarchistes et occupants irréguliers. Dans le Plateau, cœur de la vie économique, la mairie aidée par ses volontaires et par la police, est au cœur d’un dispositif sécuritaire qui rappelle une récente époque de crise politique liée à la présidentielle de 2012. Sauf qu’ici, il s’agit de gagner la bataille de l’ordre. Mais quand la pagaille a fini de devenir un véritable business, la cité a-t-elle les moyens d’imposer son ordre, fut-il, au nom de la bonne gouvernance ?

Dakar, ville envahie et agglomération en danger. Les premiers urbanistes à avoir tracé les sillons des premiers quartiers modernes de la grande ville d’aujourd’hui pouvaient-ils rêver du succès actuel de la petite cité d’hier et de ses nombreux travers actuels et à venir ? De 1862 à 2013, il s’est pourtant passé quelque 150 ans, mais Dakar a bien du mal à se réinventer. De petits remèdes contre de grands maux. Tous s’y sont mis (l’Etat, la mairie de ville, les associations, les Organisations non gouvernementales, les partenaires au développement, l’université quand elle le peut…) Pour peu de résultats finalement.

Du Plan Pinet Laprade à la naissance de la Médina en 1916, les autorités ont finalisé des dizaines de plans d’urbanisme sans transformer de manière profonde Dakar. D’Alfred Goux au maire actuel Khalifa Sall, en passant par Mamadou et Pape Diop, c’est à croire que la ville cherche toujours ses marques. Au grand dam des générations qui passent sans avoir vu un bout de la cité attractive à laquelle elles aspiraient…A l’horizon 2025, deux horizons se bousculent dans les plans : la création de pôles de rupture et les pièges du gigantisme liés à ce type d’entreprises. Dakar, un casse-tête sénégalais ? Le débat est plus que d’actualité.

Entre Ndiobène, Salléne et même depuis, Goux le maire bâtisseur, c’est à croire que ceux qui s’attaquent à l’organisation du cœur de Dakar finissent toujours par s’en mordre les doigts ; vaincus par le génie protecteur de la ville, ou d’autres forces plus ou moins obscures qui hantent le devenir réel de la cité. D’Ahmadou Clédor Sall, l’administrateur-maire à Khalifa Sall, en passant par Mamadou et Pape Diop, la réinvention du nouveau Dakar est restée un casse-tête pour les planificateurs. Un problème sans solution…

Une mégapole dépassée de toutes parts, par toutes les prévisions. Pour dire qu’une ou deux thèses de doctorat ne suffiraient pas pour montrer que la solution n’a pas encore été inventée pour faire de Dakar, une ville propre, organisée, saine, respirable parce que respectant les lois qui régissent un label vert et durable. Jugez-en… Le premier Plan directeur d’urbanisme (Pdu) de Pinet Laprade remonte ainsi à l’année 1862. S’ensuit le Plan de 1914-1915, un nouveau plan exclusivement consacré au Plateau et à la Médina. Et ce n’est pas fini parce que c’est le début des efforts de planification et d’adaptation.

En 1945, arrive un Plan directeur d’urbanisme approuvé par l’arrêté N° 54-85 du 20 décembre 1946. On va l’appeler le Plan Gutton Lambert et Lopez qui sera modifié en 1957 suite à la création de Pikine en 1953 et approuvé lui aussi, en 1961 par le décret N° 61-050 du 03 février 1961. Et cela ne suffira pas. On y ajoutera un autre plan connu des plus jeunes architectes et urbanistes formés à l’école sénégalaise ; c’est le Pdu de 1967 du nom d’Ecochard).

Le souhait d’un nouveau Dakar est dans la bouche du pouvoir de l’époque, à commencer par le président de la République Léopold Sédar Senghor. Arrive ensuite le plan ambitieux de 1989-2001. Il ouvrira certaines brèches dans la ville comme la Voie de dégagement nord, mais n’empêchera pas l’installation de l’anarchie et l’échec de certains projets ( le projet d’autoroute Dakar-Thiès, le Mémorial Gorée-Almadies et le Musée des civilisations noires) ne verront pas le jour… Aujourd’hui, on est dans le Plan directeur 2001- 2025. Toujours les échéances…

Dans la même mouvance, des réformes plus récentes n’ont pas permis à l’agglomération de respirer. C’est ainsi que ni la communalisation intégrale de la région de Dakar par la loi 64-02 du 19 janvier 1964, ni la création de la fonction d’administrateur communal encore moins la l’élaboration du Code de l’Administration communale conclue par la création des départements de Dakar, Pikine et Rufisque par la loi N°83-48 du 18 février 1983 n’y ont rien fait.

Si les architectes ont gagné le pari à travers les œuvres les plus originales, comme cet immeuble du nom de Santal qui verra bientôt jour du côté de la corniche, les urbanistes, même forts de leurs figures géométriques osées (Triangle sud, Cité Scat-Urbam etc.) qui ont changé le fond de la ville, doutent encore.

Terre de conflits entre experts et politiques
Peut-on recevoir toutes les conséquences de toutes les erreurs de planification dans un réduit territorial dont la superficie ne dépasse pas quelque 7.870 ha. Dans une ville envahie, difficile de gagner la bataille du mieux vivre et de l’organisation. C’est comme si à chaque fois que vous avez fini de chasser le naturel, il revient au galop. Et, à grandes enjambées. 1862-2013. Que le chemin a été long pour faire de Dakar, une grande métropole avec des rues belles, droites, ornées et décorées comme dans les grandes villes. De 1643 à 1659, les planificateurs français de l’époque avaient fini de sortir le Saint-Louis connu aujourd’hui, de terre. Dakar est un dessin quasiment inachevé à chaque étape. Choses impossibles, tous les maires depuis Mamadou Diop y ont laissé des plumes.

Dans le centre, le marché de Sandaga a fait voler en éclats, tous les projets de désencombrement de la ville. Les rues alentours rassemblent toutes les formes de pourriture dans Dakar. Dans la périphérie, la banlieue est devenue une jungle où l’on retrouve toutes les formes de fractures urbaines et sociales. Depuis 2005, la métropole sénégalaise a perdu son âme et ses plans. Cela, par la « folie » d’un homme : le président Abdoulaye Wade qui a voulu substituer au Dakar « normal » une ville de ses rêves qui changeait à chaque fois ; selon qu’il revenait de Dubaï, de Malaisie, de Singapour ou encore… En vain. Au final, la face de la ville a changé avec des souterrains, un théâtre et quelques cités, mais Dakar est envahie de toutes parts, du côté de l’aéroport, de la Foire internationale au seul profit de la clientèle politique de l’ancien régime. Et voilà pour le décor.

Un changement de cap toujours différé
Depuis un an, Dakar veut revivre par tous les éléments qui ont fait son charme d’antan quoi que cela puisse coûter au maire actuel et son équipe… C’est bien le changement majeur auquel invite Khalifa Sall. Mais, en aura-t-il le temps face aux échéances électorales qui se pointent dans moins d’un an, en mars 2014 ?

Dans sa volonté de nettoyer la ville de ses excroissances malades, Khalifa Sall sans doute soutenu par le président de la République Macky Sall et son gouvernement, a trouvé un filon qui pourrait lui faire oublier le défaut d’autorité dont les Sénégalais le soupçonnent depuis son installation.

Le temps est passé trop vite. Elu en mars 2009, le maire de Dakar qui termine son premier mandat en 2014, n’avait pas un véritable bilan et ne semblait avoir qu’une idée en tête : bousculer les tabous et faire de sa ville, une nouvelle planète de rêve dans le cercle des grandes villes du monde. De l’eau à coulé… mais cela ne devrait pas être peine perdu au vu des efforts tentés ces derniers mois…

Presque 45% des superficies sont consacrés aux avenues et jardins du côté de Manhattan, moins de 10% pour l’agglomération dakaroise, une des plus grandes en Afrique, voila une caricature sommaire de ce qu’est l’urbanisme sous les Tropiques. Léger et dévergondé parfois, l’on arrive à se demander s’il s’agit d’une vraie science urbaine en Afrique tant de ce coté, tout se fait sens dessous-dessus. Où sont les urbanistes dans les grandes villes d’Afrique ? De laxisme en rupture non programmée, une ville comme Dakar a vécu la fin des années 1980 dans un grand malaise du fait du manque de prospective et d’initiatives destinées à faire de la capitale sénégalaise, une cité africaine digne de ce nom. Et pourtant, des plans existaient qui faisaient de la planification économique et sociale. Mais aussi, des plans directeurs d’urbanisme. Mais, tout cela finalement, pour quoi et à quelles fins?

La mort de l’Ecole d’architecture et d’urbanisme semble avoir coïncidé avec l’autorisation définitive d’une certaine forme d’anarchie à la fin des années 1980. On dira que l’Etat et les autorités de l’époque, le président Abdou Diouf en tête, avaient la tête ailleurs, effrayés par les urgences et les exigences des politiques d’ajustement structurel dictées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

Face à la rupture quasi impossible de ces dernières années, on peut retenir que plus le temps passait, plus les solutions tardaient à venir. Réaménagée sur le tard, l’autoroute à péage est arrivée au moment où le projet de Plateforme de Diamniadio était en souffrance. Prévu comme le projet de fin du siècle, le Technopole et l’aménagement de la grande Niaye n’ont jamais été achevés. Quid du Plan Jaxaay, autre échec parmi les solutions improvisées et bâclées.
Entre rigueurs budgétaires et politiques déflationnistes, seule la science des économistes prévalait sur le plan et non dans l’espace. Le reste étant du domaine du rêve.

Un Plateau envahi, des rues à bout de souffle
Progressivement, la ville a été envahie. Elle ne comptait plus de rues disponibles et de voies de dégagement autour de Sandaga. A la merci des incendies, le centre ville s’était transformé en véritable « bombe» silencieuse coincée au sud et à l’est par le port et ses industries dangereuses. Au centre, par le marché poudrière de Sandaga. Et, vers le nord par les bouchons crées par les marchés ambulants du jour, la gare routière des sapeurs pompiers, les allées Papa Guèye Fall et le fourre-tout de Petersen etc.

Au cœur de cet exutoire qui mélangeait le burlesque digne d’un film de cascadeur à la Belmondo (l’homme de Rio) et l’absurde, se trouvaient deux avenues maudites parce que sales, indignes et fermées à toutes formes de civilités : Ponty et Lamine Guèye. La première jusque dans ses prolongements du coté de Peytavin qui était transformée en « Rue sans loi ».
La seconde au cœur de ce qui pouvait devenir un circuit de métro ou d’un skytrain (un train suspendu), était une sorte de mélange de tous les genres à ne pas enseigner en matière d’urbanisme, d’architecture et de planification urbaine. Lamine Guèye à elle toute seule, était indigne de ce qu’’avait représenté son parrain et méritait une thèse pour les universités. La rue était décidément plus forte que l’Etat et ses élus.

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