L’éternel retour en Afrique De la bulle d’émotions au confinement des possibilités par Pathe Gueye

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«Je ne m’appréhende qu’à travers un mot, qu’à travers le mot…

C’est par le mot qu’on touche au fond» Aimé Césaire

L’Afrique berceau de l’humanité, de la civilisation, des sciences et des religions est une certitude largement partagée. En d’autres mots, c’est sur ce continent, ce «champ historique intelligible» décrit comme tel par Arnold Toynbee que l’homme anatomiquement moderne, avant de se répandre au Nord et au Proche-Orient, s’est développé il y a un peu plus de 100 000 ans, à partir d’une lignée évolutive facile à suivre. Abondant dans le même sens que Cheikh Anta Diop et ses héritiers, ce point de vue du paléontologue Günter Brauer nous pousse à poser une hypothèse de départ: à l’Afrique nous appartenons et c’est vers elle nous retournerons.

Lorsqu’on parle de retour, nos pensées vont inévitablement vers le projet «back to Africa» de Marcus Garvey. Ainsi, parce que nos origines sont africaines, sa terre appartient par conséquent à toute l’humanité qui, tôt ou tard, finira par rentrer provisoirement ou définitivement au bercail. D’ailleurs, ceux qui l’ont compris très vite, les nations européennes (les négroïdes de Grimaldi) ont déjà arpenté les chemins du retour pour ne plus, dans le fond, rebrousser chemin. Tour à tour, les explorateurs ont identifié et dessiné les circuits du retour; la traite négrière a vidé les territoires où s’installer; la conférence de Berlin de 1885 a jeté les jalons de la cohabitation belliqueuse entre nations européennes; la colonisation a avili les descendants d’Homo abilis qui n’ont jamais subi les effets climatiques dépigmentaires; la décolonisation a marqué l’ampleur de leur présence et ensuite… Ne manquent pas également au rendez-vous d’autres pays qui rivalisent ardemment avec ceux européens sur place. Ce sont entre autres, les États-Unis, le Cuba, la Chine, l’Inde, le Japon, le Brésil, la Corée du Sud, l’Israël, les Émirats arabes unis, la Russie, le Canada…

La présence impérialiste à la fois concurrentielle et affligeante de ces pays sur le sol africain, où il est ironiquement dit que tous les signaux économiques, démographiques, etc. sont au vert, n’est pas sans soulever une série d’interrogations et de multiples inquiétudes. Beaucoup de choses peuvent être dites sur chaque État présent sur le continent.  Prenons l’exemple du Canada. Alain Deneault nous recense les effets des interventions des sociétés canadiennes épaulées par leurs autorités politiques en termes d’:«ingérence politique et contrats léonins dans la fragile République démocratique du Congo, partenariats avec les seigneurs de guerre, vendeurs d’armes et mercenaires de la région à feu et à sang des Grands Lacs, collusions mafieuses dans l’Ouganda voisin, accentuation des tensions armées autour du pétrole d’Ituri, mineurs enterrés vifs en Tanzanie, corruption au Lesotho, empoisonnement massif et génocide involontaire au Mali, expropriations brutales au Ghana, transformation des Ivoiriens en cobayes pharmaceutiques, barrages hydroélectriques dévastateurs au Sénégal, privatisation sauvage du transport ferroviaire en Afrique de l’Ouest…». L’auteur du controversé ouvrage « Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique» parle de «management totalitaire» et «d’impérialisme culturel» tout en insistant sur le fait que le Canada est en entrain de créer une Afrique sans les Africains. Bien qu’exempt d’un passé colonial sur le continent africain, les abus notoires portent un coup fatal à son image malgré les actions de l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI) et la création du Conseil canadien pour l’Afrique . L’intitulé du fameux rapport du comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international publié au mois de février 2007: Surmonter 40 ans d’échec : Nouvelle feuille de route pour l’Afrique subsaharienne, en est un aveu de taille…

Même une province comme le Québec se positionne en «partenaire naturel de l’Afrique francophone», et décide de réaffirmer ses ambitions pour ce continent. Débuté dans les années 60, le partenariat généralement marqué par une diversité des échanges, est brandi comme argument servant à s’y tailler une place. Sans disposer véritablement des moyens de ses ambitions, le renouveau de la présence québécoise en Afrique s’explique selon Jean-François Lisée, ex-ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur, par le fait qu’il veut accompagner le décollage économique africain, pour le plus grand bien du peuple québécois et des africains. Et lui d’ajouter que «l’Afrique conjugue jeunesse et soif de progrès et elle a les moyens économiques, démographiques, intellectuels de ses ambitions. Une telle conjoncture, une telle combinaison de facteurs, offre de nombreuses occasions d’affaires et de partage. Le monde entier se positionne ici et le Québec ne sera pas en reste». La messe est ainsi dite avec un tel toupet!

Il fallait donc exprimer, pour le déchu gouvernement péquiste de Pauline Marois, une ambition politique grandiose à l’image de la belle province. Pour y parvenir, l’urgence était alors de structurer les services existants et surtout d’élaborer un plan d’action Afrique. Ce plan repose globalement sur les quatre piliers suivants: positionner le Québec, appuyer le développement des compétences, promouvoir la langue française et accompagner l’émergence de la démocratie et de la gouvernance. Force est de constater que tout ce travail a été mené sans une réelle implication des communautés culturelles africaines présentes au Québec, lesquelles auraient pu s’engouffrer encore dans un nuage d’illusions, du fait de leurs compétences et expertises diverses et variées, avec la prétention d’influer sur cette volonté politique. Et voilà ce qui avait justifié la conduite, de la plus importante mission du gouvernement québécois en Afrique. Plus d’une centaine de représentants des milieux d’affaires, des milieux institutionnels et d’organismes de coopération internationale étaient de la première grande délégation qui se rendit au Sénégal, en Côte d’ivoire et au Burkina Faso  du 6 au 13 septembre 2013. Cette mission multisectorielle qui a été l’occasion pour les gens d’affaires d’établir des partenariats et/ou de se familiariser avec le marché africain, était aussi un prétexte pour le Québec de procéder à l’ouverture officielle de bureaux Expansion Québec, dans un premier temps, à Dakar et à Ouagadougou.

Le moment est venu de regarder la réalité bien en face, sans rien en dissimuler, car elle est tout simplement honteuse. Le risque récurent d’être incompris et indexé d’afro-pessimiste est bien réel, comme ce fut le cas d’ailleurs de tous ceux qui se sont proclamés amis d’Afrique en nous avouant, par exemple, que le continent était mal parti. Devant la pérennité du système caméléon impérialiste plus que d’actualité en Afrique, se taire serait facile et deviendrait même symbole d’une pure lâcheté. Le monde occidental hégémonique et boulimique, héritier de la civilisation gréco-romaine est donc retourné en Afrique pour y rester et défendre avec cynisme ses intérêts. La bataille comme la guerre semblent être perdues d’avance. Hélas! L’ambition de «réveiller le géant africain» qui animait l’empereur Hailé Sélassié s’écroule! L’Afrique s’englue avec regret dans ses politiques, ses débats, ses rêves stériles et inadaptés alors qu’elle regorge de ressources naturelles qui suscitent beaucoup la convoitise. Ce que confirme, à bon droit, Jean Ziegler lorsqu’il mentionne que l’Occident est parvenu à instaurer un régime inédit avec la «soumission des peuples aux intérêts des grandes compagnies privées, il est deux armes de destruction massive dont les maîtres de l’empire de la honte savent admirablement jouer : la dette et la faim. Par l’endettement, les États abdiquent leur souveraineté ; par la faim qui en découle, les peuples agonisent et renoncent à la liberté». En fin de compte, ce n’est qu’une bulle d’émotions qui force avec amertume plusieurs d’entre nous  à vouloir nourrir une once d’optimisme et d’espoir. Or, la sève nourricière qui devrait maintenir l’arbre en vie s’est asséchée il y a belle lurette; par conséquent l’arbre va assurément tomber!

À cet égard, au regard de tout se qui se trame sur le sol africain devenu «receveur universel», on est en droit de se demander à qui profite réellement cette désastreuse situation? Nos gouvernants ont-ils compris les véritables enjeux de ces agissements épaulés par de grandiloquentes déclarations impérialistes? Quelles sortes de réflexions endogènes ou prospectives, de volonté politique conforme aux intérêts d’Afrique, peut-on promouvoir pour amorcer des changements significatifs? Que devons-nous faire efficacement comme peuple d’Afrique pour sauvegarder ne serait ce que les apparences? Bref, comment accéderons-nous à la dignité d’Homme africain, sans devoir supporter cet envahissement continuel et avilissant?

Jusque là, de multiples éléments de réponses à ce questionnement bourdonnent encore dans nos oreilles. Cependant, force est de constater, qu’ils demeurent pour la plupart plus « une affaire de cœur que de raison» pour permettre à l’Afrique de se tenir enfin solidement DEBOUT. Des slogans sont lancés à satiété dans les réseaux de communication comme Facebook où sont créés, à tort et à travers, des groupes.  Ils ont, entre autres, pour noms :

 

  • Le retour des intellectuels en Afrique (50 membres)
  • Back to Africa : Great opportunities (111 membres)
  • L’Afrique aux africains (17 617 membres)
  • Les enfants d’Afrique sont unis (10 072 membres)
  • Sénégal Network-Back to Galsen (6983 membres)
  • Marocains de France et le retour au Maroc (10 877 membres)
  • RETEX des étrangers d’Europe sur leur retour/non retour en Afrique (12 membres)

 

Dans ces groupes, malgré la présence de censeurs et l’instauration inconsciente d’une pensée unique, les échanges vont parfois à une vitesse vertigineuse dans tous les sens. On y remarque un déferlement de récits de vie aux allures très émotives où sont pointés du doigts le nom des institutions scolaires et académiques fréquentées en Afrique comme à l’étranger, les domaines d’étude et de formation suivis, les diplômes, attestations et certifications obtenus, les stages et boulots effectués. Une vaste campagne de promotion de la culture de l’entreprenariat y est également menée avec insistance par des personnes qui ont tenté l’aventure…

Une frénésie déraisonnée semble prendre le dessus sur tout parce qu’après les douleurs antérieures causées par la fuite des cerveaux, le retour au bercail des africains constitue désormais « un atout pour l’Afrique». On n’est jamais mieux que chez soi!, dit-on. Le patriotisme, la famille ou tout simplement les opportunités croissantes qu’offre le continent, sont autant de raisons évoquées pour, d’une part, conforter ceux qui ont déjà franchi le pas dans leur « bon choix»; et d’autres part, prêcher le salut heureux aux non convaincus pourtant « bien qualifiés professionnellement » et qui hésitent encore à faire leurs valises…

La bulle d’émotions qui s’est formée, devient de plus en plus débordante particulièrement dans les médias sociaux, en même temps, le diagnostic du contexte actuel africain repose sur une lapalissade. Cette vérité d’une évidence niaise ne signifie rien d’autre que les africains ne sont que des soldats d’un impérialisme ambiant qu’on pensait avoir combattu depuis longtemps, surtout avec ce «soleil des indépendances » âgé de plus d’un demi siècle et qui est justement arrivé à son zénith. Il faut se le dire sans détours : qu’on vive en Occident ou qu’on rentre au bercail, nous sommes loin de servir nos propres pays parce qu’on semble ignorer tout d’eux autant leurs forces que leurs faiblesses de même que leurs besoins, leurs intérêts, leurs désirs et leurs priorités. Même l’instruction sanctionnée par les diplômes qu’on brandit, ici et là, l’acquisition et la volonté de servir nos pays avec, est donnée dans des écoles occidentales impérialistes décentralisées qui ont fait de nous des « aliénés », nature dont on ne se débarrassera pas de sitôt. De plus, nous sommes généralement formés dans des langues d’emprunt au détriment des nôtres pour des emplois qui ne sont pas disponibles en Afrique. Le passé, le présent de même que l’avenir de l’Afrique restent liés aux humeurs changeantes de pays impérialistes pourvoyeurs de fonds, donneurs effrontés de leçons. Ils nous prêtent leurs yeux et nous indiquent par l’usage d’une force ténébreuse la direction à regarder.

L’inadéquation du système éducatif africain par rapport aux réalités du continent ne fait plus l’objet de doute. L’École africaine, comme unique solution alternative, est jusqu’ici introuvable alors que le développement passe inévitablement par l’éducation. Celle-ci tel que l’UNESCO l’a rappelé « doit être un moyen de donner aux enfants comme aux adultes la possibilité de devenir participants actifs de la transformation des sociétés dans lesquelles ils vivent. L’apprentissage doit aussi prendre en compte les valeurs, les attitudes et les comportements qui permettent aux individus d’apprendre à vivre ensemble dans un monde qui se caractérise par la diversité et le pluralisme».

«Nous avons soif d’être », voilà le cri de cœur émis par le tunisien Habib Bourguiba au moment de la création de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963, à Addis-Abeba. L’eau trouble ne fait pas de miroir pour nous dire qui nous sommes. Il nous faut alors, les pieds sur terre, délier les chaines qui nous ligotent  pour aller en trouver d’autres car les miroirs ne mentent pas, n’en déplaisent aux narcissiques…

Pathé Guèye

Montréal, le 10/08/2015

2 Commentaires

  1. Monsieur Gueye,vous sembler légitimer le fait que les africains restent en occident au lieu de rentrer en afrique.Que tu le veuille ou pas,l’afrique est l’avenir.Rester sous le froid du canada et cracher sur l’Afrique.Tu le regrettra.Vous perdez votre temps en occident.Croyez-moi.

  2. Cheikh, as-tu bien lu Mr Guèye. Il y aura autant de gens qui regretteront d »avoir immigrés que de gens qui regretteront d’être restés au Sénégal. Mais c’est là ne pas comprendre les véritables questions soulevées par Mr Guèye. Il ne s’agit pas de recenser les réussites individuelles en afrique ou en occident, mais de voir qu’en tant qu’africains, rien n’est fait depuis les indépendances pour créer dans nos pays un cadre qui promouvoit l’effort.
    Nous devons apprendre à nous dire la vérité, sortir de notre « bulle d’émotions » et cesser de vouloir cloisonner ceux qui sont au pays de ce qui sont à l’étranger. Ce n’est pas un match JA-Jaraaf. Comme le montre bien Mr Guèye, nous serons encore bien plus divisés et ce sont bien les chinois, les européens et nord-américains qui viendront profiter de l’Afrique en favorisant une petite bougeoisie locale qui dira aux autres que tout va bien.
    Cheikh, regarde au dela de ta personne. Considère tout le pays et tu liras mieux Mr Guèye. Sans rancune.

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