Macron, le «jeune loup» à l’Elysée

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Emmanuel Macron était inconnu des Français il y a trois ans. À 39 ans, il prétend devenir président de la République au terme d’une campagne 2.0, ultra-marketée, dont il est le produit principal. Récit d’une campagne où l’énarque orthodoxe s’est affiché en homme neuf.
Un soir de meeting à Pau (Pyrénées-Atlantiques), dix jours avant le premier tour, Brigitte tire sur sa cigarette avant de reprendre la route. Elle a beau porter le même prénom que l’épouse d’Emmanuel Macron, sa présidentielle à elle, comme des millions de Français, ce sont surtout des questions en boucle dans sa tête, la toupie infernale des « oui mais » et des « oh et puis merde ».
« J’ai hésité, je me suis dit que je n’allais pas voter. Mais je ne veux pas avoir le choix entre un facho et un facho. » Son ami Patrick l’a convaincue de venir écouter Emmanuel Macron, de passage ce soir-là. Dimanche, il votera pour l’ancien ministre de l’économie. « Je veux voter pour, j’ai voté contre tellement de fois. Si c’est Fillon-Le Pen, je fous le camp de France. » Brigitte, crinière blanche et look de hippie rangée, se tâte encore. « Macron est plus sympathique que je ne pensais. Son discours est serein et cohérent. Mais je n’aime pas qu’il soit un ancien banquier. » La quinqua de Biarritz a entendu qu’il propose un grand plan de formation des chômeurs. « À quoi ça sert s’il y a pas de boulot derrière ? »
Sur la scène du Zénith de Pau, Emmanuel Macron termine son discours. Comme d’habitude depuis l’automne, la salle est remplie. Le public est sage, tellement sage, mais la musique électro, Rihanna et Kavinsky comme en boîte, les tee-shirts acidulés et les drapeaux offerts aux spectateurs à l’entrée… tout ça fait quand même un peu fête. En un an, En Marche!, parti auquel on adhère sur Internet, est devenu avec « 250 000 engagés » « le premier mouvement de France » selon le secrétaire général, Richard Ferrand, député socialiste du Finistère qui fut là dès le début. Beaucoup des « marcheurs » n’avaient jamais fait de politique.
De Pau à Marseille, de Paris à Nevers, ceux qui votent Macron invoquent un éventail de raisons. Sa critique du « système », des élus inamovibles, des vieux partis fatigués, de l’opposition gauche-droite « dépassée ». Sa lecture simple, voire simpliste, d’une société entre « conservateurs » et « progressistes », au-delà des clivages habituels. Sa promesse vague de « libérer les énergies ». Son invocation du « droit à l’échec », l’assurance-chômage pour les indépendants et les artisans ou… la suppression du RSI, toujours un succès. Sa défense de l’Europe, qu’il fait applaudir dans ses meetings. Ses appels aux « bonnes volontés », à la « réconciliation », à « l’union nationale ». Dans les files d’attente des meetings, on entend : « jeune », « moderne », « intelligent », « il vient du privé ». Et puis, encore et toujours, ce satané « vote utile » sur la foi des sondages, celui-là même qui taraude Brigitte au sortir du meeting de Pau.
Lundi 20 avril, pour son dernier grand meeting à Bercy, Macron a entonné tous ces refrains : il incarnerait « l’avenir », une « génération nouvelle », quand les « dix » autres prétendants symbolisent « un fantasme du passé, des frontières qui se ferment ». « Macron, c’est une forme de trangression… mais sans renverser la table », explique la sénatrice socialiste de Paris Bariza Khiari, soutien convaincue.
En matière économique et sociale, le projet est clairement libéral. Macron entend certes « protéger », mais il veut aussi ramener la négociation du code de travail dans l’entreprise et les branches, réformer l’assurance-chômage, obliger un chômeur à accepter la deuxième offre d’emploi proposée, pousser les feux de l’offre en supprimant  les « normes et les règles ». « Pragmatisme radical », résume Richard Ferrand pour définir le projet macroniste, entre une gauche jugée utopique et une droite qualifiée de « thatchérienne ».
Macron, 39 ans, fut banquier d’affaires chez Rothschild et rapporteur général adjoint de la commission Attali, cénacle de personnalités qui plaidaient en 2008 pour des réformes libérales musclées. Il fut jusqu’à sa démission en novembre membre du prestigieux corps de l’Inspection des finances, le club et le lobby des aristocrates de la République. Secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2012, il a conçu la politique économique de François Hollande, qui tourna le dos aux engagements de campagne de l’ancien premier secrétaire du PS. Au ministère de l’économie, il a conduit une politique très pro-business.

« Candidat Subway »
Malgré ce pedigree, Emmanuel Macron a raconté durant toute sa campagne l’histoire d’un homme neuf, empêché au gouvernement, jusqu’à sa démission le 30 août, en réalité réfléchie de longue date. « Macron, c’est un candidat Subway », s’amuse l’humoriste Yassine Belattar, allusion aux sandwicheries de la multinationale où l’on peut choisir sa garniture et la sauce qui va avec. « Chez Subway, tu fais le sandwich qui te ressemble, thon, olive, poulet. Macron, c’est ça : un peu centriste, un peu de gauche et très libéral sur certains trucs. » Le candidat de l’air du temps. Adeptes des méthodes marketing, ses conseillers l’ont théorisé : à part les plus conscientisés, minoritaires, les électeurs consomment la politique comme un produit. Ils veulent une belle histoire, un joli packaging, une expérience-client satisfaisante où ils se sentent valorisés, en prise directe avec la « tête de gondole ».
En Macron, chacun voit ce qui l’arrange. C’est peut-être payant – nous le saurons bientôt, et peut-être même dès ce dimanche 23 avril – pour empocher le pouvoir, comme on gagne un gros lot dans la fête foraine du grand n’importe quoi de cette présidentielle.
Ensuite, il faudrait gouverner. Une tout autre affaire. Macron refuse d’évoquer le moindre nom de ministre, encore moins celui d’un (ou une) chef(fe) du gouvernement. En cas d’élection, il sait qu’une majorité aux législatives est loin d’être assurée. « Les emmerdes commenceront le 9 mai », lendemain de l’élection, dit un proche, lucide. En Marche! est un parti créé pour la conquête du pouvoir. Que se passe-t-il si Macron est éliminé dimanche, ou battu le 7 mai ? « La dynamique d’En Marche! s’effondre en quinze jours », prédit un soutien socialiste.
En attendant, retracer le parcours de Macron au cours de l’année qui vient de s’écouler a quelque chose de fascinant. Dans un paysage politique dévasté, avec une campagne improbable marquée par les affaires et, en toute dernière minute, un attentat terroriste à Paris, Macron a réussi à se rendre « central ». Quel que soit le résultat de dimanche, c’était bien son pari de départ.
Il y a un an pile, Emmanuel Macron était déjà le chouchou de certains médias, attirés par la nouveauté et ce jeune monsieur poli, brillant, propre sur lui, aux idées raisonnables. Mais politiquement il n’était presque rien, sinon un ministre de l’économie jamais élu, guère aimé au PS – parti auquel il a brièvement adhéré à 24 ans –, prié de ne pas sortir de son couloir. À l’époque, Manuel Valls est premier ministre. Il tonne contre les frondeurs socialistes et s’apprête à dégainer le 49-3 pour imposer la loi sur le travail. François Hollande, pas encore hors jeu, entend bien se représenter.

31 juillet 2015. Emmanuel Macron à l’Élysée, avec François Hollande, Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian © Reuters

Macron, lui, a la folie de celui qui croit avoir un destin. « À seize ans j’ai quitté ma province pour Paris, écrit-il dans son livre Révolution, paru en décembre (XO). Cette transhumance, nombre de jeunes Français la font. C’était pour moi la plus belle des aventures. Je venais habiter des lieux qui n’existaient que dans les romans, j’empruntais les chemins des personnages de Flaubert, Hugo. J’étais porté par l’ambition dévorante des jeunes loups de Balzac. » « J’avoue un faible pour les héros romantiques que la vie expose à l’inconnu, au danger, aux grands espaces, ajoute-t-il dans L’Obs le 13 février. C’est pourquoi j’aime beaucoup Fabrice Del Dongo [ le héros de La Chartreuse de Parme – ndlr], qui se jette sur les routes avec une crâne inconscience. » Quand il se compare, il se trouve meilleur. « Dans le bazar de l’Élysée, il a fait l’expérience de la médiocrité », dit un soutien socialiste de la première heure.
Le 12 juillet 2016, Emmanuel Macron lance En Marche! à la Mutualité. Depuis des mois, il songe à créer un mouvement pour être prêt, si nécessaire. Il a mobilisé ses réseaux, invité à tour de bras à Bercy, consulté tous azimuts, créé un parti, commencé à démarcher d’éventuels donateurs. Épaulé par son conseiller spécial, venu de l’agence Havas, il utilise les grosses ficelles de la communication à l’ancienne pour installer le récit d’une candidature naturelle, presque évidente. Sa bobine est partout, des hebdos à la presse people dont il use sans modération, persuadé que la mise en scène de son couple avec Brigitte Trogneux, son ancienne professeure, suscite la curiosité et émeut dans les salons de coiffure.
Il devient le poulain de tout un pan de la deuxième gauche, les anciens strauss-kahniens orphelins, la frange libérale du PS, les Gracques et les technos, les start-upper qu’il chouchoute, les patrons qu’il s’emploie à séduire, de jeunes ambitieux socialistes exaspérés par l’autoritarisme de Valls, les vieux briscards à la Gérard Collomb, le sénateur et maire de Lyon, figure d’un centrisme municipal qui n’a plus grand-chose à voir avec Jaurès. « Ce que nous sommes en train de faire, c’est de commencer à écrire une nouvelle histoire », dit Macron à la Mutualité. Lecanuet, Servan-Schreiber… certains lui suggèrent que ce genre d’aventure politique en France, à part Giscard, ça n’a jamais marché. Il répond qu’ils ont juste refusé l’obstacle. Lui veut prendre le pouvoir par le haut.

« Baraka »
En un an, Macron a fait du chemin. Avec Jean-Luc Mélenchon, il est l’autre sensation de la campagne et prétend désormais devenir président de la République. Quand il parle de cette campagne, Fabrice Scagni a des étoiles dans les yeux. L’ancien militant UDI, syndicaliste CTFC au Crédit agricole, s’occupe de la mobilisation du parti en Seine-Saint-Denis. Un soir de la fin mars, dans un gymnase d’Aulnay-sous-Bois où se tient une énième réunion publique d’En Marche!, il raconte une belle histoire, « l’enthousiasme » des nouveaux militants, les actions de terrain qui n’arrêtent pas, les porte-à-porte où l’accueil est plutôt bon. « Quelle baraka quand même », dit Scagni.

Quel que soit le résultat du premier tour, Emmanuel Macron aura bénéficié d’une chance inouïe. Le 30 août 2016, il démissionne du gouvernement, portant une première estocade à Hollande, son mentor, qui dit : « Il m’a trahi avec méthode. » En octobre, il présente son « diagnostic » de la France réalisé sur la base de verbatims rassemblés lors d’un grand porte-à-porte dont les données ont été retraitées par algorithmes. Le 16 novembre, il annonce sa candidature, suspense éventé depuis longtemps.
Macron reste encore coincé entre les deux grands partis qui organisent leurs primaires, un exercice auquel il refuse, comme le chef de file de La France insoumise, de se plier. Pourtant, une à une, les têtes d’affiches annoncées voient leur tête rouler dans le sable. Les primaires lui servent sur un plateau l’improbable espace « central » qu’il appelait de ses vœux. Alain Juppé, le LR tempéré, est éliminé de la primaire de la droite. Fin janvier, Manuel Valls le social-libéral est battu par Benoît Hamon. Entre-temps, François Hollande a renoncé. « Dans ce désert aussi grand que le Sahara, Macron surfe », constate l’ancien patron du Crédit lyonnais Jean Peyrelevade, qui fut proche de Macron au début de l’aventure.
Quand il manque de trébucher, la fée Bayrou accourt. Mi-février, les propos de Macron sur les « humiliés » de la « Manif pour tous » et la colonisation « crime contre l’humanité » lui valent protestations à gauche et colère sur sa droite. François Bayrou, trois fois candidat à la présidentielle, le sauve du naufrage en lui apportant son soutien. Le président du Modem, qui porte la vertu en politique comme un étendard, dénonçait le « candidat des forces de l’argent »? Voilà qu’il ne le quitte plus, joue l’attaché de presse sur les plateaux, le compare à « Kennedy » et « Henri IV », son héros.
L’affaire Fillon qui a éclaté entre-temps dégoûte une partie de la droite. Dès lors, Macron va s’efforcer d’élargir son « socle » électoral – une expression de sondeurs, entendue mille fois dans cette campagne – en lui disputant cette partie de la droite qui refuse les scandales. Au risque des grands écarts.
Tout l’automne, Macron joue le contraste avec la gauche au pouvoir : il prône le retour de la société civile en politique, critique la déchéance de la nationalité et la brutalité du 49-3 qui a déchiré la majorité, laisse entrevoir quelques ouvertures sur les sujets de société, théorise une laïcité qui ne serait pas « revancharde », une expression qui vise Manuel Valls.
Mais après l’affaire Fillon, Macron est soucieux de se démarquer de la marque rouge hollandaise. « Emmanuel Macron, c’est moi », a dit un jour le locataire de l’Élysée ? Le candidat d’En Marche! droitise le discours. Il parle de « tolérance zéro » comme l’ancien maire de New York Rudy Giulani, dénonce le « multiculturalisme », éberlue certains soutiens en évoquant une réforme du code du travail imposée par ordonnances sitôt élu.

Son entourage préfère parler d’un subtil équilibre entre la gauche et la droite. L’équipe Macron, rivée sur les enquêtes d’opinion, gère son stock sondagier en temps réel. La « ligne de crête » finit parfois par ressembler à la traversée du funambule au-dessus du précipice.
Au fil des semaines, les soutiens s’accumulent. Inquiet de donner l’image d’une « recyclerie », Macron, qui promet le « renouvellement » politique, n’en labellise que quelques-uns : à gauche, Bertrand Delanoë, Dany Cohn-Bendit, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. À droite, les anciens ministres Renaud Dutreil, Dominique Perben ou Dominique de Villepin. La galaxie Macron, avec ses vieux politiques, ses toujours les mêmes et ses gloires fanées, a des airs de défilé du carnaval. Macron prend ses distances, mais utilise de chacun ce qu’il y a à en tirer, en particulier en terme d’image. Car dans cette campagne, la communication est omniprésente. Macron fait vendre. Une grande partie de la presse gobe le storytelling prémâché pour elle. Dix jours avant le premier tour, à Bagnères-de-Bigorre, la terre de son enfance, Emmanuel Macron pose avec son épouse Brigitte sur un télésiège et pousse le chant des montagnards. « C’était ridicule », peste une journaliste de télé. Les images ont été diffusées partout.
Juste avant le premier tour, Macron réussit à se faire appeler par l’ancien président américain Barack Obama : la séquence est évidemment retransmise sur les réseaux sociaux. Son entourage est beaucoup moins pressé quand il s’agit de faire toute la transparence sur son patrimoine. Depuis plusieurs jours, nous demandons à son équipe des précisions sur les chiffres qu’Emmanuel Macron a donnés lundi dernier sur BFMTV, afin d’expliquer certaines zones d’ombre qui subsistent dans sa déclaration de patrimoine.
Malgré de nombreuses relances, il n’y a jamais eu de réponse.
mediapart.fr

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