Malick Faye, Inspecteur principal des Douanes – « La méconnaissance du droit douanier est une contrainte majeure »

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C’est en 2006 que le Lieutenant-colonel Malick Faye est sorti de l’Ecole nationale d’administration (Ena). Il a eu son Diplôme d’études approfondies générales (Deag) de droit privé en 2003 après une Maîtrise de droit privé, Option judiciaire. Nommé récemment Conseiller technique auprès du Directeur général des Douanes, Malick Faye avait auparavant occupé d’autres fonctions notamment d’Inspecteur vérificateur et de Chef des Sections d’écritures à Dakar Port Sud (Mole 2). Auteur de plusieurs publications, il vient de mettre à la disposition du public «Le droit douanier séné- galais», un ouvrage édité par l’Harmattan. Dans cet entretien, Dr Faye nous introduit de plain-pied dans ce droit «fermé », méconnu des Sénégalais, des professionnels du secteur en particulier, qui doivent pourtant s’approprier le nouveau Code des Douanes du Sénégal aux normes de l’Uemoa entré en vigueur depuis un an. Il dévoile, ici, les particularités du droit douanier non sans soutenir que des améliorations restent nécessaires

Pourquoi avez-vous intitulé l’ouvrage «Le droit douanier sénégalais» ?

Je l’ai intitulé ainsi parce que sa publication fait suite à la soutenance en 2014 de ma thèse de doctorat de droit privé intitulé le «Droit positif à l’épreuve du droit douanier». A travers ce sujet, je voulais étudier les rapports entre le droit positif, défini comme l’ensemble des normes juridiques applicables sur le territoire sénégalais et le droit douanier. Le droit douanier est un droit particulier qui a ses propres règles. Il fait partie du droit positif, qui comprend également le droit commun qui n’a rien de spécial. Dans ma perspective, il s’agissait d’examiner les rapports entre le droit douanier et le droit commun en empruntant deux axes. Dans ce cheminement, au plan pénal et au plan civil, des interrogations surgissent. Quels sont les rapports entre le droit douanier et le droit pénal général ? Quels sont les rapports entre le droit douanier avec le droit civil ? Le droit douanier à ses règles dé- rogatoires, qualifiées parfois d’exorbitantes et qui peuvent sortir du cadre du droit commun. L’administration des douanes a des prérogatives qu’on ne trouve pas toujours en droit commun. C’est ce qui fait la particularité du droit douanier. Il a une vocation bien précise, qui est de protéger l’économie du Sénégal. A cet effet, on donne des règles particulières à l’administration des douanes pour pouvoir recouvrer le maximum de recettes. Elle a des missions visant l’application des règles en matière fiscale. L’administration des douanes a également une vocation économique consacrée par des prérogatives et des procédures particulières. C’est la raison pour laquelle dans le Code des douanes, il y a une règle particulière qui déroge au droit commun.

Avez-vous le sentiment que les Sénégalais connaissent le Droit douanier?

Non, c’est un droit un peu ésotérique. Il n’est pas bien connu parce qu’il n’est pas enseigné à l’université. Cette situation est une contrainte majeure. Quand on venait d’entrer à l’Ena, on avait souvent des problèmes avec certains concepts du droit douanier parce qu’on a été formé en droit commun. En droit douanier, on nous dit par exemple que l’élément légal et l’élément matériel suffisent pour établir l’infraction. L’élément intentionnel n’a pas sa place dans l’infraction douanière. Cette disposition nous bouleversait un peu ; on nous avait appris qu’une infraction existe, quand le maté- riel, l’intentionnel et l’élément légal sont réunis.

Autre illustration, l’article 417 du Code de procédure dispose que les procès verbaux de la police et de la gendarmerie ne valent qu’à titre de simples renseignements. Alors qu’en matière douanière, un procès-verbal signé par deux agents des douanes fait foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles. C’est dire comment le droit douanier est particulier. Si vous n’êtes pas douanier, commissionnaire en douane agrée, communément appelé transitaire ou opérateur du commerce international, vous pouvez ne pas connaître les règles du droit douanier. Il faut divulguer ce droit, l’enseigner à l’université et dans les centres de formation parce qu’il commence à prendre une importance majeure avec la libéralisation de l’économie.

Dans un tel contexte, on ne peut pas faire des activités économiques dans un pays sans un effort de vulgarisation et d’appropriation des règles du droit douanier. C’est une mission essentielle pour l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Je dois également souligner que cette question interpelle aussi les magistrats chargés d’appliquer la loi douanière. Quand il y a une infraction, l’administration, qui n’a pas sa propre juridiction, est obligée de saisir la justice. Dès fois, les magistrats ne connaissent pas suffisamment les règles du droit douanier. Le Centre de formation judiciaire (Cfj) a commencé à ré- pondre aux besoins de formation depuis deux ans. Un cours de droit douanier a été introduit dans la formation des magistrats pour leur permettre d’en avoir une connaissance approfondie. C’est un droit particulier, qui a ses racines dans le droit pénal général. Ces règles sont certes particulières mais il est sous-tendu par le droit commun. Dans «Le droit douanier sé- négalais», vous évoquez la ré- forme du code en 2014.

Pouvez-vous nous faire une présentation synthétique de ses grandes orientations ?

Les orientations sont nombreuses ; on a eu que 3 codes. C’est d’abord le décret de 32 qu’on a appliqué jusqu’en 1974. Après, on a eu notre premier Code des douanes. Le législateur a ensuite apporté quelques réformes au Code de 74 pour assurer la cohérence entre l’activité douanière et la philosophie qui animait l’économie en 1987 avec les programmes d’ajustement structurel et le plan Sakho Loum. C’était l’objectif premier de la réforme.

La Douane devait accompagner l’économie en restaurant l’orthodoxie pour donner aux agents des douanes des pouvoirs en vue de mieux lutter contre la fraude, les contrebandes et faire jouer à la Douane son rôle de soldat de l’économie . La première réforme est intervenue en 1987 et c’est ce même code qui a été appliqué jusqu’en 2014. Durant cette période, les choses ont beaucoup changé. Avec la mondialisation et le développement du commerce, la fraude à changer.

L’avènement des espaces communautaires tels que l’Uemoa et la Cedeao a également eu des incidences. Avec la hiérarchie des normes, on ne peut pas avoir un Code des douanes qui va à l’encontre des dispositions communautaires. Il se trouve que dans le Code des douanes, il y avait beaucoup de dispositions de 1987 qui étaient en contradiction avec les dispositions de l’Uemoa et de la Cedeao. Quel que soit la particularité du Droit douanier, ses règles ne peuvent pas déroger aux normes communautaires. Il fallait donc harmoniser et s’ouvrir par rapport aux nouvelles philosophies pour fonder une Douane de partenariat. Il fallait que les entreprises sentent qu’il s’agit désormais de créer des régimes favorables au développement de l’activité économique tout en luttant contre la fraude et les nouvelles formes de criminalité (infiltrations, livraisons surveillées, contre façon) qui commence à gagner du terrain.

Le nouveau Code de 2014 a pris en compte tous ces aspects alors que le Code de 87 ne l’avait pas fait. Il convient aussi de relever qu’en ce qui concerne les sanctions, l’essentiel a été revu à la baisse. Alors que le juge n’avait pas la possibilité de retenir le sursis dans le Code de 87, celui de 2014 le lui permet dans certains cas limités. On a essayé d’atténuer la rigueur du droit douanier et de s’ouvrir à l’entreprise. Durant les années 2000, on a créé la Direction de la facilitation et du partenariat (Dfp) pour permettre aux entreprises de se rapprocher de la Douane. La Douane doit aller vers les entreprises pour leur offrir des régimes économiques leur permettant d’être compétitives sur le plan international. La mondialisation a entrainé des bouleversements, notamment avec l’avènement de la valeur transactionnelle. Avant, la valeur était déterminée par l’administration des douanes.

Concernant cette valeur, dite valeur de Bruxelles consacrée par l’article 15 du Code de 1987, il faut rappeler que c’est l’administration qui avait la prérogative de déterminer la valeur de la marchandise. Avec l’Organisation mondiale du commerce (Omc), on a instauré la valeur transactionnelle c’est-à- dire le prix effectivement payé ; l’administration n’a plus la possibilité de déterminer la valeur. Il fallait donc intégrer dans le Code des douanes la valeur déterminée sur la base de la facture payée par l’importateur. La croissance du trafic de drogue à laquelle les pays de l’Afrique de l’Ouest sont confrontés a également conduit à la création d’infractions pour trouver une base légale dans le nouveau Code des douanes.

Quelques fois vous parlez de réformes inachevées, doit-on comprendre que certains pans du droit n’ont pas été pris en compte ?

Aucune réforme, aucune œuvre ne peut pas être parfaite. On a fait de grandes avancées dans le Code des douanes mais d’autres évolutions sont nécessaires en ce qui concerne notamment l’élément intentionnel de l’infraction. Ce dernier n’est pas toujours une condition d’existence de l’infraction douanière. Le juge a, certes la possibilité de donner le sursis ce qui n’a rien à voir avec l’élément intentionnel, ou d’accorder des circonstances atténuantes par rapport à certaines infractions. Mais jusqu’à présent il n’a pas le pouvoir de retenir cet élément comme une condition d’existence de l’infraction.

C’est discutable, chacun à son point de vue ; il est opportun dans le contexte sénégalais actuel de faire de l’élément intentionnel une condition d’existence. En France, ils l’ont fait. Il y a une différence entre circonstance atténuante et intention. Cette dernière intervient au moment de la commission des faits, alors que la circonstance atténuante intervient au moment de la répression, au moment de l’engagement de la responsabilité. C’est la réforme française qu’on reconduit ici mais il faut admettre que l’intention n’est pas encore une condition d’existence du délit douanier. Mais on a fait un pas ; le juge qui n’avait pas la possibilité de retenir des circonstances atténuantes, peut le faire aujourd’hui. Le débat se poursuit au sein de l’administration des Douanes et dans le milieu universitaire.

Est ce qu’on ne doit pas aller vers la dépénalisation des infractions douanières ?

Chacun a son point de vue et une partie de la doctrine prône la dé- pénalisation de certaines infractions douanières. Pour achever la réforme, il faudra peut-être réfléchir sur ces questions. Autant de questions que vous allez examiner dans votre prochain livre… Dans le prochain livre, dans des articles, dans des contributions. Il faut étudier toutes ces questions. Le droit douanier s’applique dans un contexte bien dé- terminé. Le contexte sénégalais n’est pas celui de la France. Ce pays est en avance sur les ré- formes douanières parce que son contexte le justifie. Aujourd’hui, en France l’administration ne compte plus sur les recettes douanières. C’est la Communauté économique européenne (Cee) avec l’avènement de l’espace Schengen qui récupère les droits et les redistribue aux Etats. Au Sénégal, on continue à compter sur les recettes douanières et les impôts pour prendre en charge les dépenses de l’Etat.

Grand Place via seneplus

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