«Maya ANGELOU (1928-2014), une vie d’art, de combat et de liberté», par M. Amadou Bal BA

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Les 10 et 11 octobre 2016, au théâtre de l’Odéon, à Paris 6ème, Maya ANGELOU, une écrivaine noire américaine, a été honorée en présence de Russell BANKS, Rita COBURN-WHACK, Léonora MIANO, avec la participation enregistrée de Christiane TAUBIRA, une animation par Margot DIJKGRAAF et des lectures de Nicole DOGUE. Depuis le BRXIT,  l’arrivée de Donald TRUMP au pouvoir, un président suprémaciste et antimusulman, ainsi que la montée du FN, dans la campagne des présidentielles de 2017 en France, les brutalités des forces de l’ordre contre les Noirs, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France, les problèmes de discrimination et les inégalités raciales restent d’une actualité brûlante. Par conséquent, il est urgent de faire découvrir la richesse du combat et de l’œuvre de cette femme noire extraordinaire, qu’est Maya ANGELOU.

Maya ANGELOU fut une féministe exceptionnelle et une militante des droits civiques et une artiste qui s’engagea, de façon résolue, pour la tolérance, la justice et l’égalité. Danseuse, chanteuse, actrice, elle a été aussi poète et romancière. Maya ANGELOU qui a séjourné en Egypte et au Ghana, a travaillé avec Martin Luther KING, et fut l’amie de Malcom X, James BALDWIN, Oprah WINFRAY, Hillary CLINTON et Barack OBAMA.

Curieusement, elle est peu connue en France et en Afrique. Il aura fallu attendre 2008 pour qu’un éditeur canadien commence à traduire à son autobiographie, notamment «Tant que je serai noire» dont le titre en langue anglaise est «The Heart of a Woman», ainsi que «Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage» (Why The Caged Bird Still Sings). Le témoignage de Maya ANGELOU, marqué par le racisme anti-noir, ses combats, ses amours et son militantisme, est dénué de la moindre complaisance et révèle une femme d’exception. Dans son ouvrage, «Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage», Maya ANGELOU libère le lecteur parce qu’elle «met en scène sa vie avec une maîtrise émouvante et une lumineuse dignité. Les mots me manquent pour décrire un tel exploit, mais je sais que jamais depuis les jours lointains de mon enfance, lorsque les personnages de roman étaient plus réels que les gens que je voyais tous les jours, je me suis senti à ce point ému» dit James BALDWIN. C’est un livre d’espoir et d’espérance que Maya ANGELOU a dédié «à tous ces grands oiseaux noirs prometteurs qui défient le hasard et les dieux et chantent leur chanson».

«J’ai été la première danseuse dans Porgy and Bess ma première fois à Paris dans les années 50», précise-t-elle en français. Un problème au genou interrompt sa carrière de danseuse. Le rebondissement permanent est caractéristique d’un parcours que Maya retracera en six volumes, notamment dans «Tant que je serai noire». Maya ANGELOU est devenue, grâce à l’amour, qu’elle avait reçu de sa grand-mère qui l’a élevée, et de sa mère à laquelle elle s’était réconciliée au sortir de l’adolescence. «Leur amour m’a influencée, formée, libérée», écrit-elle dans la préface du livre. Véritable philosophie de vie, cet amour qui libère était aussi au cœur de la pensée féministe de Maya ANGELOU, contrairement au féminisme radical qui n’admet pas la nécessité de l’amour. Beaucoup de femmes américaines, de Michelle OBAMA à Oprah WINFREY, en passant par Hillary CLINTON et autres femmes puissantes comme impuissantes de l’Amérique contemporaine, se sont reconnues dans le féminisme hors des sentiers battus que la poétesse a incarné. «Pour moi c’est le pouvoir des mots de Maya ANGELOU, des mots si puissants qu’ils ont conduit une petite fille noire des quartiers pauvres de Chicago jusqu’à la Maison Blanche» souligne Michelle OBAMA. «Elle a amené les femmes afro-américaines à oser se tourner vers l’écriture. Elle était d’une générosité sans faille. C’était une femme unique et irremplaçable» dit Toni MORRISON.

Née Marguerite Ann JONHSON le 4 avril 1928 à St-Louis (Missouri), la jeune fille expérimente très tôt la brutalité de la discrimination raciale. Adolescente, elle étudie la danse et le théâtre à San Francisco où vit sa mère. Jeune mère célibataire, elle multiplie les petits boulots avant de partir en tournée en Europe avec l’opéra « Porgy and Bess« . Elle étudie la danse contemporaine avec Martha GRAHAM, danse avec Alvin AILEY, enregistre son premier album en 1957 avant de partir pour New York où elle monte sur les planches pour jouer notamment «Les Nègres», une pièce de théâtre de Jean GENET. En 1951, date son mariage, rapidement suivi d’un divorce, avec un marin grec, Enistasious Tosh ANGELOS, dont la déformation du nom deviendra son nom de scène, «ANGELOU». Elle part ensuite s’installer en Egypte où elle travaille dans un magazine, puis enseigne au Ghana où elle rencontre le leader noir Malcolm X, qui sera assassiné en 1964.

A son retour aux Etats-Unis, le pasteur et militant des droits civiques Martin Luther KING lui demande de diriger la section nord de son association de droits civiques, Southern Christian Leadership Conference. L’assassinat du prix Nobel de la Paix la laisse « anéantie« . Selon le New York Times, pendant des années, Maya ANGELOU ne célèbrera pas son anniversaire le 4 avril, le jour de 1968 où le pasteur a été tué.

En 1993, Bill CLINTON avait demandé à Maya ANGELOU de lire un poème au cours de sa cérémonie d’investiture. En 2011, le président Barack OBAMA lui avait rendu hommage en lui remettant la Médaille présidentielle de la liberté, la médaille civile la plus importante du pays. Le président OBAMA avait alors salué « une voix qui a parlé à des millions de gens, dont ma mère, et c’est pourquoi ma soeur s’appelle Maya« , avait-il dit, avant d’affirmer qu’elle a « inspiré tant d’autres qui ont connu l’injustice dans leurs vies ».

Maya a vécu son enfance à Stamps, où le monde était unicolore. « En 1928, il n’y avait peut-être qu’une Amérique, dit-elle, mais elle était blanche. Le reste d’entre nous, Noirs, Hispaniques, Asiatiques, nous étions tous marginaux. » L’Arkansas était tellement raciste, disait-on, que « les Noirs ne pouvaient même pas acheter de la glace à la vanille ». La voix de l’écrivain traverse la grande maison jaune. Elle étudie longuement ses mots, détache les syllabes et dit le poème de sa vie autant qu’elle raconte. On la suit, pour un peu on est à ses côtés près du feu de l’oncle Willie. Tout à coup elle s’arrête, et la voix retombe comme un point final. Reprendra-t-elle ? A l’âge de 8 ans, Maya ANGELOU s’est tue, et son silence a duré cinq ans. Il y a d’abord eu le viol, par l’homme que fréquentait sa mère. Puis le meurtre de cet homme, après qu’elle eut raconté à son frère Bailey ce qui lui était arrivé. Elle a longtemps pensé que ses mots l’avaient tué. Le mutisme continue d’exercer sur elle une séduction mystérieuse. « C’est une drogue. Je ne pense pas que ses pouvoirs s’en aillent jamais. Il est toujours là, qui dit, tu peux revenir quand tu veux ».

Maya ANGELOU n’a pénétré le monde des Blancs qu’à l’adolescence, en Californie, quand sa mère l’a inscrite dans une école privée. « Comme j’étais bonne élève et que j’étais la première Noire que les professeurs côtoyaient, j’étais particulièrement bien vue. Cela m’inquiétait. C’était la première fois que j’étais avec des Blancs » dit-elle. Un de ses professeurs était une femme exceptionnelle qui ne faisait pas de distinction entre les élèves et qui appelait tout le monde par son nom de famille. Grâce à elle, Maya n’a jamais vu le monde en noir et blanc. Plus tard, à Harlem, il lui est arrivé d’avoir envie de fuir quand elle entendait ses amis être obsédés par le comportement des Blancs. Pour elle, tous les Blancs n’avaient pas toujours tort tout le temps.

A San-Francisco, quand elle est rejoindre sa mère, Viviane BAXTER JACKSON, elle se sentait mieux dans cette ville et commence les cours du soir d’art dramatique et de danse. Elle fut la première noire engagée par la Compagnie des Tramways, après plus tentatives. «La vie te donneras exactement ce que tu y apporteras» lui dit sa mère. C’est dans cette ville, à 16 ans que Maya ANGELOU, après des relations sexuelles furtives, tombe enceinte ; elle aura un garçon, Guy.

En 1945, un événement important est survenu dans sa vie. L’éducatrice a reçu un coup de téléphone dans la classe puis elle s’est mise à marcher à de long en large avant de s’adresser aux élèves. « Jeunes gens, jeunes filles. » Elle a demandé aux élèves de quitter la classe en silence et de rentrer chez eux. Maya ANGELOU entend encore ses paroles. « Vous ne parlerez à personne et vous penserez à votre pays. Parce qu’aujourd’hui, votre président est mort. » Franklin ROOSEVELT venait de s’éteindre à Warm Springs, en GEORGIE. « Pour la première fois, dit Maya ANGELOU, il est devenu mon président« . Les élèves ont fait exactement ce que leur avait dit le professeur, comme s’il s’était agi de leur propre grand-père. « Je n’ai parlé à personne, j’ai pris le tramway, reprend-elle. Et ce jour-là, je suis devenue une Américaine. Pas seulement quelqu’un qui vit dans ce pays ».

 Maya n’aurait jamais cru qu’elle reviendrait habiter le Sud. Mais en 1981, l’université Wake Forest lui a offert une chaire d’études américaines. Elle est restée. Comme l’Amérique, la Caroline change. Des jeunes sont arrivés, les mentalités ont évolué. « C’est une chose merveilleuse de vivre de si longtemps», dit l’écrivaine. «On voit tous les changements. Il y a cent cinquante ans ma grand-mère était esclave. Maintenant je peux poursuivre quelqu’un en justice si je m’estime victime de discrimination » rajoute-t-elle. L’écrivaine continue à travailler pour le cinéma et la télévision, joue dans la série « Racines« , dirige son premier film « Loin d’ici » (« Down in the Delta ») avec Wesley SNIPES, en 1996.

I – Je sais pourquoi l’oiseau en cage chante I Know Why The Caged Bird Sings

Maya ANGELOU a raconté son parcours extraordinaire dans des récits autobiographiques : Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, Tant que je serai noire, Un billet pour l’Afrique et Lady B.. Ses livres, étudiés dans les écoles américaines, ont été des best-sellers vendus à des millions d’exemplaires. Maya ANGELOU parlait six langues, dont le français. Ainsi, «Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage» (I Know Why the Caged Bird Sings) est un roman autobiographique publié en 1969 sur les jeunes années de Maya ANGELOU. Premier d’une série de six volumes, ce roman illustre combien force de caractère et amour de la littérature peuvent aider à affronter le racisme et les traumatismes. Maya ANGELOU y dénonce «la laideur et la pourriture des vieilles abominations». Le récit commence lorsque Maya, alors âgée de trois ans, et son frère aîné sont envoyés dans la ville de Stamps, dans l’Arkansas, afin d’y vivre chez leur grand-mère et se termine lorsque l’auteur devient mère à l’âge de dix-sept ans après avoir été violée par son beau-père.

Le livre raconte comment Maya, victime de la xénophobie de l’abus de pouvoir et souffrant d’un complexe d’infériorité, se transforme petit à petit en une femme digne, sûre d’elle, capable d’affronter le racisme. Dans ce récit, Maya ANGELOU relate son parcours hors du commun, ses débuts d’écrivain et de militante dans l’Amérique des années 1960 marquée par le racisme anti-Noir, ses combats, ses amours. «Si grandir est pénible pour une petite fille noire du Sud, être consciente de sa non-appartenance c’est la rouille sur le rasoir qui menace sa gorge» dit-elle. Maya était heureuse de vivre dans le quartier noir de Stamps. Mais cette joie vivre s’évanouissait dès qu’elle atteignait les quartiers blancs : «à Stamps, la ségrégation est si totale que la plupart des enfants noirs ne savaient pas, à quoi ressemblaient exactement les Blancs. Exceptés qu’ils étaient différents, et qu’il fallait avoir peur d’eux, et que cette peur traduisait aussi l’hostilité des faibles contre les puissants, des pauvres contre les riches». Les préjugés des Blancs de cette ville étaient tels qu’un enfant noir ne pouvait pas acheter de la glace à vanille. «Je préférerais fourrer la main dans la gueule d’un chien que dans celle d’un nègre» dit un dentiste blanc qui ne voulait pas la soigner.  «Quelle horreur d’être noire et de n’avoir aucun contrôle sur ma vie» dit-elle et d’ajouter un extrait du poème «Invictus» de William HENLEY : «Je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme».

Maya ANGELOU a vécu à l’arrière-boutique tenue par sa grand-mère. Durant les aubes tendres, le magasin se remplissait de rires, de plaisanteries, de fanfaronnades et de vantardises. «Le magasin fut mon endroit favori. Abandonné et désert, le matin, il ressemblait au cadeau empaqueté d’un étranger» précise-t-elle. Les principaux clients sont des ouvriers noirs qui travaillent, comme des esclaves, dans les champs de coton. «Quelle que fût la quantité de coton récoltée, elle n’était pas suffisante. Leurs gages ne permettaient même pas de payer leurs dettes à ma grand-mère, sans parler de l’effrayante addition qui les attendait à la coopérative blanche de la ville» dit-elle.

Son témoignage, dénué de la moindre complaisance, révèle une personnalité exemplaire. «Elevez la voix de chacun pour chanter, jusqu’à ce que ce terre et ciel retentissent des accents de liberté» ou encore entonne-t-elle : «Le sort qu’ont choisi les autres, je l’ignore, mais pour moi ce sera la liberté ou la mort». Son époque refusait encore de reconnaître les vérités brutales qu’elle exprimait, notamment la misogynie et le racisme ambiants. Maya ANGELOU se nourrissait du vécu des Noirs américains, de son expérience intime et sociale qui était ignorée ou marginalisée par la culture dominante contre laquelle elle luttait sans relâche. Son immense succès ne tient pas seulement à la singularité de son écriture, si directe et si lyrique, mais aussi à la source de son propos essentiel «faire entendre une voix très rare encore, celle d’une femme noire à la fierté indomptable» dit Dinaw MENGESTU. L’Amérique a plus grand mal à ne pas compartimenter, voire à ne pas renier le travail de ses artistes minoritaires. Contre la société, contre les préjugés d’un autre temps, «j’accorde la plus grande valeur à cette détermination à créer. Ecrire et témoigner lui étaient une nécessité vitale» précise Dinaw MENGUSTU.

C’est à Saint-Louis, que Maya a été violée, à l’âge de 8 ans, par un ami de sa mère, M. FREEMAN qui fut arrêté par la Police. Il fut condamné à 1 an et 1 jour de prison et fut relâché le jour même. Mais on a retrouvé M. FREEMAN mort sur un terrain vague, derrière l’abattoir. Il aurait été battu, à mort. Cet incident majeur obligea, à cause du regard des autres, Maya à revenir vivre à Stamps. «Rien d’autre m’arriver car, à Stamps, rien n’arrivait jamais» dit-elle.

Dans «Lettre à ma fille», est une succession de courts textes décrivant les souvenirs qui ont façonné la vie exceptionnelle de Maya ANGELOU. «J’ai donné naissance à un seul enfant, un garçon, mais j’ai des milliers de filles» dit-elle. Maya adresse une recommandation à son enfant : «fais tout ton possible pour changer les choses qui te déplaisent et si tu ne peux opérer aucun changement, change ta façon de les appréhender ». Maya ANGELOU pense qu’elle est vraiment née à Stamps et non à Saint-Louis, «ma vraie naissance au monde, à Stamps, vint de cette continuelle lutte contre la condition des vaincus qui y régnait. Rendre les armes, abandonner comme l’avaient fait ceux que je côtoyais tous les jours, tous noirs, tous replets. Cette soumission ensuite à l’idée que les Noirs étaient inférieurs aux Blancs, ce que j’ai rarement ressenti». Le Sud a rétrogradé psychologiquement les Noirs qui ne sentent en sécurité qu’à la maison. L’enfant doit trouver un refuge où lui seul puisse se glisser. «On a beau agir avec finesse, complexité et empirisme, l’endroit où l’on se sent le plus en sécurité, c’est, ce que je crois, en soi-même, dans le foyer que l’on trouve tout au fond de soi, le seul qu’on habite vraiment» dit Maya ANGELOU dans «Lettre à ma fille».

 C’est pendant son deuxième séjour à Stamps que Maya ANGELOU découvre le goût de la lecture, chez une aristocrate noire, Bertha FLOWERS. «Elle fut l’une des rares dames que j’aie jamais connues et elle est restée tout au long de ma vie mon modèle de l’être humain» dit Maya ANGELOU qui précise «Mme FLOWERS me rendait fière d’être noire, rien qu’étant elle-même». Depuis le viol, Maya ANGELOU sombra dans le mutisme. Mme FLOWERS lui déclara qu’elle allait lui donner des livres, qu’elle devait non seulement lire, mais les lire à haute voix. Il faut la voix humaine pour infuser à la lecture les nuances les plus profondes.

 Maya lit, notamment Langston HUGUES, WEB du BOIS, KIPLING et son poème «If» (tu seras un homme, mon fils), et en particulier un dramaturge anglais : «je rencontrai William SHAKESPEARE et tombai amoureuse de lui». Et c’est SHAKESPEARE qui disait «quand la Fortune et le regard des hommes vous tiennent en disgrâce».

II – Tant que je serai noire – The Heart of a Woman

«Tant que je serai noire» (The Heart of a Woman) reprend les événements de sa vie qui se sont déroulés entre 1957 et 1962. En Californie, Maya ANGELOU rencontre la chanteuse Billie HOLIDAY, à la fin de sa vie : «son visage bouffi ne gardait presque rien de sa beauté naguère». L’abus d’alcool, ses penchants lesbiens, ses sautes d’humeur, sa voix râpeuse, traînante et geignarde, ainsi que la complexité de sa langue ont étonné  Maya ANGELOU : «la langue de Billie HOLIDAY, était un mélange de railleries et de vulgarités qui me prit complètement par surprise» dit-elle.

A partir de cette époque, Maya décide de devenir un écrivain ; elle part avec son fils, Guy, pour Harlem, épicentre de l’activité intellectuelle des Noirs américains. Elle avait un vocabulaire, mais elle a sous-estimé la difficulté de l’art qui consiste à manier les mots : «Si vous êtes né Noir aux Etats-Unis, on vous soupçonne déjà de tout. Sauf d’être Blanc, bien entendu». Ecrire, c’est décider de se jeter dans les eaux d’un lac glacé : «après tout, vaincre les obstacles faisait partie de la tradition honorable des Noirs». Maya ANGELOU participe au bouillonnement intellectuel de l’époque et chante au mythique théâtre Apollo accompagnée du musicien cubain Mongo SANTAMARIA. Elle côtoie les artistes comme Sidney POITIERS, Harry BELAFONTE, Nina SIMONE, Myriam MAKEBA, ainsi que l’écrivain James BALDWIN. «Quand on est Noir, on ne doit pas espérer que tout se passera pour le mieux. Alors prépare-toi au pire et n’oublie jamais que tout peut arriver» lui disait sa mère. Ce sont, son ami l’écrivain James BALDWIN (voir mon post sur cet exceptionnel auteur) et son éditeur Robert LOOMIS qui demandèrent à Maya ANGELOU d’écrire son autobiographie. De par l’emploi de techniques stylistiques propre à la fiction, certains critiques ont vu dans son œuvre plus un roman autobiographique d’une biographie, là où la majorité de la critique y a vu une autobiographie dont Maya ANGELOU en aurait changé et étendu les codes. Le récit traite de sujets propres aux autres biographies d’Américaines noires durant les années qui suivirent le mouvement afro-américain des droits civiques : la maternité d’une femme noire, une critique du racisme, l’importance de la famille, et la quête de l’indépendance et de la dignité a de la personne.

C’est à Broadway que Maya ANGELOU joue la pièce de théâtre de Jean GENET, «Les Nègres», de 1958. Pour Maya ANGELOU, «Les Nègres, c’était une grande pièce, l’œuvre d’un Blanc qui avait passé beaucoup de temps en prison. GENET comprenait l’impérialisme et le colonialisme, l’effet corrosif de ces maux sur la bonté naturelle des gens. Il était essentiel que les nôtres voient les Nègres». Pour Jean GENET (1910-1986), le colonialisme s’effondrerait sous le poids de son ignorance, de son arrogance et de sa cupidité. Cependant, Jean GENET était un visionnaire ; il avait prédit que les Africains seraient durs avec les Africains. Les opprimés prendraient la place de leurs anciens maîtres. Ils se montreraient ni plus braves, ni plus miséricordieux. Bref, ils ne vaudraient pas mieux qu’eux. Maya ANGELOU contestait ce point de vue ; les Africains ne pourraient pas maltraiter leurs semblables, parce qu’ils seraient plus respectueux, plus charitables, plus pieux. Selon ANGELOU avait la naïveté de croire que les Africains seraient nés pour le pardon et seraient convaincus de «l’existence de quelque chose de plus grand que nous, d’extérieur à notre enveloppe charnelle». Maya ANGELOU pensait, initialement, que Jean GENET ne serait qu’un «Blanc borné»  qui traduisait, à travers sa pièce de théâtre, la méchanceté et la cruauté des siens sur une race dont il ne savait rien. Son compagnon, Sud-Africain, un opposant au régime de l’Apartheid, Vizumzi MAKé, lui ouvrira les yeux. Les Noirs sont des êtres humains, capables du meilleur comme du pire. Les Noirs, si on leur donne l’occasion, deviendront aussi cruels que les Blancs. «La plupart des révolutionnaires noirs, des radicaux et des militants noirs, ne souhaitent pas vraiment le changement. Ce qu’ils veulent c’est de prendre la place des Blancs. La pièce ne fait que souligner un tel risque» dit MAKé.

C’est à Harlem que Maya ANGELOU rencontre Rustin BAYARD et participe pour la collecte des fonds en faveur de Martin Luther KING. «Nous, les plus honnis de tous, devions prendre la haine dans nos mains et, par le miracle de l’amour, la transformer en espoir» dit le révérend KING. D’une amabilité naturelle et légèrement déstabilisante, il prêchait la rédemption par la souffrance.

«Femme saine, dotée d’une libido à l’avenant», Maya rencontre un chasseur de primes, divorcé. Leurs relations sont restées au stade de l’assouvissement des relations charnelles. Maya sera conquise, par la suite, par Vuzumzi MAKé, qui se bat pour la liberté des Noirs d’Afrique du Sud, «c’est l’Africain le plus futé et le plus posé que j’aie jamais vu».  Il était de passage à New York accompagné par Olivier TAMBO. «L’intelligence avait toujours eu sur moi un effet pornographique» dit-elle à propos de MAKé. «En fait, je devais m’éloigner de cet homme, qui m’électrisait. Je sentais des étincelles dans mes mamelons et mes oreilles. J’avais des picotements sous les aisselles» dit-elle. Ce leader sud-africain présentera à Maya, Patrice LUMUMBA, de passage à New York.

Maya part en Afrique, théâtre des luttes anticolonialistes et devient rédactrice adjointe, avec l’aide de David Du BOIS, au journal l’Arab Observer. En Egypte elle fait une description pittoresque du Caire qui est un «mardi gras perpétuel». Au Caire, elle rencontre la poète égyptienne Hanifa FATHY. Maya avait de l’attirance physique pour MAZé mais la magie n’opère plus. De son ami, de surcroît la trompe : «Pour un Africain, l’acte sexuel n’a d’importance que dans le temps présent» dit assène MAZé. Maya avait un projet de rendre au Libéria en passant par le Ghana. Mais son fils eu un accident au Ghana et elle resta finalement dans ce pays, et occupa un poste d’adjointe administrative à l’université.

Dans «Tant que je serai noire», Maya ANGELOU se pose différentes questions. Tout d’abord, Maya ANGELOU, femme noire, mais féministe d’origine américaine, discute abondamment du statut de la femme en Afrique et aux Etats-Unis. Les femmes des combattants noirs, exilés à Londres pour l’indépendance, vivent recluses, dans l’attente du retour de leur mari. «Nous sommes des femmes et seulement des utérus» dit l’une d’elle. «Nous avons des idées en plus d’avoir des enfants» dit une autre. Maya ANGELOU dans sa relation avec MAKé a le souci d’être indépendante et donc de pouvoir travailler : «Je n’ai pas fait le vœu de renoncer à la vie» ou encore «la vie ne se résume pas qu’à ces deux rôles : être une ménagère accomplie et une chatte brûlante».

Ensuite, une autre question taraude, Maya ANGELOU, l’Afrique est-elle la patrie des Noirs américains dans laquelle ils sont les bienvenus ?

La relation avec l’Afrique s’est révélée complexe. Les Noirs américains partent du postulat qu’ils ont été vendus par leurs ancêtres africains, des marchands d’esclaves. En même temps, les Noirs Américains auraient aimés être accueillis à bras ouverts en Afrique.

Enfin, Maya ANGELOU ressent en Afrique qu’elle est profondément américaine. En effet, Maya ANGELOU a rencontré aux Etats-Unis comme au Ghana, Malcom X, pour qui elle voue un culte sans limites : «Malcom X nous fascinait par son amour et sa compréhension des Noirs, sa haine des Blancs et de leur cruauté». Malcom X n’était pas tendre à l’égard des Blancs, et sans discernement : «Si vous voulez survivre à tout prix, vous n’avez qu’à dire «oui, Monsieur» et à vous incliner, vous écraser et vous agenouiller devant le démon». Dans la première partie de sa vie l’amitié sincère entre un Blanc et un Noir serait impossible «Tout Américain blanc qui se dit votre ami est soit un faible, soit un infiltré».

 III – Un billet d’avion pour l’Afrique

Maya ANGELOU y raconte son séjour au Ghana «nous sommes venus dans l’intention de téter les mamelles de la Mère Afrique. (…) Quand est né Noir en Amérique, on sevré». L’Afrique est elle-même une mère, la Mère de l’humanité. «La Mère est là pour protéger. Elle est enterrée en Afrique et l’Afrique est enterrée en elle. C’est pourquoi, elle est suprême» disait Camara Laye. Son fils avait 17 ans : «c’est la première fois de notre vie, la couleur de notre peau était considéré comme normale et naturelle» ou encore «la peau noire ou brune n’annonçait ni l’avilissement, ni une infériorité d’origine divine». Au Ghana, Maya fait la conquête de Cheikh Ali un Peul, originaire du Mali. Elle apprend le Fanti une des langues du Ghana.

Le Ghana était dirigé à l’époque par Kwamé N’KRUMAH et de nombreux expatriés noirs américains y vivent dont WEB du BOIS et sa femme, Shirley GRAHAM. WEB du BOIS est malade est lucide ; il avait 95 ans et allait mourir au Ghana, le 27 aout 1963, le jour même de la fameuse marche de Martin Luther KING, avec son «I have a dream». Les Noirs américains au Ghana avaient marché ce jour là à Accra en solidarité avec Martin Luther KING «nous chantâmes pour l’esprit de WEB du BOIS, ses précieuses collaborations, son brillant intellectuel et son courage. Il avait été le premier intellectuel noir américain». Pour WEB du BOIS «le problème du XXème siècle sera celui de la ligne de couleur». Cet extraordinaire intellectuel a, toute sa vie, lutté contre le racisme et exalté l’invincibilité de l’esprit humain.

C’est au Ghana, que Maya ANGELOU rencontre une nouvelle fois Malcom X, de passage avec Mohamed ALI, qui a considérablement évolué dans ses positions politiques «Je ne suis ni un fanatique, ni un rêveur. Je suis un homme noir qui aime la justice et qui aime son peuple». Malcom X est décrit comme le cocktail Molotov de l’Amérique. D’une grande éloquence et d’une aura magnétique, son cri de ralliement est «la liberté à tout prix».

 Maya ANGELOU, comme les autres Noirs américains estimaient, en Afrique, qu’ils étaient de retour à la maison ; ce sont des révolutionnaires du retour. Cependant, Maya ANGELOU note une certaine déception : «il n’était pas question des caniveaux à ciel ouvert qui longeaient les rues d’Accra, des cabanes en tôle ondulée de certains quartiers, les plages sales et des moustiques voraces». Mais Maya évoquait sa désillusion, l’indifférence des Ghanéens à l’égard des Noirs américains : «nous étions rentrés à la maison, et tant pis si la maison n’était pas conforme à nos attentes : notre besoin d’appartenance est tel que nous niions l’évidence et créions de lieux réels ou imaginaires à la mesure de notre imagination». Pour Maya ANGELOU, les Ghanéens sont nobles d’esprit. Ils sont chez eux et ne veulent pas des Noirs américains chez eux. Les expatriés américains font simplement partie de «l’incessant défilé de voyageurs naïfs qui pensaient qu’un billet d’avion pour l’Afrique effacerait le passé et leur ouvrirait toutes les grandes portes d’un avenir radieux». C’est Malcolm X qui a convaincu Maya ANGELOU de retourner en Amérique : «Le moment est venu de rentrer à la maison. Le pays a besoin de toi. Vous avez vu l’Afrique. Ramenez-la avec vous et parlez aux nôtres de la mère patrie».

 Femme excentrique, ayant donné des conférences avec des honoraires : 40 000 dollars et qui s’est achetée une maison fabuleuse à Harlem, une « Brownstone » de 18 pièces, Maya ANGELOU a est morte le 28 mai 2014, à Winston-Salem, en Caroline du Nord. Personnalité aux multiples talents, récipiendaire de très nombreux prix et distinctions, Maya ANGELOU est considérée comme un « trésor national dont la vie et les enseignements ont inspiré des millions de gens dans le monde« .

“Still I Rise” un poème de Maya ANGELOU

You may write me down in history

With your bitter, twisted lies,

You may trod me in the very dirt

But still, like dust, I’ll rise.

Does my sassiness upset you?

Why are you beset with gloom?

‘Cause I walk like I’ve got oil wells

Pumping in my living room.

Just like moons and like suns,

With the certainty of tides,

Just like hopes springing high,

Still I’ll rise.

Did you want to see me broken?

Bowed head and lowered eyes?

Shoulders falling down like teardrops.

Weakened by my soulful cries.

Does my haughtiness offend you?

Don’t you take it awful hard

‘Cause I laugh like I’ve got gold mines

Diggin’ in my own back yard.

You may shoot me with your words,

You may cut me with your eyes,

You may kill me with your hatefulness,

But still, like air, I’ll rise.

Does my sexiness upset you?

Does it come as a surprise

That I dance like I’ve got diamonds

At the meeting of my thighs ?

Out of the huts of history’s shame

I rise

Up from a past that’s rooted in pain

I rise

I’m a black ocean, leaping and wide,

Welling and swelling I bear in the tide.

Leaving behind nights of terror and fear

I rise

Into a daybreak that’s wondrously clear

I rise

Bringing the gifts that my ancestors gave,

I am the dream and the hope of the slave.

I rise

I rise

I rise.

Bibliographie sélective

1 – Contributions de Maya ANGELOU,

ANGELOU (Maya), Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage (I Know Why the Caged Bird Sings), traduction de Christiane Besse, Paris, Librairie Générale Française (LGF), 2009, 345 pages et UGE, 1993, 540 pages ;

ANGELOU (Maya), The Heart of Woman, Hachette UK, 2010, 352 pages et Nw York Random House, 1981, 272 pages ;

ANGELOU (Maya), La tête haute (And I Still Rise), traduction de Geneviève Braillon-Zeude et Robert Soula, Paris, Belfond, 1980, 111 pages ;

ANGELOU (Maya), Oh, Pray my Wings are gonna fit me well, Toronto, Bantam House, 1977, 66 pages ;

ANGELOU (Maya), Lady B, traduit par Claire et Louise Chabalier, Paris, Buchet-Chastel,  2014, 168 pages ;

ANGELOU (Maya), Un billet d’avion pour l’Afrique, traduction par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Paris, L.G.F., 2012, 258 pages ;

ANGELOU (Maya), Tant que je serai noire, traduction par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Paris, L.G.F., 2009, 409 pages ;

ANGELOU (Maya), Je prendrai bien un peu de rêve, traduction de Philippe Bonnet et Dominique Lémann, Paris, Hachette, 1980, 374 pages ;

ANGELOU (Maya), Mom and Me and Mom, New York, Random House, 2013, 205 pages ;

ANGELOU (Maya), Letter to my Daughter, London, Virago, 2009, 175 pages.

2 – Critiques de Maya ANGELOU

GILLESPIE (Marcia, Ann), BUTLER (Rosa, Johnson), LONG (Richard, A), Maya Angelou : A Glorious Celebration, Knopf Doubleday Publishing, 2008, 240 pages ;

KITE (Patricia, L.) Maya Angelou, Lerner Publications, 2006, 112 pages ;

LESNES (Corine), «Maya ANGELOU, 80 ans d’Amérique», Le Monde du 25 octobre 2008 ;

«Maya ANGELOU, icône vive de l’Amérique noire» Slate Afrique, 25 mai 2014 ;

CHANDA (Tirthankar) «Maya ANGELOU, une mère spirituelle pas comme les autres», RFI, Voix du Monde, 21 janvier 2014.

Paris, le 22 février 2017 par M. Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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