MONDIALISATION : est-ce un  phénomène unilatéral?

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«  On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux »

Antoine de Saint-Exupéry

 

«Le terme mondialisation est chargé de sens et de valeurs contradictoires. Pour les uns, c’est l’uniformisation du monde et l’appauvrissement généralisé. Pour les autres, et parfois les mêmes, c’est le rapprochement des sociétés et des humains et la constitution progressive d’un patrimoine commun  de l’humanité».  De cette remarque de Louis Côté apparait clairement que la mondialisation constitue ainsi un facteur d’uniformisation d’une grande complexité qui ne manque pas, à certains égards, d’avoir des répercussions sur l’État national.

En tant que mouvement profond, la mondialisation remet globalement en cause la nature et le fonctionnement de l’État au point de susciter d’éternels et intenses débats.

Les faits sont têtus! Ainsi parlait Lénine…

La mondialisation fragilise les fondements de l’État national qui sont, entre autres, son territoire, sa souveraineté et le lien avec ses citoyens.  En effet, maintenu dans un espace délimité par des frontières et sur lequel il exerce sa souveraineté, l’État, dans une certaine mesure dépéri par l’ampleur de la mondialisation, voit de plus en plus s’étioler ses prérogatives régaliennes et mêmes les plus élémentaires. On assiste alors à  la décomposition des territoires, si cher au  politologue français Bertrand Badie débouchant inéluctablement sur une triste « fin des territoires ». Ces territoires, jusqu’ici des forteresses de confort pour les États surtout ceux du Nord, sont devenus maintenant perméables pour favoriser à leur tour l’émergence et la prolifération de nouveaux types de citoyens très exigeants et d’acteurs transnationaux tels que les grandes entreprises ou firmes multinationales, des regroupements régionaux, des collectivités territoriales, les diasporas marchandes ou financières, les organisations non gouvernementales, pour ne citer que ceux-là. Avec ces acteurs concurrents ou complémentaires, la souveraineté de l’État est remise en cause et les productions économiques, sociales et culturelles ont considérablement cessé d’être nationales pour devenir mondiales. De plus, l’uniformisation culturelle dangereuse (musique, langues, codes culturels de vie, mode, etc.) est devenue une règle d’or et inhibe toute résistance formulée par les minorités culturelles en perte d’identité.

Le monde est déjà arrivé au pays, à la ville et au village ! Par conséquent, la vie en autarcie n’est plus possible pour aucun État en survie. On se trouve désormais loin de la dynamique d’internationalisation qui renforçait en quelque sorte les États  encore mois de la célèbre formule du « donner et du recevoir ». Naturellement les règles du jeu économique changent et de nouvelles contraintes s’imposent sur l’élaboration, le financement et la conduite des politiques publiques des États, particulièrement ceux indexés de Pays les Moins Avancés (PMA). Attirer des investissements internationaux devient alors une nécessité et pousse par conséquent beaucoup d’États à se déclarer forfaits tout en entreprenant des politiques et/ou choix qui ne font pas forcément l’unanimité auprès des citoyens conscients et qui demeurent hantés par une phobie de voir les générations futures sacrifiées. L’actuel diktat des Accords de Partenariat Économique (APE) que l’Europe veut imposer, coûte que coûte, aux pays d’Afrique, du Caraïbes et du Pacifiques (ACP), en est un exemple patent. Ainsi, pour tirer leur épingle du jeu en maintenant une existence illusoire dans ce jungle mondialisé, ces États ligotés par la permanente  doctrine impérialiste, s’endettent de façon illogique et incontrôlable, bradent aveuglément leurs ressources naturelles au capital international, privatisent leurs entreprises et établissent des législations fiscales avec des avantages qui profitent largement aux riches transnationales.

Par ailleurs, loin de sonner la disparition de l’État, la mondialisation reformule, plutôt sa place et son rôle dans ses intentions de positionnement et d’interaction tant au niveau national que sur la scène mondiale.  Ainsi, l’État demeure un acteur fondamental du système international et tente péniblement de s’adapter aux changements induits par la mondialisation et en arrive à transférer de façon plus volontaire que subie une partie de sa souveraineté pour la défense de ses intérêts économiques ou politiques. Quoiqu’il en soit, il est certain selon Côté que : «l’État-nation demeurera essentiel comme moyen de permettre aux citoyens de se préserver des dérives, des abus des marchés mondialisés, de maintenir leur identité culturelle et de réaliser les choix de société qu’ils souhaitent se donner». Or, on dirait que ce professeur à l’École Nationale d’Administration Publique n’a pas entendu l’homme d’État français Edgar Faure qui affirmait que : « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent»!  

Pour clore, ces murmures de politologie du moment, retenons avec Jonathan Siboni que « la mondialisation met donc à l’épreuve les États, les oblige à transiger sur leurs fondements (territoire, souveraineté) pour survivre en son sein. Mais elle les récompense à la hauteur du défi qu’elle leur lance, leur donne enfin l’opportunité d’entrer dans une phase de développement économique où les interdépendances prendraient la place des rivalités, à mesure qu’elles prendraient celle des souverainetés. C’est pourquoi le jeu des États dans la mondialisation est beaucoup plus volontaire que forcé, et révélateur de l’évolution des facteurs de puissance, qui veulent désormais que tout État cherche à gagner en influence et à mieux maitriser les flux, atouts au cœur du soft power (puissance douce ou capacité d’influence et de persuasion d’un État) développé par Joseph Nye. La mondialisation n’entraine donc surement pas la fin des États, elle accélère simplement leur évolution».

Mal nécessaire ou bienfait, la réflexion sur le phénomène mondialisation continue de diviser les spécialistes comme les profanes. Quoi qu’il en soit, pour faire partie des conquérants, nous pensons avec conviction que les « petits pays », d’où qu’ils puissent se situer sur la carte du monde, si nombreux et encore ligotés par les chaines du néocolonialisme,  doivent continuer ou commencer  par faire la conquête d’eux-mêmes. Car pour bâtir haut, il faut creuser profond!

Pathé Gueye

Montréal, le  27 mai 2016

2 Commentaires

  1. Face à l’inévitable,il faut s’organiser( selon votre belle formule)faire la conquête de nous- mêmes).et avec détermination et compétence passer au travers.

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