Moustapha Niasse sur la fin des délestages en septembre : ‘Wade raconte des histoires’

Date:

Quand le président Wade sortait de son mutisme de trois semaines, le secrétaire général de L’Alliance des forces de progrès (Afp) était en mission en Paris. Dans l’interview qu’il nous a accordée, le leader des progressistes n’a pas raté le président Wade. Selon Moustapha Niasse, Wade est ‘passé à côté de la plaque’ alors que ses concitoyens l’attendaient sur des dossiers brûlants tels que l’agriculture, la crise économique et sociale, la crise dans le secteur de l’éducation… 

Wal fadjri : Le discours du président Wade vous a trouvé ici à Paris. Quelle lecture en faites-vous ?

Moustapha NIASSE : Vous savez que l’opinion s’attendait à un message du chef de l’Etat à la nation avec la solennité qui sied à ce genre d’exercice, avec la profondeur et la précision des questions soulevées par le chef de l’Etat à cette occasion, sachant et profondément conscient qu’en tant que premier magistrat de la nation, il s’adressait au peuple sénégalais. Et en même temps qu’il avait l’obligation de fournir des éléments de réponse à des questions que les gens se posaient. Je crois que ce qui s’est passé sort totalement de ce cadre. J’ai cru comprendre qu’il s’était agi d’une rencontre organisée par Wade, avec des militants et des élus de son parti à l’hôtel des Alamadies, sous une tente où il a choisi lui-même, en quelconque et dans le désordre, des scènes et des sujets considérés comme ceux sur lesquels il pouvait communiquer. Le résultat m’a paru revêtir davantage le visage d’un meeting, d’une réunion du Comité directeur du Pds (…) C’est pourquoi, il a mis totalement de côté la situation du monde paysan, il n’a pas évoqué la question des engrais, encore moins celle du soutien alimentaire que le gouvernement apporte habituellement aux paysans pendant l’hivernage. C’est pourquoi, il a volontairement mis de côté ce qui s’est passé le 23 juin dernier quand le peuple s’est mis debout et a marché. Il n’a pas essayé de capter et de décrypter le message qu’il lui a envoyé. Ce discours – en est-il un d’ailleurs ? – est une sorte de monologue. Le plus grave, c’est qu’au moment où le peuple attend qu’il lui donne des assurances sur les principes incontournables du respect de la constitution, Wade passe à côté. Il n’a pas non plus parlé de la crise financière et économique qui sévit au Sénégal. Moi, j’ai donc répondu par une contribution parue dans la presse sénégalaise (Cf. Walf n°5798) surtout destinée aux élites sénégalaises. Le peuple n’a plus besoin d’être convaincu qu’il faut changer le régime. J’ai voulu mobiliser les élites et leur rappeler à leurs devoirs sacrés de défendre les acquis démocratiques, de penser à la jeunesse de notre pays, aux femmes, aux personnes du troisième âge, à la diaspora. Il a eu une attitude de mépris envers le peuple sénégalais. Ce qui n’est pas nouveau. C’est pourquoi il a atteint ce niveau d’irresponsabilité mais aussi d’ignorance des valeurs sénégalaises de respect, de kersa (pudeur, Ndlr), de teranga (hospitalité), de courtoisie, de discrétion et de générosité.

Le président Wade propose des élections anticipées. Y croyez-vous ?

Je crois que lui-même n’y croit pas. Comme cette séance était une séance d’exorcisme et de comédie, il a lancé, en guise de boutade, la question : ‘Qui a peur des élections ?’ Et de répondre lui-même : ‘L’opposition’. Objectivement, il n’est pas possible ni pour lui, ni pour les Sénégalais, d’aller à une élection présidentielle le 25 septembre, c’est-à-dire dans 45 jours (l’entretien a eu lieu samedi 16 juillet à Paris, Ndlr). Nous avons un million huit cent mille jeunes qui viennent d’atteindre l’âge de voter à qui il a été opposé un obstacle pour s’inscrire sur les listes électorales. Qu’est-ce qu’il fait de ce problème ? Ensuite, l’audit du fichier électoral. 122 propositions doivent y être introduites mais jusqu’à présent, aucune n’a été prise en compte. Le budget de l’élection présidentielle est une donnée incontournable qui se chiffre à plusieurs milliards de francs Cfa. Et puis, le problème le plus important, est celui de la non validité de la candidature de Wade. Il ne peut pas obtenir de l’opposition, un accord de principe pour dire que nous allons à l’élection alors que la question de sa candidature n’est pas réglée. Si, par impossible, il obtient la validité de sa candidature dans quarante jours, il faudrait qu’il démissionne de son poste de président de la République pour être un candidat comme les autres. Si le président de la République démissionne pour être candidat, la pratique constitutionnelle voudrait que son gouvernement, ses ministres de l’Intérieur et de la Justice ainsi que tous les autres démissionnent. Il faut régler dans les quarante jours, la question des structures de l’Etat et des responsables qui vont être désignés pour gérer le scrutin du 25 septembre. Devant l’immensité de tous ces problèmes, on se rend compte que Wade ne peut pas organiser dans quarante jours une élection. Évidemment, si l’on ne connaît pas la pratique politique ni les contraintes institutionnelles que pose ‘sa proposition’, on peut penser qu’il est prêt. Or, il ne l’est pas !

‘L’idée d’une banque verte relève de la démagogie politique. Mais Wade est agrégé des promesses faciles’

Il a proposé dans son discours la mise en place d’une Haute autorité de la jeunesse. Ne pensez-vous pas que cela peut être une réponse aux préoccupations des jeunes ?

Ma réponse est non ! Wade est à la onzième année de son magistère. S’il attend la douzième année pour créer et faire fonctionner une Haute autorité chargée de l’emploi des jeunes, c’est qu’il est passé à côté de la plaque. Il a créé le Fonds national de promotion des jeunes (Fnpj), le Fonds pour l’emploi des jeunes. Les jeunes commenceront de voir les débuts de solutions à leurs problèmes lorsque Wade aura quitté le pouvoir. Le pays est miné par la corruption, le laisser-aller, la légèreté administrative, l’irresponsabilité de ses dirigeants. On ne peut, sur un coup de baguette magique, régler le problème de l’emploi des jeunes.

Que faut-il faire alors parce que le 23 juin, des jeunes sont descendus en masse, dans la rue pour la prise en compte de leurs préoccupations, au-delà du projet de loi ?

C’est l’exacte vérité. Je fais partie des leaders politiques qui étaient à la tête de ce mouvement du 23 juin. D’ailleurs, j’ai reçu une grosse pierre à la tête, celle que j’avais à la main. Elle m’a été jetée par les nervis du Pds. Cela dit, les jeunes sont aux premières lignes du mouvement qui mettra fin au régime de Wade. C’est là où se trouveront les solutions, mais pas d’ici les six prochains mois.

Les universités sénégalaises sont en crise. Or, ce sont elles qui forment la grande majorité des jeunes. Ne pensez-vous pas que c’est de là-bas qu’il faut repenser leur réinsertion ?

Le Sénégal a un problème très grave qui était déjà inscrit dans le programme du Fal (Front pour l’alternance, Ndlr) en 2000. C’est celui de la formation des élites, des cadres de niveau moyen sans lesquels une entreprise ne marche pas, la formation des ouvriers qualifiés et des techniciens de niveau 3. Dans le programme des Assises nationales, il a été fortement mis l’accent sur la formation dans les écoles élémentaires, secondaires, supérieures et l’enseignement professionnel. Il faut revoir fondamentalement la formation des jeunes Sénégalais. (…) Entre 22 et 32 ans, un jeune peut déjà apporter le maximum de ses capacités s’il a reçu une bonne formation pour participer à l’effort global de développement (…)

Le président Wade annonce une banque verte pour aider les paysans. N’est-ce pas une bonne chose pour financer l’agriculture ?

On ne peut pas créer ex-nihilo, une banque des paysans ou des pêcheurs. Le Crédit agricole existe déjà depuis une dizaine d’années. Donc l’idée d’une banque verte relève de la démagogie politique. Mais Wade est agrégé des promesses faciles (…) Le paysan produit agricolement (sic) le fruit de son travail. Il se pose ainsi le problème du prix auquel son produit va être acheté. Si Wade ne règle pas ce problème-là, ils vont avoir l’arachide, le mil, le niébé…, sur les bras. Regardez les producteurs d’oignon dans la vallée du fleuve. Leurs productions sont invendues et pourrissent parce que de l’oignon vient de Hollande et d’ailleurs.

Wade annonce la fin des délestages en septembre prochain…

Quand l’infirmière pique l’enfant, elle lui dit que cela ne fera pas mal…, de même que les dentistes. C’est ce que fait Wade. Le problème persiste parce qu’il y a de la corruption dans la gestion de la Senelec. Cette corruption est du fait du gouvernement car l’entreprise est gérée depuis le ministère de l’Energie au lieu de sa direction générale. Les Sénégalais devraient se demander pourquoi le ministère de l’Energie ne laisse pas la Senelec entre les mains du directeur-général nommé. Aussi longtemps que ce système n’aura pas été changé pour retourner à l’orthodoxie de gestion, exactement comme cela se fait à la Sonatel, il y aura des délestages. Donc Wade raconte des histoires.

‘Si l’opposition part dispersée, ce n’est pas la peine d’aller à l’élection’

Où est-ce que vous en êtes par rapport à la candidature de l’unité au sein de Bennoo ?

Dans une contribution publiée par la presse, j’ai dit que les dirigeants de l’opposition doivent laisser sur le quai leurs ambitions personnelles. Moi, Moustapha Niasse, je suis, avec le parti que je dirige, dans le processus de Bennoo Siggil Senegaal. C’est Bennoo, au terme de ce processus, qui dira qui il choisit pour lui confier le drapeau de la coalition pour l’élection à venir. Si l’opposition part dispersée, ce n’est pas la peine d’aller à l’élection, parce que Wade va encore se proclamer vainqueur.

Pensez-vous définitif le retrait du projet de loi sur le ticket ?

Il est en train de jouer. Il dit : ‘J’ai retiré ce projet parce qu’il n’avait pas fait l’objet de concertation suffisante.’ Il insinue par là qu’il ouvre la possibilité pour lui-même d’engager une sorte de dialogue avec les Sénégalais pour remettre le projet en selle et le déposer devant l’Assemblée nationale. Il n’est pas question que Wade obtienne la possibilité de désigner son successeur à la faveur d’une vice-présidence bidon pour ne pas avoir, demain, à rendre des comptes de sa gestion. Et c’est ça qui le hante.

Et son appel au dialogue ?

C’est du bidon ! D’abord ce n’est pas lui qui a lancé cet appel au dialogue. Il a répondu à une initiative du Comité des six qui l’a invité à renouer le dialogue avec son opposition. Il a donné son accord de principe sans faire son mea culpa. Il n’a pas reconnu que c’était une hérésie criminelle que de faire passer le ticket présidentiel et de ramener le plancher à 25 %. Et là encore, il raconte des histoires en disant que Senghor avait mis les 25 %. A l’époque, les 25 %, c’était le quart bloquant. Il ne signifie pas que tout candidat qui a 25 % et qui est le premier de tous, devait être élu président de la République. Le quart bloquant, c’était pour dire ceci : ‘Pour qu’un candidat passe au 1er tour, il faut qu’il y ait 50 % plus une voix des suffrages exprimés et que ce taux qu’il a eu représente au moins un quart’. C’est important et c’est différent. Il fait de l’amalgame en affirmant que Senghor l’a fait. Ce n’est pas vrai. Wade, malheureusement, situe son ambition et le suffrage qu’il peut obtenir à 25 %.

Que pensez-vous de l’appel de Karim Wade à l’armée française qui a fait polémique ?

Je pense que Robert Bourgi a raison, compte tenu de la situation qui est la sienne en France, de ses entrées dans les palais présidentiels africains. Il leur a même dit que s’ils insistaient, il sort des preuves. C’est grave ! L’armée, la gendarmerie, la police sénégalaises sont capables quand même de rétablir l’ordre sans violence excessive.

Propos recueillis par Moustapha BARRY (Correspondant permanent à Paris)

Walf.sn

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

Tragédie à Koungheul : 13 morts dans un accident de la route

XALIMANES-Un accident tragique de la route survenu à Koungheul...

Pape Alé Niang prend la direction de la RTS, Fadilou Keita à la Caisse des dépôts et Consignations

MESURES INDIVIDUELLES DU CONSEIL DES MINISTRESDU MERCREDI 24 AVRIL...

Afrique-Togo : en pleine campagne des législatives, les cultes ne sont pas oubliés

XALIMANEWS-Selon RFI qui se base sur les données officielles...