Nayanka Bell à Dakar : « La carrière qui m’était destinée, je ne l’ai pas saisie…»

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XALIMANEWS- La chanteuse ivoirienne Nayanka Bell admet être passée à côté de la grande carrière à laquelle elle semblait être destinée, estimant qu’elle a voulu mener une vie sur deux fronts : « être heureuse dans une vie normale, en étant comme tout le monde, et puis en faisant le métier (d’artiste) par amour ». Louise de Marillac Aka – son nom à l’état civil – s’est fait connaître en 1980 par la chanson Iwassado. En 1981, elle devient choriste dans l’orchestre de la Radio Télévision ivoirienne (RTI). Deux ans plus tard, en 1983, elle sort son premier album, Amio, sur lequel figure Iwassado. Trois autres albums figurent dans sa discographie : If You Came To Go (1984), Chogologo (1985), Visa (1994), Brin de folie (2001). Nous l’avons rencontrée à Dakar, où elle était dans le cadre du quarantième anniversaire de l’association de lutte contre la désertification, SOS-Sahel. Entretien.

Qu’est-ce que vous allez jouer pour les Dakarois (la prestation s’est faite le 24 mai 2017) ?

Ah, je vais jouer la chanson adorée des Sénégalais. La chanson adorée des Sénégalais, c’est Iwasado (exprimant l’idée qu’on ne choisit pas ses parents). Et puis une chanson en plus, que je ferai découvrir.

Est-ce que c’est en prolongement d’activités que vous menez ? Est-ce que vous jouez régulièrement à Abidjan ?

Oui, je joue. On ne dira pas régulièrement comme avant, mais je joue dès qu’il possible de pouvoir m’envoler ou de pouvoir participer à un événement, un gala, quelque chose de très important.

Pourquoi vous ne jouez pas aussi régulièrement ?

Parce qu’avec le temps, nous sommes passés à autre chose. Vous savez qu’en Côte d’Ivoire, nous sommes passés par des guerres (entre 2002 et 2011). Et puis, nous sommes devenus des pères et des mères de famille. Nous n’avons plus cet âge où nous rêvions de faire carrière ou de nous battre dans des dimensions même irréfléchies pour pouvoir arriver dans le métier. Nous sommes aujourd’hui à l’âge de finaliser ce que nous avons déjà commencé par le passé, et qu’il faut achever, parce qu’il faut préparer ses arrières. Donc je ne peux pas travailler à 100% dans le métier d’artiste.

Vous êtes trésorière du Syndicat des artistes musiciens de Côte d’Ivoire (SAMCI), et, à ce titre, vous avez rencontré des confrères de l’Association des métiers de la musique (AMS). Sur quoi vos échanges ont-ils porté ?

Oui, je suis venue rencontrer mes confrères de nos associations d’artistes pour des discussions. Ce sont des décisions honorables, qui demandent un tout petit peu de temps à consacrer à cet art, pour apporter une contribution qui va pérenniser, avec le temps. Nous nous sommes engagés. Je suis toujours dans le métier, mais je suis aussi dans les plantations, je m’occupe aussi de mon hôtel. Il y a plein de choses.

Peut-on dire que vous êtes venue ‘’apprendre’’, parce que l’association ivoirienne est très jeune ?

Voilà ! Nous sommes un nouveau-né. Nous n’avons pas beaucoup d’expérience. Nous voulons nous battre sur des terrains où nous pouvons débattre de certaines choses qui, à première vue, peuvent paraître bien étudiées, alors que ce n’est pas le cas. Il faudrait se rapprocher plutôt de nos confrères qui ont mis des années d’expérience dans le métier, se sont battus, sont tombés, se sont relevés, pour nous apporter leurs conseils et faire de sorte que nous puissions rapidement résoudre des problèmes en Côte d’Ivoire. Eux-mêmes ont vécu une expérience qui, au début, était parfaite. Après, ils se sont rendus compte que c’était un peu plus compliqué qu’ils ne pensaient. Donc, ils sont en train d’essayer d’évoluer autrement, avec une nouvelle intelligence. C’est cette intelligence qu’ils ont acquise, qui est aujourd’hui précieuse pour nous. Bientôt, nous allons nous rencontrer en Côte d’Ivoire pour pouvoir débattre.

Quelle est la situation en Côte d’Ivoire, dans la prise en charge des artistes par eux-mêmes et par les législations ?

Nous avons subi, nous subissons. Nous subissions des situations qui sont difficiles : quand un artiste est malade ; quand un artiste a des problèmes avec la justice ; quand un artiste veut revendiquer ses droits ; quand un artiste ne touche pas assez ses droits d’auteur ou n’est pas content des droits qu’il touche ; quand un artiste à un problème avec des producteurs ou, à la fin d’un spectacle, est rejeté sans être payé. Tout cela, ce sont des choses qui font partie de la vie de l’artiste qu’on ne sait pas. On appelle ça les coulisses. Mais aujourd’hui, il se trouve qu’avec ce syndicat des artistes, nous aurons l’occasion de nous rapprocher de ceux qui y adhèrent. Ce qui permettra de les défendre. Celui ou celle qui n’adhère pas ne peut pas avoir un égard de notre part. On considère que ce n’est pas parce qu’on est artiste qu’on a droit à avoir l’égard du syndicat. Seuls les artistes qui ont adhéré seront défendus et aidés dans toutes ses préoccupations par le syndicat. On a changé d’ère : hier, c’était le piratage de la musique, c’étaient les ventes anarchiques. L’artiste ne vit plus de ses œuvres dans la rue. L’artiste, aujourd’hui, va vivre de ses spectacles, de ce qu’il va pouvoir transmettre directement, que ce soit en play-back ou en live…Internet est une chose merveilleuse qui va peut-être venir résoudre un peu le problème de piratage. L’artiste a la possibilité de protéger son œuvre sur des sites connus, auxquels il confie son œuvre. Si dans le monde entier, on t’a écouté, c’est de l’argent qui te revient directement. Ça révolutionne aussi la production. Aujourd’hui, si l’artiste ne peut pas se produire et qu’il n’a pas les moyens, il peut passer par là. Le syndicat va revendiquer les droits des artistes. C’est lui qui réfléchit au cas par cas pour pouvoir venir à l’artiste.

On a du ma à admettre que la Côte d’Ivoire soit dans cette situation. Les artistes viennent juste d’y avoir un syndicat pour défendre leurs droits. Alors que ce pays a été un phare en Afrique de l’Ouest, le pays vers lequel les artistes couraient pour aller se faire produire parce que l’industrie y était assez bien organisée. On a du mal à comprendre cela. Qu’est-ce que l’explique ?    

La Côte d’Ivoire a monté plusieurs fois des bureaux d’association, on s’est cassé la gueule. Il y a eu des associations où les artistes ont cotisé et où ça s’est terminé d’une façon qu’ils n’ont pas pu expliquer. Mais ce qui fait la différence avec les nouveaux syndicats que nous sommes en train de monter – le Syndicat des artistes musiciens de Côte d’Ivoire, SAMCI, a été installé en avril dernier – c’est que ce sont des syndicats similaires qui existent de par le monde et qui sont confirmés, parce qu’affiliés à la Fédération internationale des musiciens (FIM). Je n’ai jamais fait partie d’autres associations. C’est la première fois. Pourquoi ? Parce qu’on m’a dit que des syndicats similaires existent déjà, et que la FIM est une structure internationale. C’est du sérieux. C’est pour cela que j’ai adhéré.

Vous n’avez pas abandonné la chanson. Vous jouez toujours. Mais depuis quand même une quinzaine d’années, vous n’avez pas sorti d’album (son dernier en date a été produit en 2001). Pourquoi ?

J’ai sorti un titre il y a sept mois, que j’ai diffusé sur Internet. J’aurais dû sortir l’album, je n’ai pas eu le temps, parce que j’ai été prise dans plein de problèmes de justice. Je suis en procès sans arrêt, dans une bataille qui n’a rien à voir avec la musique. C’est une bataille pour mes terres dont on veut m’exproprier. Donc je me bats depuis vingt ans et j’ai fini par gagner à la Cour suprême. Et maintenant, on veut délocaliser mes terres et donner l’impression que je suis allé détruire des plantations qui appartenant à d’autres personnes. On ma condamnée alors qu’ils sont venus sur mes terres, chez moi à Anno. Et ils ont dit que j’étais à Bokao. On m’a condamnée sur Bokao alors que ça se passe à Anno, sur mes terres. Donc c’est une affaire un peu compliquée. Je suis au tribunal, mais je sais que ça ne va pas prospérer.

Vous vous occupez de vos terres…

(Elle coupe) Et de mes plantations.

Mais à un moment donné, l’activité principale c’était la musique. Comment êtes-vous venue à la musique ?

Je suis venue à la musique par amour, comme tous les artistes. C’est un génie, et quand le génie te prend, tu ne peux pas te soustraire ni fuir. Je l’ai pratiquée depuis mon jeune âge en étant choriste à l’orchestre de la télévision (Radiotélévision ivoirienne, RTI). Après, je venue ici. Le premier pays qui m’a lancé c’est le Sénégal. C’est mon pays d’adoption. Au Sénégal, on m’a magnifiée, on m’a célébrée. On m’a vraiment donné ce qui me revenait pendant que la Côte d’Ivoire était un peu en arrière. Il se trouve qu’aujourd’hui, je suis devenue ce que je suis, j’ai voyagé à travers le monde. C’est vrai que la carrière qui m’était destinée, je l’ai pas saisie. Volontairement. Parce que le métier d’artiste, c’est un choix. C’est plus facile pour les hommes de faire un métier d’artiste. La femme, elle reste à la maison et s’occupe des enfants. Le métier d’artiste pour une femme est bien différent. Il faut faire un choix : partir avec ses valises et être sûre qu’à son retour, son mari est là ; partir avec ses valises et être sûre qu’à son retour, les enfants n’ont pas une nouvelle maman (rires) ; partir avec ses valises et puis se retrouver seule dans des hôtels et vivre une vie qui n’est pas la sienne. C’est un choix. D’aucuns en meurent, d’autres en vivent. Mais je crois que c’est un combat qui a toute sa place. Il a sa place, il a sa valeur. Chacun doit faire ce qu’il pense être bien, pour donner un sens réel à sa vie. Moi, j’ai voulu faire les deux : être heureuse dans une vie normale, en étant comme tout le monde, et puis en faisant le métier (d’artiste) par amour. J’ai été très tôt célèbre. Donc maintenant j’ai une image qui me permet encore de pouvoir exceller, de pouvoir continuer quand je veux. Voilà la situation paradoxale dans laquelle je suis.

Donc la musique encore une place importante dans votre vie ?

Très importante, mais pas tout le temps.

La Côte d’Ivoire musicale, c’est des stars : Alpha Blondy, Aicha Koné, vous-même, et un peu plus loin dans le passé, François Lougah, etc. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la scène musicale ?

Les choses ont beaucoup changé. Aujourd’hui, ce n’est plus trop l’art qui prime. C’est une autre vision. On est devenus très extravertis avant de pratiquer l’art. On met l’image au-devant de la scène plus que la qualité même de l’instrument ou de la musique… C’est très différent. On peut devenir ‘’star’’ tout de suite avec juste une boîte à rythmes, une façon de chanter ou alors ne même pas avoir une voix pour chanter, mettre une musique incroyable pour bouger, se saper et passer à la télé. C’est une nouvelle façon de voir les choses. Même la danse a changé. Je me souviens que, par le passé, quand on dansait les danses traditionnelles, on privilégiait la manière… Peut-être qu’au Sénégal, on continue toujours dans cette direction. Parce qu’il y a des pays qui gardent encore leurs cultures, les valeurs et les manières d’être qu’elles portent. Le Sénégal est un pays assez spécial, comme le Mali. Ce sont des pays où toute la richesse touristique est dans la culture. Chez nous, ce n’est pas la culture qui prime sur le tourisme. Nous sommes en train de nous battre pour amener le tourisme en Côte d’Ivoire. Donc nous allons chercher. Mais les danses folkloriques, les traditions, sont en rain de se perdre. Les religieux peuvent penser que le fait que nous allions encore dans nos eaux traditionnelles, qu’on attache du blanc pour aller se laver dans l’eau, etc., on fait de la sorcellerie. Le pauvre danseur traditionnel mettait les masques avant pour danser le zaouli, le goli, et c’était un art. Aujourd’hui, il y a des pasteurs qui considèrent que celui qui danse cela attire le diable. Où passe la culture africaine ? Elle se perd avec une nouvelle mentalité qui vient à la détruire… Peut-être qu’aujourd’hui on n’est pas assez conscient de cette destruction et qu’on laisse faire, mais il arrivera un jour où on aura tout perdu. Les belles voix, les chanteuses, aujourd’hui, on leur dit qu’il ne faut chanter que pour Dieu. Ce n’est pas un péché que de chanter que pour Dieu, il n’y pas de problème. Mais ce sont des valeurs, des instruments. Quelqu’un qui fait sortir un son de sa gorge, pour chanter, n’a plus sa liberté d’expression. Sa liberté d’expression est pour un secteur. C’est des choses comme ça que nous sommes en train de voir. Les télévisions, aujourd’hui, vont travailler sur beaucoup de jeux, de musique, de play-back, de danse… Mais on ne va pas aller faire une émission spéciale sur la musique, des émissions avec des instrumentistes, des chanteuses à voix. Comme avant. Par contre, la danse de la musique actuelle, où on va venir remuer les fesses, faire beaucoup de bruit, etc. Je ne dis pas que la musique-là n’est pas belle. Elle est très belle, mais quand tu voyages, tu vas aux Etats-Unis et que tu entends cette musique une ou deux fois, c’est tellement entraînant. C’est magnifique ! Mais tu ne peux pas écouter ça pour dormir. Tu ne peux écouter ça sans arrêt dans ta voiture et penser et réfléchir. C’est une musique qui te prend et efface tout. Elle te prend, et tu es obligé de danser. Même en marchant, tu es obligé de danser. Alors qu’avant, on pouvait écouter la musique et faire ses devoirs ; on pouvait écouter une musique, une voix, et faire ses devoirs ; on pouvait être en train de causer et puis il y a une musique sui passe, on écoute. Je ne dis pas que les choses changent trop sur le plan négatif. Non, c’est positif. Mais nous sommes dans un mouvement.

Vous avez dit que le Sénégal vous a acceptée, célébrée, magnifiée. Comment ? Quels sont les souvenirs que vous gardez de cela ? Quels sont vos rapports avec cette terre qu’est le Sénégal ?

Mes rapports avec le Sénégal, c’est que, quand j’étais toute jeune –je suis arrivée dans la musique en 1979-80 – j’étais à l’orchestre de la télévision (ivoirienne). J’étais la première chanteuse métisse de la Côte d’Ivoire. Les chanteurs, avant, c’étaient des chanteurs qui avaient des ethnies. Chacun chantait dans la langue de son ethnie. Et puis moi j’arrive, métisse que je suis, je chante en français, en anglais. Je porte des nœuds de papillon… Il fallait que je me trouve ma place. Mais l’Ivoirien me regardait et ne savait pas trop comment me juger. Bizarrement, dans cette souffrance-là, j’arrive au Sénégal où les gens n’ont pas vu ma couleur, n’ont pas vu cette différence. Et c’est le Sénégal qui ma soulevée et qui a dit : « Ça, c’est notre fille ! ». Ça a fait un boom partout. J’ai été aimée, les jeunes filles s’habillaient comme moi. Elles avaient les mêmes cheveux. Elles se coiffaient à la Nayanka Bell. C’est ici qu’il y a eu le premier ‘’fan club Nayanka Bell’’. Je remplissais les stades. Quand j’arrivais à l’aéroport, c’était bourré. On m’attendait avec le crépissement des tam-tams. Le star-system, quand j’arrivais au Sénégal, c’était extraordinaire. Alpha Blondy n’était pas encore sorti. Donc pour moi, c’est grâce au Sénégal que  j’ai su qu’on m’aimait et que je n’étais pas différente. Et pourtant, il y a quelque chose d’incroyable. J’ai voyagé dans beaucoup de pays. J’ai été la chanteuse qu’on considérait, au Nigeria, au Libéria, en Sierra Leone, comme la chanteuse ‘’américaine’’, parce que je chantais en anglais. On m’a appelée dans beaucoup d’autres pays où je n’ai pas voulu partir parce que j’ai trop peur de l’avion (rires). Par rapport à ce que j’ai ressenti au Sénégal, c’est un pays qui a souffert de l’esclavage. Au temps où je suis arrivée ici, comment ils ont pu m’aimer, m’apprécier alors que j’avais une double origine. Comment ce pays qui a souffert n’a jamais pu être raciste vis-à-vis des Européens quand ils arrivaient ici ? Comment ce pays a gardé toute sa générosité, sa gentillesse ? Et les Sénégalais sont restés comme ça. Je suis venue en 1980, je suis allée sur l’île de Gorée (où se trouve la Maison des esclaves). J’ai pleuré. C’est le seul pays où quand tu viens, tu ne ressens pas ça (le rejet). J’ai été dans plein d’autres pays qui ne sont pas prêts à voir le monde autrement. C’est toute mon admiration. Je suis revenue des années plus tard. De 1980 à aujourd’hui, c’est le même sentiment que je trouve toujours chez mes parents sénégalais. C’est le même sentiment. Mon père et ma mère sont venus se marier à Dakar. Ma grande sœur, leur aînée, est née ici. Quand je reviens, c’est l’amour, la générosité. Les gens n’ont pas changé. Le pays a changé, il est magnifique. Je crois que je vais venir chercher à voir si je ne peux pas avoir un petit appartement pour venir tout le temps, moi aussi (rires).

Propos recueillis à l’Hôtel Pullman-Teranga, Dakar, le 23 mai 2017

Aboubacar Demba Cissokho

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