Professeur Thioub, en historien de renom, refusez d’être jugé par l’histoire.

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« L’homme instruit par l’histoire sait que la société peut être transformée par l’opinion, que l’opinion ne se modifiera pas toute seule et qu’un seul individu est impuissant à la charger »

Charles Seignobos, cité par Ousmane Sonko in Pétrole et gaz au Sénégal, chronique d’une spoliation, 2017, Fauves Editions p.21

Monsieur le recteur, il était une fois la devise de l’UCAD : « lux mea lex » !

Cher Recteur, en lisant plusieurs articles et commentaires de la presse en ligne, il a été dit que vous auriez interdit la tenue d’une manifestation intellectuelle au sein de l’espace universitaire, ce haut lieu de débats, de contradictions et d’échanges.

Votre surprenante et incompréhensible « décision » a été diversement appréciée des sénégalais de tout bord avec beaucoup de passion sur fond de divergences politiques, de réflexions citoyennes, de prises de positions techniques, et tutti quanti.

En attendant votre réaction officielle et publique à ces gravissimes accusations, vous me permettrez, monsieur le Recteur, de vous livrer ci-après mes quelques impertinences sur la question.

Je ne juge pas votre attitude dont j’ignore royalement les motivations de fait et de droit. Au contraire, je plaide d’emblée coupable si mes « anticipations rationnelles » ne seraient que pures conjectures face à la rigueur de votre argumentaire.

La manifestation « interdite » rentre dans le cadre du « Projet d’appui aux professionnels des médias pour la transparence de la gouvernance des finances publiques et des ressources minérales » comme on pouvait le lire sur le bandereau accroché derrière le présidium des panélistes dont je faisais parti.  

Professeur émérite d’histoire, je puis affirmer, sans risque de me tromper, que vous maitrisez mieux que quiconque d’entre les panélistes la trajectoire de la gestion des finances publiques sénégalaises.

De même, votre brillant parcours universitaire vous a certainement donné l’occasion de disserter dans les amphis d’ici et d’ailleurs sur la question quasi-philosophique de la malédiction des ressources naturelles, observable malheureusement, un peu partout à travers le monde, plus particulièrement en Afrique subsaharienne.

J’imagine donc, à votre corps défendant, que vous en savait un peu trop sur ces sujets, pour décréter d’autorité qu’ils sont sans intérêt pour les professionnels des médias en herbe dont la formation est sous votre responsabilité. Sous ce rapport, personne n’a le droit de vous disputer vos choix pédagogiques.

Distingué Recteur, en prenant fonction dans votre position actuelle travail, vous vous êtes certainement rendu compte que l’Autorité venait de vous investir davantage gestionnaire de deniers publics qu’enseignant puisque vous l’étiez déjà.

Depuis, vous avez, j’en suis persuadé, troqué vos livres d’histoires contre des manuels de marchés publics, de gestion publique et autres sujets connexes.

En parcourant votre agenda très chargé, on s’apercevra que vos longues journées de travail se structurent autour de la gestion des commandes, de la livraison des nombreux chantiers universitaires, de la gestion des bourses des étudiants pour apaiser le campus social, de la régularité de la paie des enseignants pour pacifier le campus pédagogique et que sais-je encore du genre. Toute chose qui nécessite la disponibilité d’un budget.

En homme de devoir, vous êtes assurément très soucieux des résultats de votre auguste institution. Certainement et légitimement, vous plaidez pour le renforcement conséquent de vos moyens d’actions. Ceux-ci résultent, hélas, d’un compromis voire d’un arbitrage politique entre plusieurs urgences sociales : dépenses de santé, dépenses d’investissements en infrastructures de développement, dépenses de fonctionnement des institutions politiques…

Honorable Recteur, vous vous êtes certainement posé la question de savoir pourquoi les budgets des universités sénégalaises n’ont pas connu, ces dernières années, de hausses parallèles à celle de la courbe d’accroissement des ressources publiques ?

Je ne vous apprend rien en vous disant que le Gouvernement du Sénégal, dans le cadre de son programme d’émergence économique, a érigé au rang de sur-priorité la construction d’un train express régional (TER) de moins de 100km à + de 400 milliards, la réalisation d’une autoroute d’à peine 150km à + de 300 milliards, l’édification d’un centre international de conférence pour les besoins d’un sommet à près de 50 milliards, l’aménagement d’une arène nationale à près de 5 milliards, l’édification d’une cité ministérielle à + de 100 milliards, la réfection d’un bâtiment administratif à près de 20 milliards, la rénovation de villes et cités religieuses et autres lieux de culte à des dizaines de milliards. Que sais-je encore de pharaonique pour faire du Sénégal une nation en quête de grandiloquence…

Monsieur le Recteur, de votre état et de votre station, vous êtes témoins du combat de vos collègues enseignants, tout cycle confondu, contre l’état de déliquescence avancée de l’école sénégalaise avec ses +6000 cases en paille pudiquement appelés “abris provisoires“, ses universités sans d’amphithéâtres, sans laboratoires ou centres de recherche, sans bibliothèques convenablement équipées …

Pire, au quotidien, vous faites face, monsieur le Recteur, aux revendications musclées des étudiants, au courroux des enseignants et aux vives protestations des personnels administratifs et de services. Vous vous éreintez à trouver des solutions à toutes ces préoccupations.

Hélas, vous n’avez aucune prise ces faits car les arbitrages budgétaires se font au dessus de votre savante tête, qui, du reste, a fini de blanchir devant tant d’impasses.

Voila, monsieur le Recteur, ce sur quoi nous étions venus jeter les bases d’une réflexion intellectuelle, patriotique et objective avec les professionnels des médias en herbe dont on vous a confié la formation. Chacun d’entre les panélistes était venu livrer ses éléments de langage à un public naturellement critique. Sans parti pris.

Cher professeur, tel « Thucydide », nous étions venus en « vrai modèles des historiens.  Rapporter  les faits sans les juger, mais en n’omettant aucune des circonstances propres à nous en faire juger nous-mêmes ; mettant  tout ce qu’on raconte sous les yeux du lecteur ; loin de s’interposer entre les événements et les lecteurs, en se dérobant» Rousseau (L’Emile, Livre IV. 1762)  cité par Ousmane Sonko in Pétrole et gaz au Sénégal, chronique d’une spoliation, 2017, Fauves Editions p.35/.

L’occasion faisant le larron, le sujet sur la transparence de la gouvernance des ressources minérales s’est greffé à la discussion car les « ressources naturelles (doivent être exploitées) dans la plus grande transparence et dans l’intérêt bien compris des générations actuelles et futures pour reprendre son excellent, le Président de la République dans son Discours à la nation à la veille de la célébration du 56ème anniversaire de l’indépendance du Sénégal.

Monsieur le recteur, en passionné d’histoire, vous êtes certainement à l’écoute du monde pour savoir qu’aujourd’hui, partout à travers la planète, le débat sur le financement du développement durable est au cœur de l’actualité surtout au lendemain de la conférence tenue en juillet 2015 à Addis-Abeba où il a été souligné l’importance pour les pays en développement d’accroître la mobilisation de ressources fiscales internes.

Vous savez, surement, que plus de la moitié des pays africains sont producteurs de ressources minérales. Sur 54 pays, 20 sont dits riches en ressources naturelles d’après les critères du FMI. Ils génèrent collectivement plus de 80% du PIB du continent, dont un quart est issu du secteur extractif.

Le débat sur la capacité et la manière pour les gouvernements africains de capter une « juste » part de la rente des industries extractives est donc primordial pour le devenir de leurs nations.

Dès lors, la problématique de la gouvernance transparente, du cadre juridique et institutionnel et de la taxation du secteur extractif doit mobiliser tous les acteurs et leur énergie, au delà des clivages partisans pour que la « malédiction des ressources naturelles » se transforme en bénédiction.

Le débat sur le pétrole ne doit pas être un capharnaüm où les réactions épidermiques côtoient celles excessives et se bousculent pour justifier des positions administratives de rentes. Le jeu des acteurs ne doit pas tuer l’enjeu pour la nation.

Dans une remarquable contribution, votre éminent collègue, le Pr Abdoullah CISSE, parlant du référendum, disait que « la réflexion sur les enjeux a cédé la place à la prise de positions passionnées, davantage justifiées par des considérations subjectives que par l’intérêt national. Le discours moraliste ou de censure prend le dessus sur les exigences de conformité et de responsabilité. L’absence de concertation jette le flou sur un débat devenu informel et banalise l’expertise au passage ».

Dans le débat sur la gouvernance des ressources naturelles, la devise de votre université, « lux mea lex », doit être la réponse aux partisans de l’obscurantisme.

Monsieur le Recteur, vous devriez, en votre rang et qualité, tenir le haut du pavé devant le présidium des panélistes, ne serait que pour avoir une tribune qui relaie et amplifie votre plaidoyer pour des ressources conséquentes en faveur de nos universités.

Distingué professeur, je conclue mon propos en vous confiant, par égard à votre rang, les sages réflexions de votre collègue le Pr Abdoullah CISSE, votre prédécesseur dans la profession et votre devancier dans vos fonctions, (« Oui, Non, pourquoi ? », Le Soleil- vendredi 26 février 2016, p.12 Idées & Réflexion). Il disait :

« Chacun est invité à décider selon sa conscience. Lorsqu’on bat campagne pour susciter une adhésion à une position (oui-non), toute action pourrait devenir suspecte. Pour la rendre crédible, il faudrait avoir à l’esprit le respect et ses exigences à tous les niveaux.

Le respect des citoyens appelle à la retenue, contrairement à cette ferme et visible volonté de les instrumentaliser pour assouvir des envies de revanche ou apaiser des frustrations.

« Je n’aime pas la rancune car cela rime avec lacune ». Cette sagesse du Président Senghor devrait nous pousser à méditer une autre leçon de loi du Doyen Carbonnier : « n’accepte de faire de loi que si tu y crois, non pas à la loi mais à la nécessité d’en faire une. Et dis-toi qu’en acceptant, tu te feras autant d’ennemis qu’il y avait de tes semblables capables d’en faire autant ».

Cette leçon est une invite à l’humilité adressée aux experts de tous calibres, institutionnels ou militants. Le détenteur de l’autorité est suffisamment averti pour décider en connaissance de cause. Mais cela ne veut point dire que toutes ses décisions sont pertinentes.

Davantage de sérénité offrirait l’occasion à tous de se remettre en question avec plus de lucidité. En acceptant de taire toute forme d’amour-propre et d’ego du moment, il sera possible de goûter à la joie supérieure de contribuer à la consolidation de la démocratie sénégalaise ».

Professeur Thioub, en historien de renom, refusez d’être jugé par l’histoire.

Elimane POUYE,

Citoyen sénégalais

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