Renouveau et couverture maladie universelle (CMU) par Cheikh Ibra FALL

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En ce 14 août 2015 les IPM (Institution de Prévoyance Maladie du Sénégal), créées le 14 août 1975 célèbrent 40 ans au service de la couverture maladie des salariés du secteur privé et des membres de leur famille.
Belle preuve que la faillite du régime entretenue de façon précoce et péremptoire n’était que doxa.
Notre système d’assurance maladie obligatoire (AMO) construit autour des fondamentaux de « sécurité sociale » et de « santé publique » soutenu par un solide pacte social de solidarité tripartite Etat-Patronat-Salariés a fait preuve de résilience face aux multiples externalités négatives d’un contexte économique et social austère exacerbé dès les années 80 par les plans d’ajustement structurel suivis de la dévaluation en 1994.
Il est cependant évident que l’IPM, modèle bismarckien d’assurance sociale, financé essentiellement par des cotisations patronales et salariales ne peut pas survivre à l’entreprise qui l’a créée et à laquelle elle est intrinsèquement liée. Son essor s’appuie sur une expansion économique génératrice d’emploi.
Cette prémisse explique que les pires périodes de notre régime d’assurance maladie furent celles des nouvelles politiques économiques, industrielles et agricoles des années 90 axées sur la mondialisation et la libre concurrence qui ont sécrété une cascade de fermeture d’entreprises et par ricochet celle de leur IPM.
Dans le même sillage, les fortes compressions de personnel mesures de survie pour plusieurs entreprises ont érodé drastiquement les effectifs (assiette de cotisations) des IPM sapant du coup « la loi du grand nombre » principe fondamental et gage de viabilité de toute assurance sociale.
A l’image des IPM, les systèmes d’assurance maladie, de partout dans le monde, sont fragilisés par une pernicieuse « crise de financement » résultant d’un chômage endémique et des déficits budgétaires chroniques des Etats corollaires de la récession et de la dépression économique qui ont pris le relais des « 30 glorieuses ».
Inversement à la baisse des recettes, les dépenses de santé connaissent une montée vertigineuse tirant source, entre autres, de ce que les éminents économistes Kenneth Arrow et Georges Akerlof ont diagnostiqué depuis 1963 comme complexité et imperfections du « marché des soins » marquées par les phénomènes  d’asymétrie de l’information, d’anti-sélection, de risque moral, d’escalade des coûts, de forte demande induite.
S’y ajoute le coût onéreux de la fulgurante percée des sciences et des nouvelles technologies dans le secteur de la santé du reste plus que bénéfique pour l’humanité.
L’ampleur de la crise a fait que beaucoup de pays ont engagé des réformes hardies pour sauvegarder et fortifier leurs systèmes de solidarité autour de la maladie avec un mixage jusqu’à faire tomber le « mur de Berlin » de la protection sociale qui cloisonnait de façon intangible les doctrines Bismarckienne et Beveridgienne.
Ainsi la France titrée meilleur modèle au monde par l’OMS en 2000 malgré son trou légendaire a entrepris plus de 40 plans de réforme entre l’ordonnance de  Jeanneney du 21 août 1967 et celle de Juppé du 24 avril 1996 qui ouvrît la voie à la couverture maladie universelle instituée par la loi 99-641 du 27 juillet 1999.
En Allemagne la réforme Blüm initiée en 1988 fût suivie des plans Seehöfer 1,2 et 3 respectivement en 1992,1995 et 1997.
L’Angleterre archétype de l’universel financé par l’impôt n’est pas épargnée. Thatcher puis Blair ont déployé des plans de redressement structurel de la NHS (National Health Service) pour endiguer rationnement et longue file d’attente.
L’ultralibéral Etats-Unis a engagé avec ardeur, de Clinton à Obama, des réformes pour éradiquer l’exclusion massive face aux soins de quelques 45 millions d’américains soit 17% de la population. Initiatives le plus souvent controversées et contrées, taxées de mesures « socialistes ».
Notre pays le Sénégal qui évolue dans la cour de ces grandes nations en matière d’assurance maladie n’a pas, regrettablement, suivi la dynamique mondiale pour engager la réforme des IPM éprouvées par les mêmes tares empirées par un environnement de pays sous-développé où les déterminants sociaux majeurs de la santé font plus défaut.
Cette léthargie est tout de même légèrement amortie par le fait que le cadre réglementaire des IPM a embarqué à sa naissance en 1975 des solutions pertinentes et prospectives que des systèmes de pays développés trouvent aujourd’hui innovantes et mettent en œuvre.
Il en est, de la France, avec le tiers payant généralisé mesure phare de la loi de santé 2015 présentée par la ministre Marisol Touraine et votée récemment le 14 avril 2015.
A partir de 2017 les patients français n’auront plus la charge de payer directement au premier franc les honoraires auprès des professionnels de santé à l’instar des IPM au Sénégal.
La loi « Touraine », il faut le souligner avec intérêt, au-delà du tiers-payant point le plus médiatisé du fait de l’opposition bruyante des professionnels de santé et de la droite, renferme quelques 56 dispositions novatrices à haute valeur ajoutée économique sociale et médicale, qui méritent d’être intégrées dans tout système de santé qui se veut performant.
Le modèle inédit des IPM créé en toute liberté bien avant les crises budgétaires et les injonctions des institutions de Bretton Woods notamment l’initiative de Bamako en 1987 sur le recouvrement des coûts et les mécanismes de financement alternatif de la santé, mérite égard et intérêt de par ses résultats probants.
La contribution sur fonds propres des IPM dans le financement de la santé (achats directs de soins dans le public et surtout dans le privé) estimée par les comptes nationaux en milliards à 12,390 en 2006, 12,702 en 2007 et 14,784 en 2008 allège considérablement le budget de l’Etat.
Les IPM sont facteurs de stabilité sociale dans les entreprises auxquelles elles garantissent un personnel en bonne santé gage de productivité et de compétitivité.
Les quelques 130 IPM fonctionnelles couvrant environ un million (1.000.000) de bénéficiaires de la population sénégalaise ont créé près de mille (1.000) emplois directs et indirects.
Les professionnels de santé sont assurés avec les IPM d’une patientéle consistante caution de pérennité et d’amortissement de leur installation.
Autant d’atouts qui rendent incompréhensible que les plans de réforme consensuels des IPM bien ficelés, qui s’imposaient avec acuité, soient, à chaque échéance, remis aux calendes grecques par les différents gouvernements qui se sont succédé alors que l’essoufflement du système atteignait son paroxysme.
Fort heureusement, comme les bonnes causes bénéficient souvent de concours de circonstances favorables, l’avènement en 2012 de son Excellence Monsieur le Président Macky SALL a été salvateur pour les IPM.
Dès l’entame de son Magistère, le Président de la République a, à travers les pertinentes dispositions du décret 2012-832 du 07 août 2012, rénové et revitalisé le fonctionnement des IPM et les a engagées comme pilier de sa fameuse politique volontariste de couverture maladie universelle (CMU) lancée officiellement le 20 septembre 2013.
Des innovations majeures sont posées par la première réforme systémique des IPM notamment :
La loi du grand nombre rétablie par le relèvement du seuil requis pour la création d’une IPM qui passe de 100 à 300 ;
Les ressources financières nettement améliorées avec les cotisations relevées de 6% avec un plafond de 60.000 à 15% avec plafond à 250.000 ; la cotisation maximale quelle que soit la taille de la famille passe ainsi de 3.600 francs à 37.500 francs ;
Au bénéfice des salariés les faibles taux de prise en charge sont bannis avec un plancher de 50% du tarif préférentiel des actes accordé exclusivement aux IPM par les professionnels de santé ;
La création de l’ICAMO (institution de coordination de l’assurance maladie obligatoire) ;
La mise en place d’un fonds de garantie des IPM devant assurer la solvabilité du régime au grand bonheur des prestataires de soins ;
La création d’une IPM pour les salariés à contrat atypique (saisonniers, journaliers, stagiaires et autres).
Avec ces mesures salutaires, en intelligence avec le schéma directeur et la plateforme informatique de l’AMO, les IPM se voient pleinement outillées pour jouer leur rôle déterminant dans la réalisation de la CMU projet phare du PSE (plan Sénégal émergent).
La relance des IPM confiée à l’ICAMO et l’érection de l’Agence de la CMU en charge de la promotion des mutuelles de santé attestent la détermination des nouvelles Autorités à gagner le pari de l’accessibilité financière et géographique des populations à des soins de qualité.
Le Chef de l’Etat a bien appréhendé que l’offre de soins de qualité qu’il s’est fixé pour les populations déclinée dans la composante Hub Multiservices du PSE en son axe Dakar Médical City (DMC) serait un cautère sur jambe de bois s’il n’est pas couplé avec une demande forte, organisée et solvable.
En plagiant l’autre, nous corroborons l’agencement en disant que « l’offre sans la demande n’est que ruine d’investissement ».
Les transferts monétaires trivialement bourses familiales que nous assimilons à une autre CMU (couverture monétaire universelle) qui visent à doter les ménages « pauvres » d’un minimum de ressources financières pour accéder aux services sociaux de base dont les mutuelles de santé contribuent, au-delà du lissage des inégalités, à l’extension de la couverture maladie.
Le nouvel avatar de l’Etat providence, l’Etat « social investisseur » conceptualisé par le sociologue-économiste Esping Anderson se concrétise au Sénégal.
Aujourd’hui cet environnement de « couverture maladie universelle » et de « couverture monétaire universelle » est tout avantageux aux formes d’assurance maladie préexistantes dont les IPM en ce qu’il contribue à réduire le nombre élevé de resquilleurs qu’elles supportent.
Sur un autre registre, il faut saluer la nouvelle vision holistique des acteurs de l’assurance maladie et plus globalement de la santé qui ont pris conscience que leurs intérêts économiques corporatistes par essence divergents ne doivent plus l’emporter sur leur impérative convergence vers les intérêts exclusifs du « patient » leur seul raison d’être.
À cet appel répond la création le 22 octobre 2014 de l’ASPS (alliance du secteur privé de la santé) qui se veut une plateforme unique de concertation formelle et dynamique regroupant l’essentiel des acteurs de la sante dans le cadre du partenariat public privé (PPP) avec l’appui et l’assistance du ministère de la santé et de la banque mondiale dans le cadre de son programme initiative sante Afrique (hiA).
A vrai dire le quarantième anniversaire des IPM est très riche en jalons et dispositifs consolidants et structurants.
Avec l’engagement des acteurs noté autour de la réforme des IPM conduite avec méthode par le Ministère du Travail tutélaire en parfaite synergie avec le Ministère de la Santé et les Partenaires au développement le renouveau et l’envol des IPM vers la réalisation harmonieuse de la couverture maladie universelle sont fermement assurés.

Monsieur Cheikh Ibra FALL
Président Association des Gérants d’IPM
Co-président Groupe thématique CMU
Concertations nationales de la santé et de l’action sociale.
[email protected]

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