Rupture de l’égalité devant la loi, opposants en sursis

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Le procès du Maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall s’ouvre ce jeudi. Par respect, nous ne parlerons pas de la manière dont cette affaire a été instruite. Non plus, nous ne nous prononcerons pas sur sa culpabilité ou non. D’ailleurs, si nous voulions le faire, nous ne pourrions que nous verser dans ce qui pourrait être qualifiée de météo judicaire tant nous ignorons les éléments factuels (à charge et à décharge) qui constituent ce dossier. Donc, nous attendrons le prononcé du verdict et nous aviserons après analyse du dispositif du jugement qui sera rendu. En attendant, il y a une chose sur laquelle nous pouvons nous prononcer : les actes d’accusation portés contre Khalifa Ababacar Sall, c’est-à-dire les accusations publiques qui lui valent aujourd’hui des poursuites judiciaires. Officiellement, Khalifa Ababacar Sall est poursuivi pour association de malfaiteurs, de détournement de deniers publics et d’escroquerie portant sur 1,8 milliard de francs CFA. Pour rappel, ces poursuites se fondent sur un rapport établi au terme d’une mission de contrôle à la Ville de Dakar réalisée par l’Inspection Générale d’État.

A priori, le procès de Khalifa Ababacar Sall qui va s’ouvrir n’est que la suite logique d’une démarche vertueuse de reddition de comptes. À l’analyse, nous pouvons facilement nous apercevoir que cette volonté de lutter contre les prévarications financières n’est qu’un prétexte (personne n’est contre la vertu !) pour combattre une personne (à quelles fins ?) en faisant usage d’un arsenal juridique dont l’usage devrait impersonnel. Pour démontrer notre propos, nous allons rappeler trois (3) cas concrets de prévarications sur les deniers publics établies et documentées par les vérificateurs de la même IGE, lesquels ont été portés à la connaissance du Président Macky Sall avec des recommandations fermes de poursuivre leurs auteurs devant la justice. Ces trois (3) cas sont tirés des deux premiers rapports publics sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes que la Vérificatrice générale d’alors (Mme Nafy NGom Keita) avait remis au Président Macky Sall en 2013 et en 2014. En termes financiers, le montant reproché à Khalifa Ababacar Sall, quoique important, ressemble à des broutilles face à l’ampleur des sommes détournées et/ou perdues par l’État dans ces trois (3) cas. Malgré tout cela, le Président Macky Sall a préféré ne pas donner une suite aux propositions de l’IGE en les mettant « sous le coude ».

La Sar : Samuel Ameth Sarr au cœur d’un scandale de 9 milliards FCFA

Une partie d’une cargaison de pétrole brut, reçue à partir du Nigeria, que la Société africaine de raffinage (SAR) avait acquise auprès d’un fournisseur choisi sur instruction de l’ancien Ministre de l’énergie (Samuel Ameth SARR) était, en fait, constituée de plus de 1500 m3 d’eau. La SAR était parfaitement au courant de cette tromperie et, malgré cela, a accepté de payer, au fournisseur (en complicité avec Samuel SARR et l’ancien Directeur général de la SAR), l’intégralité de la facture représentant la totalité de la cargaison. De ce fait, la SAR a perdu, dans cette seule opération, plus de 9 milliards de francs CFA comprenant la valeur de l’eau achetée au prix du pétrole brut à laquelle sont venues s’ajouter d’autres pertes (commerciales, frais d’immobilisation du cargo avant déchargement, intérêts bancaires, etc.), sans égard aux désagréments techniques et autres retards enregistrés dans la production d’énergie. Pour toutes ces raisons, l’IGE avait proposé au Président Macky Sall « l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de l’ancien Ministre de l’Énergie et de l’ancien Directeur général de la SAR (Rapport 2013, page 20).

Jusqu’à ce jour et en dépit de la gravité des faits qui lui sont reprochés, Samuel Ameth Sarr n’est pas inquiété. Il s’est éloigné du PDS et de Me Wade et ses anciens camarades de parti croient mordicus qu’il était un cheval de Troie de Macky Sall en leur sein.

Ministère économie maritime : Khoureyssi Thiam indexé dans une fraude et corruption de 11,6 milliards FCFA sur les licences de pêche

L’ancien Ministre de l’économie maritime (Khoureyssi Thiam) a, pour sa part, « causé au trésor public sénégalais un manque à gagner et un préjudice financier incontesté de plus de 11,6 milliards de francs CFA » (Rapport 2013, page 137). Ce montant constitue le fruit « de forts soupçons de forfaiture, de concussion, de corruption et de fraude » qui ont pesé « sur les conditions de la délivrance des autorisations de pêche en 2010 et 2011, sur le non- versement de la redevance avancée et sur le non-contrôle des captures et des débarquements y afférents » (Rapport 2013, page 137). Cela avait amené l’IGE à proposer des mesures correctives consistant notamment à « ouvrir une information judiciaire contre l’ancien Ministre de l’Économie maritime »(Rapport 2013, page 138).

À date, le maire de Makakoulibatan (dans la région de Tambacounda) ne fait l’objet d’aucune poursuite à notre connaissance. Il ne manque pas une occasion pour glorifier Macky Sall et lui réaffirmer son soutien même si les militants « authentiques » de l’APR de son patelin le voient d’un mauvais œil et refusent de lui faire une place. D’après les échos de la presse, il travaillerait à la réélection de Macky Sall en 2019.

Domaine du Général Chevance Bertin à Bambilor : lorsque Mamadou Mamour Diallo fait perdre à l’État 30 milliards FCFA

L’achat des terres du Général Chevance Bertin à Bambilor par l’État, s’est effectués « sur un fond de détournement d’objectif, des manœuvres manifestes de contournement de la loi » avec « la perte de ressources fiscales, l’enrichissement de particuliers au détriment de la collectivité nationale et du Trésor public » ainsi que « des négligences de nature à compromettre les intérêts de l’État dans le suivi des dossiers » (Rapport 2014, page 76).

Cette opération était menée par Mamadou Mamour Diallo, en sa qualité, à l’époque, de Conservateur du département de Rufisque sous l’autorité du DGID d’alors (Amadou BA, actuel MEF). Dans cette affaire, « il a été constaté un contournement, voire une violation systématique de la loi « Rapport 2014, page 77) ainsi que la « non perception de recettes fiscales (…) sur les importantes transactions immobilières qui ont été réalisées » (Rapport 2014, page 78). L’IGE mentionne, également, que « le dossier des terrains de Bambilor a révélé des cas patents de négligence et d’imprudence de la part des services des Domaines » (Rapport 2014, page 80) et ces situations « sont caractéristiques d’une profonde incurie de la part des services en charge des Domaines » (Rapport 2014, page 81). Au total, « l’État a perdu, dans ces opérations, hors toutes pénalités, amendes et intérêts de retard, la somme de trente milliards cinq cent trente-trois millions quatre cent cinquante-six mille (30.533.456.000) francs CFA » (Rapport 2014, page 78). Aujourd’hui, Mamadou Mamour Diallo est promu Directeur national des Domaines en dépit de sa « négligence », de son « imprudence » et de son « incurie » pointées par l’IGE dans la gestion du dossier du domaine du Général Bertin, parce qu’il constitue l’un des principaux soutiens politiques de Macky Sall à Louga à travers son mouvement « Dolli Macky ».

En conclusion, toutes ces trois personnes qui font face à des accusations plus graves avec des préjudices financiers plus importants que celles portées à l’encontre de Khalifa Ababacar Sall s’en sortent indemnes. Leur point commun ? Ils sont des soutiens actifs ou souterrains de Macky Sall. Tant qu’il y a la volonté de veiller au respect d’une gestion saine des deniers et biens publics ainsi qu’au développement d’une culture de reddition de comptes, les lois et les traitements réservés aux fautifs doivent être les mêmes. Peu importe leur allégeance politique, sinon on procède à la rupture de l’égalité des citoyens, des gestionnaires, des responsables publics devant la loi. Avec le rappel de ces trois (3) cas, nous pouvons comprendre pourquoi l’écrasante majorité des sénégalais perçoit le procès de Khalifa Ababacar Sall comme un procès politique. Macky Sall et ses partisans doivent se rappeler que le bon sens est la chose la mieux partagée. Les manipulations et mensonges d’une certaine presse n’y changera rien. Tout le monde comprend maintenant que les poursuites ne sont réservées qu’aux opposants de sa Majesté. Le plus consternant dans tout cela, c’est de voir des intellectuels défendre l’indéfendable pour des sinécures et des intérêts purement partisans.

Nous ne saurions terminer sans avoir une pensée pour les Inspecteurs généraux d’État, un corps d’élite composé de hauts fonctionnaires très compétents, mais tenus par l’obligation de réserve, face à l’usage politique que le Président de la République fait de leur travail. Nous sommes persuadés qu’ils sont nombreux à souffrir en silence de cette situation. La solution à cette situation serait de faire nommer le Vérificateur général par l’Assemblée nationale sur proposition du Chef de l’État. De ce fait, l’IGE ne rendrait compte qu’au parlement avec un pouvoir de saisir la justice. Outre l’égalité de toutes les personnes vérifiées devant la loi, cela contribuerait à mieux armer les parlementaires dans leur fonction de contrôle de l’action gouvernementale. Cette solution aura l’avantage de supprimer le fait que le Président de la République soit le destinataire exclusif des rapports de vérification et de lui enlever toute possibilité de tri en fonction des protections qu’il veut accorder à ses partisans. C’est cela la pratique courante dans les pays où la transparence et la bonne gouvernance sont une réalité.

Ibrahima Sadikh NDour

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