Une analyse de la politique de relance économique du président : certains aspects opérationnels à questionner

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ibrahima gassamaAu l’issu de la déclaration de nouvel an du président de la république Macky Sall, il a souligné la volonté du gouvernement d’entamer une véritable politique volontariste pour relancer la croissance économique, notamment par le soutien à la demande intérieure, à travers l’augmentation du revenu disponible des ménages et l’investissement. Toutefois, lorsqu’on procède à une analyse plus fine des mesures énoncées, on se rend rapidement compte que plusieurs points restent à étudier sérieusement pour que les politiques édictées soient efficaces. Mes analyses porteront surtout sur l’ouverture d’un débat sur l’opérationnalité de quelques mesures énoncées.
Si l’on fait un tour d’horizon rapide de la déclaration, le président met en lumière les réalisations faites par son gouvernement, malgré la courte durée de son existence au pouvoir :

Une économie budgétaire de 169 milliards de FCFA qui a permis à son gouvernement de juguler la crise alimentaire, de subventionner le prix de l’électricité et de soutenir la campagne agricole;
La mobilisation de 250 milliards, devant permettre pour le moment d’éponger 35 % de la dette intérieure du pays estimée à 700 milliards;
Des efforts qui ont contenu le prix de l’arachide à 190 FCFA.
Dans la batterie de mesures qui relèvent de la projection, il apparaît la volonté du gouvernement de procéder à une relance par la consommation et l’investissement, mais également le souci d’une répartition de la richesse nationale par la création de filets de sécurité pour les plus pauvres. Parmi ces points citons quelques uns, qui à mon avis sont très importants, et qui appliqués de façon plus habile pourraient jouer un rôle important dans l’économie du pays.

L’acquisition de 1000 tracteurs et divers équipements ruraux pour booster l’autosuffisance alimentaire;
Une bourse de sécurité familiale de 100.000 FCFA par famille pauvre et par an dont le but est de couvrir immédiatement 50.000 foyers du Sénégal, objectif qui devrait atteindre 250.000 foyers en 2016;
L’instauration d’une couverture maladie universelle;
La mise en place d’une commission de régulation des logements dont le mandat est d’enrayer la spéculation sur les logements et maîtriser le prix élevé des loyers;
Certaines mesures sont à questionner sur leur propension à pouvoir se pérenniser dans le temps et à créer la richesse nécessaire au bien-être de la population.
L’investissement en capital que constitue l’achat de tracteurs pour la population rurale semble être une mesure d’implication directe du gouvernement dans l’agriculture et je me questionne sur l’efficacité d’une telle mesure comme moteur de relance de l’autosuffisance alimentaire. À cet égard il est à constater que la gestion des champs agricoles relève du domaine privé et si l’État doit y intervenir c’est plus à titre de facilitateur dans l’acquisition des équipements. Ce qu’un gouvernement volontariste peut faire à cet égard c’est plutôt des politiques incitatives qui réduisent la fiscalité sur les machines agricoles afin de faciliter leur achat par les paysans eux-mêmes. Le gouvernement peut également rendre plus souple l’accès aux crédits agricoles en proposant, en partenariat avec les banques, des taux d’intérêt bonifiés pour les agriculteurs ou garantir les prêts d’équipements agricoles. Je pense que ces mesures seront plus efficaces qu’une implication directe du gouvernement qui aura du mal à soutenir le rythme de cet investissement dans le temps si son ambition est de couvrir tout le territoire national.
Au sujet des bourses familiales, le principal écueil auquel le gouvernement pourrait être confronté c’est surtout le critère sur la base duquel une famille va être déclarée pauvre ou pas par le gouvernement. Sur ce terrain glissant, il est très important de définir de manière rigoureuse les critères et les rendre publics avant qu’on ne tombe rapidement sur des considérations politiques qui risquent de dévoyer l’ambition du projet. Un autre risque serait d’affecter les ressources à des personnes non admissibles qui utiliseront les failles du système, ce qui serait arbitraire. La définition de la pauvreté n’est jamais un sujet facile et je pense que la plupart des économistes ne me démentiront pas. Et dans un pays comme le notre, la notion de famille n’est pas aussi facile à bien délimiter; donc un travail de fond attend le gouvernement sur ce terrain pour que les critères de répartition soient jugés au moins équitables aux yeux des citoyens. C’est un champ de recherche préalable où l’économique se mêlera à la sociologie. Ma proposition pour cette politique est qu’il faudrait au préalable une enquête nationale sur les ménages pauvres pour diriger les fonds vers les vrais ayant-droits. Une autre possibilité serait d’inciter les ménages à déclarer leurs revenus pour pouvoir en bénéficier en termes de crédits d’impôts au terme de l’année fiscale. En outre, des balises devraient nécessairement accompagner le renouvellement des décaissements comme l’éducation des enfants, les vaccinations, etc. À ce titre l’exemple brésilien de la Bolsa familia (bourse de famille) mise en place par le président Lula pourrait beaucoup nous inspirer.
Concernant la couverture maladie universelle, dans la plupart des pays occidentaux où la mesure est appliquée (exemple, en France et au Canada), la contribution vient directement du salaire de l’ensemble des travailleurs comme effort de solidarité nationale. Au Canada, dans les entreprises et organismes, c’est l’employeur qui propose le régime d’assurance collective privée auquel son employé participe de manière forfaitaire avec des critères d’admissibilité. Ainsi, tous ceux qui ne sont pas couverts ailleurs sont pris en charge par l’État. Donc la portée universelle de cette mesure doit être bien étudiée et l’erreur serait de la faire supporter entièrement par l’État car il s’agit d’une politique très budgétivore. Dans un contexte où le gouvernement évoque de manière récurrente la rareté des ressources, il faut trouver une manière ingénieuse d’organiser la solidarité nationale autour de cette question en termes de contribution.
Enfin, au sujet de l’accessibilité au logement, le moyen le plus efficace que l’État peut utiliser c’est de construire plus de logements sociaux pour augmenter l’offre de logements et cette mesure fera baisser les prix. La politique de plafonnement des prix risque d’échouer car les prix sont le reflet du coût des intrants; donc l’État aura peu de marge de manœuvre pour imposer des prix. Mais en agissant sur l’offre, une compétition au secteur privé va s’enclencher et fera baisser les prix. En outre, la fameuse Commission de régulation que le président veut mettre en place peut s’inspirer du modèle de la Régie du logement du Québec qui est une véritable institution indépendante qui arbitre les conflits entre le locateur et le locataire, mais veille également à l’application des lois comme le rythme d’augmentation des prix du logement.

À la lumière de ces quelques points que j’ai cru devoir partager sur les grandes questions de développement soulevées par le président, il émerge que la construction de telles politiques devrait se faire avec une véritable approche participative. Dans ce sillage, le monde de la politique devrait donner la main au monde de la recherche pour que les véritables besoins de la société puissent être cernés. À mon avis, c’est dans cette voie que nous tendrons vers le maximum de bonheur pour le plus grand nombre comme dirait Jeremy Bentham.

Ibrahima Gassama, Montréal
Économiste du développement durable
Contact : [email protected]

4 Commentaires

  1. Bonjour Mr Gassama, félicitation pour votre contribution. Seulement, il y a des erreurs (ou information incorrecte) que je note dans votre analyse. Premièrement, concernant la couverture médicale universelle, il est faux de dire que c’est du domaine du privé au Canada (cotisation employés, employeurs…) et en France. Dans ces deux pays, c’est l’état qui prend en charge la couverture médicale (donc c’est l’état qui finance le système de santé), par l’intermédiaire de la contribution santé que les citoyens paient (au Canada, Québec en particulier), les taxes… Pour rappel, la couverture médicale concerne l’ensemble des soins et services de santé dispensés dans un hôpital ( ou autres structures de santé…).

    Maintenant, en ce qui concerne la couverture médicaments, au Canada, il existe des assurances privées par le biais desquels les personnes (employés…) peuvent souscrire et être remboursées pour les frais débousés. En France, c,est a peu près pareil qu’au Canada, sauf que les assurances collectives sont remplacées par des mutuels. L’autre point qui nécessite un éclairage porte sur la prise en charge médical des citoyens dans ces deux pays. Les citoyens dans ces deux pays qui sont considérés comme étant pauvres tombent dans le régime général de prise en charge (c’est à dire l’état assure leur couverture médical et non médicamenteux (pour le Canada seulement), l’état assure leur couverture médical et médicamenteux pour la France). Maintenant, dés que la personne ou le citoyen commence à travailler, en ce moment, l’état ne le couvre plus du point de vue de la couverture médicament (mais il reste toujours couvert médicalement par l’état au Canada). Le financement d’un système de santé est régit par certaines théories économiques et contextes historiques, qui à mon avis s’ils ne sont pas compris ou maîtriser au départ, risquent de méler les lecteurs. Deuxièmement, concernant les critères de seuil de pauvreté dont vous faîtes allusion, il existe au Sénégal des enquêtes sur les ménages et des rencements sont disponibles, dont par nécessaire de les refaire (perte de temps et d’argent…). Les critères d’élligibilité ne doivent pas tenir seulement compte de la déclaration de revenus. A mon avis au Sénégal, ceux qui déclarent leur revenu sont plus du côté du système formel. Le problème du personnes qui évoluent dans le système informel risque de ne pas être pris en compte. A la lumière de ma lecture, je pense qu’en tant que Sénégalais (de la diaspora surtout…) nous devons voir les réalités sur le terrain, réfléchir à partir de ces réalités,en tenant compte bien sur du peu de vécu ou expérience accumulée ailleurs, mais non faire du copier coller ou bien dire de manière superficielles certaines choses qui demandent plus de profondeur dans la réflexion. Bonne année

  2. Bonjour M. Alla…Moi la compréhension que moi j’ai du texte est différente de la tienne. Dans les couvertures maladie au Québec et en France les travailleurs y contribuent, l’État également et si je comprends bien ce que dit l’auteur c’est de ne pas faire supporter tous les coûts à l’État. Et c’est faux également de dire que la couverture maladie concerne l’ensemble des services santé dispensés par les hopitaux et les structures de santé. Beaucoup d’assurance collectives ne couvrent pas les soins dentaires prodigués par certaines structures de santé et le gouvernement ne les prend en charge que quand la personne adulte est à l’aide sociale. L’autre erreur que vous faites également c’est de penser que les assurances collectives ne couvrent  seulement que les médicaments. Certains soins et équipements de santé tels que les soins dentaires (pour quelques uns), les achats de lunette, les chambres d’hôpitaux, etc. sont également couverts par certaines assurances collectives…Elles paient également les suivis médicaux en cas de covalescence, etc. Donc vous gagnerez aussi à mieux vous renseigner sur le sujet.

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