Publication – Asmalick Ndiaye, L’âme d’un poète

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Défense des polygames, rejet de la discrimination raciale, corruption d’un fonctionnaire du FMI, immigration, entre autres thèmes de société dont traite « Altercultures », le nouvel opus de l’écrivain sénégalais Asmalick Ndiaye, natif de la Casamance et professeur de littérature, langues et cultures francophones à l’université de Columbia à New York. Publié aux éditions Phoenix et préfacé du professeur Souleymane Bachir Diagne, l’ouvrage sera dédicacé ce samedi 25 juin à la librairie Athéna à Dakar.

« Asmalick Ndiaye est un amoureux de la poésie. Des poètes. De tous les poètes. Voilà pourquoi Altercultures s’ouvre sur une reconnaissance de dette, celle infinie envers les poètes dont il a tété les mots, les sonorités et les rythmes. » Ces propos extraits de la préface du professeur Diagne illustrent bien le caractère atypique de l’œuvre d’Asmalick, dont l’écriture est une invitation au voyage, de Harlem à Dakar au détour de Paris, la verte Casamance, jusque dans les froideurs de Moscou, où le néonazisme a coûté la vie à un ressortissant sénégalais. Des thèmes de l’immigration à la polygamie en passant par la rébellion casamançaise et ses victimes innombrables, les questions de démocratie en Afrique, Asmalick s’approprie la langue, en fait sienne tout en scrutant dans une écriture fluide les relations qu’entretient le Sud du Sahara avec le reste du monde, au travers de mirages qui peuplent l’imaginaire des jeunes Africains tentés par l’aventure suicidaire, le désir d’émigrer à tout prix. Mais c’est à l’Afrique mère, et particulièrement au Sénégal que s’adressent les premières pages de ce beau recueil de poésie où l’auteur donne libre court à son imagination, assène ses vérités, jusqu’à mettre les pieds dans le plat de la brûlante actualité.
« Je suis né de la cuisse d’un père nègre, Qui m’habilla d’un bonnet phrygien ! », confie d’emblé le poète qui déclame son amour pour la région Sud du Sénégal en proie à la rébellion depuis une trentaine d’années. Justement la Casamance, elle est à Asmalick ce que fut pour Marcel Pagnol le massif du Garbalan. Par un chapelet de regrets, l’auteur met les mains dans le cambouis du drame qui sévit en Casamance : les affres de la guerre, la séparation que vivent les familles, le quotidien d’un terroir où « le bruit des armes repose l’enfant buissonnier ». D’un ton amer, Asmalick renvoie dos à dos les gouvernements successifs et les rebelles qui, selon lui, « persistent à traiter dans le dos des principaux concernés. Mais, tant que le sujet restera tabou, il n’y aura pas de solution », a constaté l’auteur, très indigné devant ce qu’est devenue aujourd’hui, cette terre de « Casamance ! Mère souffrante ! Trahie par la lance aveugle, Dressée entre Nord et Sud. Autrefois, ton nom coulait doux sur ma langue, Comme le vin de palme du Blouf, Mon regard se traînait sur tes belles étendues, Majestueuses et sensuelles… »
« La bourse du corrupteur », un clin d’œil à un certain Segura
Dire que Asmalick Ndiaye sait porter l’estocade, revient à relater une lapalissade. Les remous institutionnels et scandales financiers qui ont secoué le Sénégal ne lui sont pas indifférents, bien au contraire. Il suffit de feuilleter « Altercultures » pour se rendre compte que la politique constitue la toile de fond de ces belles pages de poésie très engagée, et dont certaines sont une réaction quelque peu tardive à l’actualité, mais très actuelle au regard des rebondissements concernant les sujets évoqués. « Désormais il les compte par milliards ; Il les convertit quand il veut, Il les donne à qui il veut. Il faut être fou pour refuser ses cadeaux, Quand on n’a jamais vu un liard », dira Asmalick Ndiaye dans « La bourse du corrupteur », un clin d’œil à un certain Segura, Alex de son prénom.
Fut-il fonctionnaire du FMI, ce n’est pas en tout cas une affaire de « femme de chambre », mais une histoire de mallette, qui l’oppose à un souverain africain, généreux au point de distribuer à tout-va les deniers publics. Asmalick voit en ce souverain « un corrupteur qui maîtrise l’art de reconnaître tous les crevards, Il les invite en son palais, leur glisse en douce une mallette remplie de ses fameux petits billets… » L’auteur, dans une bonne dose d’humour, enfonce le clou et renseigne que ce « corrupteur » dit tenir son trésor de « Ses amis de la Banque Mondiale, Ses maîtres d’Europe et d’Amérique, ou de Son Émir du pays des sables ». Dans les vers suivants, le portrait que dresse Asmalick de ce même « corrupteur » renvoie par endroits à celui que le poète appelle Doudou, ou Capitaine Doudou, un homme de tenue : la similitude entre les deux est plus que frappante. Asmalick adresse à l’un ou à l’autre, une invitation à quitter le navire. « Pars, Doudou, pars avant que le drame n’arrive ! Pars, Doudou, pars avant que la mort ne te rattrape ! Pars, Doudou, pars avant que notre pays ne meure ! Pars, Doudou, pars, tu en seras grandi ! Pars, Doudou, pars, il n’est pas trop tard ! »
Publié dans la collection « Mots et Mémoire » dirigée par Sylvie Kandé, Altercultures aux multiples références historiques et littéraires dresse un tableau assez controversé de l’Occident et de ses mirages qui ne cessent de susciter l’espoir de l’autre côté de la Méditerranée. Car si Doudou, apparemment, n’as pas la moindre intention de partir, on ne peut pas en dire autant pour la jeunesse africaine désœuvrée et à la recherche d’un lendemain meilleur, au point de tourner le dos au pays qui les a vus naître. Tenter leur chance à l’étranger, émigrer au péril de leur vie. « Barça walla Basax », en wolof, Barcelone ou la mort, est une réflexion à la question très tendance de l’immigration, un fléau qui dépeuple l’Afrique et livre ses fils aux humeurs et caprices de l’océan, qui, à défaut de pouvoir transformer leur rêve de fouler l’eldorado sacré, se réduira en un piètre cimetière où reposeront les corps de beaucoup d’entre eux. « Sur le dos de l’eau, dans la nuit froide et large comme l’océan, je suis parti des côtes de Guinée comme les forçats d’hier, sur une pirogue faite de bois mort et de résine, avec un talisman et quelques camarades dans la poche, de l’argent et une lettre pour mon cousin d’Espagne. En songe, j’ai vu les lumières de Lampedusa ! Ce n’est pas l’Espagne, mais cela y ressemble. »
L’accueil qui est réservé aux migrants, surtout aux enfants des immigrés en France, est également dans la ligne de mire de l’écrivain, qui y voit un échec patent de la politique d’intégration à la française, et son corollaire la situation explosive dans les banlieues, dont traite le poème « Tu l’aimes ou tu la quittes », où l’auteur use d’un mode d’expression digne de la « racaille », un langage châtié propre aux jeunes de banlieue. « C’qu’on veut, c’est la répartition équitable, des chances. On veut comme Kevin et Martine, pas seulement lire Hugo et Lamartine, mais trouver du taff en sortant de la cantine. » De quoi rendre le poète hystérique, voire « narcoleptique ». Au point de remettre en question l’éducation à la française ? Asmalick répond par l’affirmative et évoque ces « trous de mémoire », cette amnésie historique, qui rappelle le coup de gueule de l’écrivain Charles Onana, sur La France et ses tirailleurs, ces oubliés de la mémoire dont l’histoire est « absente des manuels scolaires, écartée des grandes commémorations nationales, invisible dans le répertoire des monuments de la capitale française. » Un déni dont les conséquences sont encore décelables à travers l’attitude et le désœuvrement des jeunes de banlieue.
Parce qu’elle a beaucoup de mal à assurer un égal traitement à ses enfants aux origines diverses, Asmalick Ndiaye ne ménage pas l’Hexagone, et s’en prend vertement à un de ses symboles, tout en gardant un relatif optimisme. « S’il me fut facile de déclarer mon désamour à Marianne, ou du moins à la garce qu’elle était devenue, j’avais en moi l’espoir qu’elle redevint la belle vertueuse que j’avais connue. »
« Que viennent les hooligans et leur haine du singe ! »
Dans le même registre, l’immigration nourrit le fond de « J’irai mourir à Moscou », un hommage à Samba Lampsar Sall, ce ressortissant sénégalais tombé en 2006 sous les balles de Maliouguine, un néonazi membre de l’extrême droite russe. Par sa personne, l’auteur rend hommage à « tous ces agneaux noirs immolés sur l’autel de l’arrogance, tous ces corps noirs brûlés dans le pavillon de la démence, tous ces visages noirs mutilés d’une barre de fer haineuse, toute la cohorte de victimes de la race et des théories fumeuses, toute la négraille russe issue d’amours coupables et honteuses ». Une invitation à la Russie à « retrouver son humanité perdue ! » « Que viennent les hooligans et leur haine du singe ! » Tance Asmalick : « S’il le faut, mon sang s’étalera d’amour sur la place rouge », a-t-il averti.
Un avertissement également à l’endroit des pourfendeurs de la polygamie, cette pratique qui fait encore débat dans le cercle des intellos. Le thème de la femme, très présent dans « Altercultures », a servi de prétexte à l’auteur, qui s’est engagé, vers la fin de l’ouvrage, dans un plaidoyer pour la polygamie. Asmalick prend le contrepied de certains intellectuels mais soutient ne pas faire l’apologie de la polygamie. « Je défendrai jusqu’à la mort nos pères polygames », prévient celui qui dans « Nos pères ces polygames » a déclaré « se garde sagement de tenir pour unique une vérité Née au pied des Pyrénées ». A la place, il propose « une autre lecture de ce phénomène culturel » qu’est la polygamie. Laquelle lecture n’a rien à voir avec les jugements de valeurs occidentales qui selon lui, ne constituent pas des références absolues étant donné que « l’Occident, au nom de la liberté, tolère des expériences sexuelles non conventionnelles, comme la culture des maîtresses », des expériences et pratiques qui sont plus à dénoncer que la polygamie par exemple. « Les crimes contre nos mères, nos sœurs, nos filles, Sont plus profonds que l’arithmétique des cœurs. » C’est du moins la conviction du poète pour qui « Les hommes polygames ne sont pas plus à blâmer » que d’autres. On peut déjà s’attendre à une réaction de l’auteure de Celles qui attendent, Fatou Diome, dont le dernier ouvrage fait justement le procès de ces maris polygames.
Momar Mbaye
http://mbayemomar.over-blog.net
Asmalick NDIAYE signera son recueil de poésie à la librairie Athéna à Dakar le samedi 25 juin à partir de 15 h 30 à la librairie Athéna, 33, Rue Jules Ferry, Tél 33 82 38 980.

1 COMMENTAIRE

  1. Vive la Nation sénégalaise .

    Vive la révolution des cacahuètes.

    Ces macaques du PDS et leur vieux babouin en chef, sont sourds au langage de la sagesse.

    Ils ne connaissent le caillassage et les gourdins épineux ciblant leur arrière-train..

    Ubu Wade, est piètre stratège, mais calculateur et retors obsédé par une alternative.

    Wade est tiraillé par d »une part pérenniser illégitimement ses inepties en passant le témoin à son tocard de fiston Karim;
    et d’autre part faire durer par la ruse sa position au delà du mandat que notre Nation lui a confié.

    Mais cette « révolution de cacahuètes » instruira KArim plus que le rituel de circoncision qu’il n’a pas connu en temps opportun .

    Qui pourra traduire à karoim cette métaphore WOLOF:
     » Golo meun na yeeg, dakh gimbal bayamm tagna »

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