Diodio Glow : la file d’attente qui raconte notre naufrage silencieux !

Xalima
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Il y a des images qui ne s’effacent pas. Devant les locaux de Diodio Glow, ce n’était pas seulement des jeunes venus déposer un CV. C’était un pays venu déposer son inquiétude. Son espoir aussi. Son désarroi surtout.

J’ai regardé ces foules, j’ai revu tant de visages : mes camarades d’université devenus enseignants par défaut, chauffeurs VTC par nécessité, migrants par résignation. J’ai pensé à ceux qui ont traversé le désert, à ceux que l’Atlantique n’a jamais rendus. Et à ceux, nombreux, qui sont restés ici, dignes, debout… mais sans porte à pousser, sans place à prendre.

La scène de Diodio Glow n’est pas un fait divers. C’est un diagnostic social, étalé sur le bitume, à ciel ouvert. Elle raconte un pays où la jeunesse est devenue patiente jusqu’à l’absurde, et silencieuse jusqu’à l’inquiétude.

Chez nous, la formation produit plus d’attente que d’avenir. Depuis les années Diouf, Wade et Macky Sall, nous avons multiplié les écoles, les centres de formation, les diplômes. Nous avons investi, communiqué, inauguré. Et pourtant… le résultat est là : les files d’attente s’allongent à la sortie des campus comme aux portes des salons de beauté.

Le Sénégal forme des milliers de jeunes pour un marché qui ne les attend pas. Il aligne des ambitions que l’économie ne porte pas, comme le dit un ami philosophe.

Le CAP, le BTS, la licence, le master, le chômeur chronique, tout le monde dans la même file, avec la même part de doute. Même sentiment que le rêve national a pris du retard sur la réalité quotidienne.

Devant chez Diodio, nous avons vu une jeunesse prête à tout, sauf à renoncer à sa dignité. En effet, depuis les années 80, les gouvernants parlent de “chômage”, en oubliant l’essentiel : il ne s’agit pas de chiffres. Il s’agit de vies. De jeunes qui se lèvent tôt, qui croient encore, qui essaient, qui refusent de mendier ou voler.

Les femmes et les adolescents qui étaient alignés devant Diodio Glow n’étaient pas faibles, ils étaient courageux. Le plus grand courage aujourd’hui, au Sénégal, c’est peut-être simplement de continuer à chercher, de continuer à espérer. Et de recommencer, comme Sisyphe.

Après avoir vu ces images ce lundi matin, je me suis dit que nous leur devons plus que des encouragements. Nous leur devons un horizon. Et le péril jeune, dont je parle souvent dans mes publications n’est pas un slogan, c’est une alerte. Il ne faut pas être naïf, un pays ne se maintient pas avec une jeunesse inactive. Ce n’est pas seulement une question d’économie. C’est une question de paix sociale, d’équilibre moral, de stabilité politique.

Ceux qui ne trouvent pas leur place finissent par la créer dans la rue, sur les réseaux, parfois en mer. Et nul ne peut prévoir comment une génération frustrée, connectée, informée, pourrait exprimer sa colère demain. Le silence actuel n’est pas un apaisement. C’est une tension qui respire sous la surface.

Nous avons deux choix : continuer d’applaudir les “success stories isolées” (panacée de l’entreprenariat) , ces petites victoires qui masquent la grande défaite collective, ou regarder en face la vérité : la jeunesse n’attend plus un discours, elle attend un modèle.

Un modèle productif. Un modèle qui emploie. Un modèle qui considère que le premier droit, avant même la liberté d’expression, est la liberté de vivre dignement de son travail. Le Sénégal ne manque pas de talents. Il manque de places pour les accueillir, de politiques pour les anticiper, de courage pour les assumer.

Diodio Glow n’est pas un épisode. Je pense plutôt que c’est un signal .Cette file d’attente restera comme un avertissement. Un jour, peut-être, nous dirons que tout était déjà écrit dans ces visages fatigués et décidés. Que nous avions vu la vague avant le choc. Ce que nous avons vu ce jour-là, ce ne sont pas des chômeurs. Ce sont les héritiers du pays.

Et une nation qui laisse ses héritiers sur le trottoir prend le risque que demain, ce trottoir devienne un champ de bataille moral, social, politique.

Nous avons encore le temps. Pas longtemps. Juste assez pour transformer cette file d’attente en file d’embauche, et cette colère silencieuse en énergie productive.

Parce qu’au bout du compte, le vrai capital d’un pays, ce n’est pas son sous-sol, c’est sa jeunesse. Et cette jeunesse de chez Diodio nous regarde. Au finish, une politique d’emploi sans industrialisation, n’est qu’un leurre adossé à une poudrière.

Adama Sow

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