Pour la défense de la souveraineté alimentaire adossée à une fiscalité juste et à une productivité durable

Xalima
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Lettre ouverte au Gouvernement

Objet : Pour la défense de la souveraineté alimentaire adossée à une fiscalité juste et à une productivité durable

Mesdames, Messieurs les Ministres,

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Agenda national de transformation à l’horizon 2050, le Sénégal s’est engagé dans une voie ambitieuse mais contraignant et parsemée d’embûches : celle de la souveraineté alimentaire. Cette ambition, traduite par les programmes d’autosuffisance en produits céréaliers, en légumes et fruits, ainsi qu’en viande et en lait, incarne à la fois une volonté politique, un impératif économique, une exigence sociale et un acte de souveraineté nationale.

La politique sectorielle de la stratégie actuelle, avec la subvention à l’importation de génisses gestantes et de géniteurs destinés à l’amélioration génétique du cheptel initiée dans le cadre du PSE comme levier, est poursuivie par l’actuel Gouvernement. Mais cette volonté politique ne saurait suffire dans sa forme actuelle. Car sans une approche intégrée alliant maîtrise du foncier et de l’eau, production fourragère en grande quantité, fiscalité adaptée sur le matériel et les intrants ainsi que protection du marché intérieur, cette politique risque de rester une vision tronquée et un catalogue de vœux pieux.

Depuis dix ans je m’active dans l’élevage de moutons de race par passion plus que pour des considérations pécuniaire. Mais aujourd’hui avec l’implantation d’une ferme avec des vaches laitières, je découvre les difficultés auxquelles sont confrontés les acteurs du sous-secteur élevage

En effet, pendant que nos vaches maigrissent sous le soleil de Khelcom ou du Ferlo et l’étroitesse du foncier rural dans la zone des Niayes envahie par l’urbanisation, des tonnes de lait en poudre traversent nos ports, subventionnées par les contribuables européens et des cargaisons de viande des quatre coins du monde.

L’ANIPL (Association nationale pour l’Intensification de la Production laitière) et le GEPES (Groupement pour l’Amélioration génétique de l’Élevage pastoral et extensif au Sénégal) l’ont clairement dit : sans un plan national de production à l’échelle industrielle de fourrages, sans des incitations fiscales pour les unités locales de transformation et sans un contrôle des importations déloyales, le Sénégal continuera à importer ce qu’il sait produire.

Ce n’est pas une fatalité, c’est plutôt une myopie politique ou une paresse d’État. A moins de jouer sur les leviers suivants, la politique agricole (agriculture, élevage, foresterie, pêche) reste un vieux pieux :

1. Levier productif : la bataille du fourrage

La réussite de tout élevage repose sur la disponibilité régulière et abondante de fourrages de qualité. Or, nos pâturages naturels, soumis à la vulnérabilité climatique, ne répondent pas aux besoins croissants d’un cheptel en expansion et l’évolution croissante de l’importation de vaches à haute intensité de lactation parquées dans des étables hors normes.

Il est donc urgent que le Sénégal fasse émerger un véritable écosystème du fourrage, articulant production mécanisée, aménagements hydro-agricoles et incitations fiscales en faveur des investisseurs individuels, des exploitations familiales et des coopératives. La valorisation des bas-fonds, la récupération des résidus agricoles, et la promotion des cultures fourragères doivent être inscrites dans une stratégie nationale dotée de moyens conséquents.

Dans certains pays de la sous-région, des programmes hardis de fermes pilotes équipées de forages solaires, qui sont implantées par milliers pour favoriser la sédentarisation et l’exploitation intensive de la ressource animale intégrée à la culture fourragère, sont encouragées.

2. Levier fiscal : une justice économique au service d’une production endogène de lait et de la viande de qualité

Sur le plan économique, la compétitivité de notre production laitière et carnée nationale reste étouffée par la concurrence déloyale des produits importés, notamment en provenance de l’Union européenne, du Brésil, d’Argentine dont les agriculteurs bénéficient de subventions massives à l’exportation.

Comment bâtir une souveraineté laitière si le lait en poudre subventionné reste fiscalement plus avantageux que le lait local collecté, transformé et vendu au Sénégal ?

Il s’impose aujourd’hui d’instaurer une fiscalité différenciée et protectrice au profit des entreprises agricoles, individuelles, familiales et communautaires : baisse des droits de porte, réduction ciblée de la TVA sur le matériel et les intrants agricoles ainsi que sur le matériel d’élevage, mécanismes d’incitation à l’investissement pour les unités de transformation locales, et taxation progressive des produits importés à forte distorsion concurrentielle.

Ces réformes ne seraient pas un repli nationaliste à forte dose de slogans, mais des mesures de justice économique et de préférence nationale en faveur de nos éleveurs, transformateurs et consommateurs.

3. Levier de l’efficience : Une Cohérence gouvernementale pour la souveraineté alimentaire

Mesdames Messieurs les Ministres,

Le patriotisme économique n’est pas une juxtaposition de slogans et de discours, c’est la mise en œuvre d’une politique budgétaire vigoureuse porteuse de croissance adossée à une claire vision des enjeux de développement durable.

Ces enjeux dépassent le seul périmètre du ministère de l’Agriculture de la Souveraineté alimentaire et de l’Elevage. Ils interpellent aussi et surtout :

Le Ministère de l’Economie et du Plan pour l’orientation stratégique, l’accompagnement de l’État et la régulation du marché;

Le Ministère de l’Aménagement du territoire et des Collectivités territoriales pour l’accès au foncier rural et la délimitation des zones de terroirs, ;

Le Ministère des Finances et du Budget pour l’ingénierie fiscale, et des subventions à la productivité ;

Le Ministère de l’Industrie et du Commerce pour des mesures d’accompagnement et l’allégement des formalités administratives ;

Le Ministère chargé de la Formation professionnelle pour une formation adéquate des jeunes aux métiers agricoles et enfin ;

Le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique ainsi que le Ministère de la Défense pour la sécurisation des exploitations contre le vol de bétail.

Le succès dépendra de la capacité du Gouvernement à agir en cohérence, à mutualiser les politiques publiques, et à articuler les investissements publics et privés dans une approche territoriale de la souveraineté alimentaire. Le territoire, qui n’est pas uniquement une aire géographique, revêt une dimension intégrée du développement.

Mesdames Messieurs les Ministres,

L’autosuffisance ne se décrète pas, elle se construit. Elle exige une synergie institutionnelle ouverte aux acteurs et une volonté politique ferme pour substituer durablement nos importations par des productions locales compétitives et respectueuses de l’environnement.

Le Sénégal doit choisir entre continuer à importer du lait subventionné ou asseoir une véritable indépendance agricole.

Entre l’autonomie et l’asservissement, il n’y a pas de troisième voie.

Le peuple sénégalais, fier de sa tradition pastorale et agricole, attend de vous des mesures fortes qui donnent à nos campagnes les moyens de nourrir durablement nos villes. Il n’attend pas de nouvelles annonces, il attend des actes.

Nous, les acteurs du secteur – l’ANIPL, le GEPES, les coopératives et les petites unités de production et de transformation laiteries – sommes prêts pour davantage investir, créer des emplois et produire de la croissance endogène.

Encore faut-il que l’État qui ne doit pas agir à la place de l’entreprise, joue enfin son rôle de régulateur et de bouclier et non de passoire.

Dakar, le 3 novembre 2025

Babacar Gaye

Agro-pasteur en herbe

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