L’accession au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko en mars 2024 a été portée par un slogan qui a résonné à travers tout le Sénégal : « Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye ». Cette formule, martelée durant une campagne présidentielle éclair, scellait la promesse d’une unité infaillible au sommet de l’État et incarnait l’espoir d’une rupture systémique profonde. Plus d’un an après, si la destination commune — un Sénégal souverain, juste et prospère — ne fait aucun doute, le chemin pour y parvenir révèle des aspérités et des divergences de vues qui fissurent l’image du tandem monolithique.
Les premiers mois de gouvernance ont en effet laissé transparaître des tensions. En juillet 2025, Ousmane Sonko, lors d’une réunion de son parti, a publiquement critiqué ce qu’il percevait comme une « absence d’autorité » de la part du président Faye. Cette sortie a obligé le Président à réagir quelques jours plus tard pour apaiser le jeu, affirmant n’avoir « aucun conflit » avec son Premier ministre. Plus récemment, lors du grand meeting du 8 novembre 2025, Sonko a de nouveau insisté sur l’unité du duo, tout en reconnaissant une réalité indéniable : « Nous avons cheminé depuis toujours avec nos divergences d’opinions sur certaines choses ». Ces épisodes, loin d’être anecdotiques, révèlent une dynamique complexe où la loyauté affichée peine à masquer des frictions réelles sur la conduite des affaires de l’État.
Au cœur de ces divergences se trouve une différence fondamentale de tempérament. Ousmane Sonko est une personnalité électrique. Son énergie est centrifuge : elle projette vers l’extérieur, agite, mobilise et polarise. Tribun charismatique, il tire sa force de la confrontation directe et du contact fusionnel avec sa base militante. Son approche est celle de la rupture immédiate et de l’action rapide, voyant le pouvoir comme le moteur de la révolution. À l’inverse, Bassirou Diomaye Faye possède un tempérament magnétique. Son énergie est centripète : elle attire vers le centre, rassemble, apaise et unifie. Plus posé, il endosse le costume du chef de l’État avec un sens de l’équilibre et de la diplomatie, privilégiant la stabilité et une transformation graduelle. Pour lui, le pouvoir est avant tout une responsabilité d’arbitrage, le rôle de l’arbitre de la nation. Cette opposition de styles conditionne entièrement la manière dont chacun aborde les défis de la gouvernance.
Ces différences ne sont pas de simples traits de caractère ; elles sont le produit de trajectoires et d’agendas spécifiques. Il est un secret de polichinelle qu’Ousmane Sonko a l’élection présidentielle de 2029 en ligne de mire. Cette ambition légitime le place dans une position où il doit cultiver des acquis politiques tangibles et rapides. Chaque lenteur, chaque compromis, peut être un obstacle à la construction du bilan qu’il devra présenter. Cette urgence politique, propre à son tempérament électrique, se heurte nécessairement au temps long de l’action présidentielle. De plus, la victoire du Pastef s’est construite sur le sacrifice de ses militants, avec 79 personnes tuées et plus de 2 172 citoyens emprisonnés entre 2021 et 2024. Pour Sonko, la réparation de ces exactions est une obligation morale et une condition de sa propre légitimité.
Concrètement, cette divergence de tempéraments se traduit par des approches radicalement différentes. Pour le Sonko électrique, l’urgence absolue est la justice, la reddition des comptes et la purge de l’administration pour libérer les énergies de la rupture. Le dialogue vient après. Pour le Diomaye magnétique, la priorité est au contraire la stabilisation par le dialogue national et les réformes consensuelles, la reddition des comptes devant suivre une démarche progressive pour ne pas déstabiliser l’édifice. Face à l’inertie du « système », Sonko prône la confrontation directe, n’hésitant pas à dénoncer publiquement les blocages et à mobiliser la rue. Diomaye, lui, privilégie la négociation en coulisses et la persuasion pour contourner les résistances sans provoquer de rupture frontale. Même leur communication diffère : meetings de masse et langage direct pour l’un, discours institutionnels et langage diplomatique pour l’autre.
À cela s’ajoute le paradoxe d’une population qui, si elle a plébiscité le changement, résiste parfois aux contraintes qu’il impose. Des initiatives citoyennes lancées dans l’euphorie se sont essoufflées, montrant un décalage entre l’aspiration collective et les comportements individuels. Cet écart constitue un défi majeur pour un gouvernement qui a promis une transformation morale de la société.
Face à cette configuration complexe, la réussite du projet politique du tandem dépend de leur capacité à gérer leurs divergences. La solution la plus viable serait de disposer entre eux d’un médiateur qualifié, une tierce personne respectée et légitime au sein de leur mouvement. Son rôle ne serait pas d’arbitrer, mais de traduire le langage électrique en langage magnétique et vice-versa, de synchroniser les agendas et de désamorcer les conflits. Il serait le garant de la cohésion, permettant de temporiser les impulsions de Sonko sans les étouffer, et de dynamiser la prudence de Diomaye sans créer l’instabilité. Une clarification des rôles, dans le respect de la Constitution, et une communication transparente sur les difficultés sont également indispensables.
Trois scénarios se dessinent : la rupture, qui plongerait le pays dans une crise majeure ; la domination de l’un sur l’autre, créant un déséquilibre dangereux ; ou l’équilibre complémentaire. Ce dernier scénario, le plus souhaitable, verrait le duo transformer ses différences en une force : Diomaye serait le volant et le frein qui assure la stabilité, tandis que Sonko serait le moteur et l’accélérateur qui maintient la pression pour le changement.
L’équation sénégalaise est complexe. Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko sont en phase sur la destination finale, mais ils divergent sur le comment. Cette divergence, incarnée par l’opposition entre un tempérament magnétique et un tempérament électrique, n’est pas une fatalité mais un défi politique majeur. Le slogan « Diomaye moy Sonko » n’est plus une évidence, il est devenu un objectif politique à construire au quotidien, à l’épreuve du pouvoir, pour que la symphonie promise ne se transforme pas en cacophonie.
Abduul Fatah Faal


