Lettre ouverte à Monsieur Baidy AGNE, Président du Conseil National du Patronat (CNP)
Par Talla SYLLA
Président de Jëf Jël / Jàmm ak Naatange
Ancien Candidat à l’élection présidentielle
Objet : L’alternative crédible pour une véritable souveraineté économique.
Monsieur le Président, Cher Baidy AGNE,
C’est avec le plus grand intérêt que j’ai suivi, à distance, les échos de l’ouverture des Assises de l’Entreprise. N’ayant pas eu l’honneur d’y être convié, je choisis cette voie, celle d’une lettre ouverte, pour contribuer à un débat que je juge essentiel pour l’avenir de notre Nation. Car au-delà des murs du King Fahd Palace, c’est bien du futur du Sénégal dont il est question.
Un diagnostic partagé : la fragilité de nos entreprises
Votre allocution, Monsieur le Président, a posé un diagnostic que je partage sans réserve. En utilisant la formule forte « la santé de l’Entreprise est de plus en plus fragile », vous avez pointé avec courage les maux qui freinent notre développement : une pression fiscale qui s’exerce toujours sur les mêmes, un dialogue avec l’administration qui ressemble à un « huit clos », une justice commerciale engorgée bloquant des centaines de milliards, et une dette intérieure dont l’apurement se fait cruellement attendre.
Vous êtes les moteurs de notre économie, mais on vous demande de courir un marathon avec des poids aux chevilles. Ces maux, j’en suis convaincu, ne sont pas une fatalité. Ils sont le symptôme d’un mal plus profond : un manque de vision cohérente et un État qui, au lieu d’être le partenaire stratégique de ses entrepreneurs, se comporte trop souvent en contrôleur suspicieux ou en gestionnaire de l’instant. Face à cela, les discours ne suffisent plus. Il faut une alternative crédible, un projet dont la solidité repose sur une vision constante et éprouvée.
Permettez-moi de rappeler qu’il y a près de vingt ans, lors de l’élection présidentielle de 2007, je présentais aux Sénégalais une « Charte pour une Émergence Économique Solidaire ». Si certains concepts étaient liés à leur époque, les orientations majeures et les principes fondateurs de ce projet n’ont, hélas, jamais été aussi pertinents qu’aujourd’hui.
Principe 1 : Restaurer un « État-Partenaire » juste et efficace
Le premier de ces principes est la restauration d’un « État-Partenaire ». Vous avez cité le Premier Ministre qui en appelle au « respect et à l’efficacité » dans le traitement des entreprises. Dans notre Charte, nous traduisions ces paroles en actes concrets : assainir l’environnement des affaires en simplifiant drastiquement les procédures et en garantissant l’équité fiscale pour tous. Nous proposions de supprimer la contribution forfaitaire à la charge de l’employeur (CFCE) et la patente, non par démagogie, mais pour encourager l’investissement et élargir l’assiette. Car l’État doit cesser de voir l’entreprise comme une simple source de recettes, mais comme le principal levier de la création de richesse nationale.
Principe 2 : Bâtir une croissance souveraine par la valorisation de nos ressources
Le deuxième principe est celui d’une croissance véritablement souveraine, car elle est endogène. Le thème de vos assises – « Croissance Plus, Économie Compétitive, Souveraineté & Emplois Durables » – est au cœur de notre vision. Mais la souveraineté économique ne se décrète pas par une loi ; elle se construit depuis la base. Notre projet insistait déjà sur le fait que l’industrialisation du Sénégal devait s’appuyer sur la transformation de nos immenses potentialités agricoles.
Ce modèle, qui consiste à valoriser nos propres ressources, doit s’appliquer avec la même rigueur à la nouvelle donne énergétique. Aujourd’hui, une nouvelle richesse se présente à nous : le pétrole et le gaz. Mais la véritable souveraineté ne se mesurera pas au nombre de barils extraits, mais à notre capacité à les transformer ici, au Sénégal. Cela signifie bâtir une industrie pétrochimique, produire nos propres engrais pour fertiliser notre agriculture – liant ainsi notre avenir énergétique à notre souveraineté alimentaire – et fournir une énergie compétitive à tout notre tissu industriel. Le piège serait de devenir de simples exportateurs de brut, laissant la valeur ajoutée et les emplois qualifiés se créer ailleurs. L’agro-industrie, le soutien aux PME/PMI rurales, le désenclavement des zones de production… Voilà les fondations d’une économie qui crée des emplois durables sur tout le territoire.
Principe 3 : Sceller un pacte de confiance pour un « mieux-être palpable »
Enfin, le troisième principe est celui d’un pacte de confiance pour garantir un « mieux-être palpable » pour tous. Vous êtes, et vous l’avez rappelé, des acteurs de la paix sociale. Mais cette paix est menacée lorsque la croissance ne profite qu’à une minorité. Notre projet d’« Émergence Économique Solidaire » porte en son cœur cette idée que les fruits de la croissance doivent être équitablement répartis. Cela passe par l’emploi des jeunes, grâce à une formation professionnelle en phase avec vos besoins – et je salue votre engagement pour la formation duale. Cela passe aussi par un État qui assure ses fonctions régaliennes : une éducation de qualité, un accès à la santé et des infrastructures qui servent le développement de tous.
L’alternative est crédible, bâtissons-la ensemble
Monsieur le Président,
L’alternative que nous portons n’est pas une réaction de circonstance. Elle est le fruit d’une longue réflexion et d’une conviction inébranlable : le Sénégal ne se développera que par la libération de l’initiative privée dans un cadre étatique juste, visionnaire et transparent.
Vous ne demandez pas de faveurs. Vous demandez un cadre.
Un cadre où le dialogue public-privé n’est pas une cérémonie annuelle, mais une pratique de gouvernance.
Un cadre où la loi est la même pour tous et où la justice est rapide et efficace.
Un cadre où l’impôt est un acte citoyen et non une sanction.
Ce cadre, nous pouvons et devons le bâtir ensemble. Reprenons votre conclusion : « Ce qui est Bon pour l’Entreprise, est Bon pour le Sénégal ». J’y ajouterai cette condition essentielle : ce qui est bon pour une entreprise sénégalaise qui prospère dans un cadre juste, transparent et équitable, est bon pour l’avenir de toute la Nation sénégalaise.
Espérant que cette contribution trouvera un écho favorable au sein de votre organisation et auprès de tous les acteurs économiques de notre pays, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
Talla SYLLA
Président de Jëf Jël / Jàmm ak Naatange



Talla Sylla, un vrai patriote, un leader qui sait que le Sénégal est au dessus de nous tous.
Merci