Pardon, Maître Clédor Ly Par Adama Gaye*

Xalima
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Xalima
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C’est avec attention que j’ai lu, comme nos compatriotes, le texte, épistolaire, par lequel vous invitez à la vigilance pour éviter que ne s’évapore l’espoir né du combat que des milliers de Sénégalaises et Sénégalais ont mené contre le pouvoir dirigé de 2012 à 2024 par Macky Sall, le plus violent de notre histoire.

Maître, je me permets de vous apostropher ce matin pour marquer grosso-modo, avec emphase, mon accord avec la substance des propos que vous avez si finement ciselés pour nourrir votre cri du coeur.

Vous y rappelez, au bon moment, les sacrifices collectivement consentis par des foules prêtes jusqu’au sacrifice suprême. Dans le seul but de se libérer et de le faire pour un pays alors sous le joug d’un régime ne reculant devant aucune atrocité ni aucun crime. Y compris en semant le sang, la privation de libertés pendant qu’il pillait nos ressources naturelles et financières.

Votre voix porte. Elle est légitime. Crédible. Dense.

Je ne doute pas qu’elle sera entendue. Elle doit l’être. Impérativement. Car ce que vous dites en vaut la chandelle. Et l’heure l’exige. Elle est grave. Lourde de menaces existentielles. Se taire ou verser dans quelque procrastination serait laisser la porte ouverte à la matérialisation des périls qui s’accumulent autour de nous.

Ce n’est donc, en faisant ce rappel, par ici, sombrer dans un nihilisme ni un alarmisme malvenus.

Vous nous dites combien ce qui s’apparente à une belle révolution est en passe de se transformer en un idéal piraté pour avoir laissé se reformer, une fois la victoire acquise, une gangue d’ennemi.e.s. hier défait.e.s, autour de sa marche triomphale pour la dévier, la récupérer et en faire le socle de leur renaissance.

On est sur le point de retourner à la case départ. Et, de divers points de la planète, d’abord au coeur de l’Etat, prétendument reconverti.e.s aux valeurs du pouvoir issu du scrutin présidentiel du 24 mars 2024, mais aussi, peut-on penser, de Paris à Marrakech, Washington et des capitales voisines du Sénégal, monte cette 5ème colonne, ennemies de l’intérieur, déterminée à restaurer l’ordre ancien pourtant vomi et massivement rejeté par la rue et les urnes il y a moins de deux ans.

L’erreur du Pastef arrivé au pouvoir fut, par je-ne-sais quel complexe d’infériorité et d’un soudain refus de la verve qui avait porté son combat, partagé avec d’autres, de se jeter dans les bras des personnes que le pays avait identifiées comme les pires adversaires de ses libertés et droits democratiques. Goebbels de Macky, ils ont retourné leurs vestes pour…servir le nouveau régime !

Soudain, les voici requinquées, bruyantes, donneuses de leçons, promptes à la réplique, sur fond de dénigrements et de diffamations, dans leur vieille logique, qui se sont tellement incrustées dans l’appareil d’Etat et ses émanations qu’elles en sont devenues les porte-voix auto-proclamées.

Nichées à des positions sensibles, relayées dans la société et au sein du pouvoir, voire dans les cercles familiaux des décideurs promus par le nouvel écosystème public, elles sont de plus en plus visibles, en première ligne, audacieuses en diable, qui se déchaînent pour faire taire, dénaturer, la puissance du pouvoir post-alternance de 2024.

Il est vrai que le pouvoir Pastef n’a pas toujours été cohérent à l’exercice de ce mandat que le peuple lui a confié.

Dans un excès de légèreté, il a vite fait de massifier son régime en y accueillant à bras ouverts les transfuges de celui honni auquel leur participation fut des plus remarquées jusqu’à sa chute.

Ce fut une bourde. Pourquoi, oubliant que la défaite de Macky Sall et de ses acolytes n’avait pas été que de son fait, le Pastef s’est-il emmuré dans ses certitudes, visité par un aplomb toute d’arrogance, pour envoyer les signaux qu’attendaient les transhumant.e.s pressé.e.s de l’infiltrer pour le noyauter? Nous y sommes.

C’est ce qui fait que brusquement, sur les plateaux de télévisions, les radios, les journaux et les réseaux sociaux, les voix et plumes qui défendaient le pouvoir de Macky Sall se sont automatiquement transformées, sans transition, en avocat.e.s du nouveau pouvoir. L’absence de clarté dans son positionnement éthique et programmatique a vite servi en appel d’air.

En un mot, ce brouillage, péché originel, n’en a été que plus devastateur.

Dans sa traque aux forces les plus engagées, mouillées, par les extravagances du régime de Macky Sall, elles furent absoutes, pardonnées, blanchies et autorisées à continuer leurs activités comme si de rien n’avait été et à se faire passer pour de légitimes membres de la Pastef-sphère.

Le résultat est là, foudroyant, d’une confusion générale à tel point qu’on ne sait plus qui est qui ni qui a fait quoi….

…Et dans un Sénégal tellement poreux aux commérages, le narratif s’est peu à peu déplacé sur le terrain de la compromission des croisé.e.s du changement.

De ci, de là, on s’est mis à raconter comment telle autorité ou telle autre s’est faite corrompre pour se taire sur des dossiers de détournements de deniers publics.

Les rumeurs sont souvent assassines. Qui voit la griffe de la nouvelle équipe dirigeante derrière le silence sur des questions dignes d’une investigation immédiate aussi bien au building administratif, sur le marché de 120 km2 de terres minières attribuées illégalement à une seule personne dans la riche Faleme, sur le méga-scandale Petrotim, les fonds Covid, les trafics d’armes ou encore dans les soupçons de surfacturations sur de multiples autres marchés publics, du régime passé, si ce n’est, plus récemment, dans l’inflammable dossier d’un projet d’électrification rurale par l’Agence qui en est chargée ou sur la lutte contre les inondations par l’office national de l’assainissement du Sénégal (Onas), pour n’en citer que quelques-exemples. Le silence devient plus indéfendable quant il est question de banaliser les tueries et tortures ayant balafré à jamais l’image d’un éden démocratique que le Sénégal a longtemps revendiqué. Le mal, disons-le, est fait, le ver dans le fruit.

Peu à peu, à la lumiere de ses errements et inaptitudes à produire ce qu’il avait promis aux populations, à savoir leur mieux-être couplé à une relance de la démocratisation par le retour des libertés, le constat s’installe, angoissant, que le nouveau pouvoir est prenable.

Sa réputation est attaquée au point qu’on ne parle plus que de son incompétence, sur fond de sa paralysie par le surcroit d’endettement qu’il a contribué à créer parce que son message, porté surtout par le Premier ministre, a affolé les marchés et poussé au raidissement le Fonds monétaire international (FMI).

Sur la défensive, il en a perdu la capacité à rappeler la part des causes du recul si ce n’est de la stagnation du pays et de l’économie imputables aux pouvoirs passés, depuis l’ère Senghor, qui, les uns à la suite des autres, ont placé le Sénégal dans une trajectoire où sa gestion fut cachottière et sa démocratie à géométrie variable, plus restreinte qu’elargie.

Si les torts sont largement partagés et les réponses actuelles tributaires d’une approche collective drivée par les tenants du pouvoir, ce n’est pas en recyclant les coupables du passé que la résurrection nationale se fera.

Le temps est venu d’un courage et d’une audace pour, suivant Maître Ly, opérer les ruptures qui furent le socle discursif à l’origine de la troisième alternance politique, celle de l’an dernier.

Comment peut-on faire semblant comme si le Sénégal n’avait pas, selon son propos, ”vécu trois interminables années de répression sanglante, d’emprisonnements arbitraires, de tortures, de barbarie et de meurtres”?

Il ne s’agit, dès lors, pas qu’il se laisse manipuler, réduit en marionnette par les vaincu.e.s d’hier, qui tirent les ficelles ayant déjà pris le contrôle des pans essentiels des leviers de commande du pays. Il en est ainsi de la justice à la sécurité, de l’administration à certains secteurs, y compris régaliens du pouvoir exécutif, du patronat aux syndicats, des marchés publics aux milieux d’influence.

Le Pastef n’a pas su s’appuyer sur les forces vives sans lesquelles le régime de Macky Sall ne serait jamais tombé. Était-ce la contrepartie du Pacte secret avec lui?

On ne saurait expliquer autrement pourquoi il a choisi de se lier avec lui et ses comparses dans sa boulimie autocratique, qui restent ainsi ses relais au coeur d’un Etat à sa merci, facile, dès que les circonstances favorables se présenteraient à le culbuter, le déstabiliser.

Je partage, par conséquent, l’avis de Maître Ly qui postule que: « Toute révolution non assumée et qui s’accommode de réformes non systémiques est vouée à un lamentable échec. » Surtout si elle est minée de l’intérieur non seulement par des forces compradore mais par des acteurs nocifs décidés à détruire la crédibilité des personnes qui la portent.

Baudelaire enseigne qu’il faut aller au-delà du connu pour bâtir du nouveau. Et un adage célèbre estime qu’il vaut mieux mourir avec ses idées qu’en faisant la promotion de celles d’autrui.

On peut donc dire sans risque d’être démenti que Pastef et son pouvoir sont à la croisée des chemins.

Alors que, de loin, ses ennemi.e.s détruisent ses efforts, exposent ses faiblesses dans les cercles les plus influents du monde, du Fmi à l’Organisation des nations-unies (Onu), en plus de se promener, presque couvert.e.s d’une immunité qu’il leur a donnée, implicitement ou explicitement, il ne semble pas réaliser que c’est son avenir immédiat qui est en jeu.

À force de jouer avec le feu, de trahir ses engagements, de louvoyer et de se coltiner avec les forces toxiques du passé, en reléguant au second plan, par ingratitude et irresponsabilité, les talents, de la Diaspora à l’hinterland du pays sans compter ceux de la capitale ayant pesé dans la lutte mortelle, sanglante, contre le régime le plus crapuleux de notre histoire, il se retrouve en compagnie au lit avec les pires renégats qui n’attendent que la moindre occasion pour le finir.

En clair, on ne peut pas faire des omelettes sans casser des oeufs.

Le temps est venu de donner un coup de pied dans ce landerneau politique devenu par trop flou. Illisible. Véritable capharnaüm.

Ly a encore raison en affirmant que “le système doit être cassé, le pouvoir pleinement exercé et les commandes confiées à ceux qui avaient donné de leur liberté et de leur sang».

Les calculs et cachotteries ont conduit le Sénégal à la case où il se trouve dans une impasse qui fait rire au-delà de son territoire, en particulier au sein des militant.e.s d’un renversement de régime qui ne se cachent plus.

Le changement révolutionnaire doit se faire pour sauver ce qui doit l’être ici et maintenant.

C’est le préalable à toute entreprise de mise en oeuvre du pouvoir de réaliser ses plans, projets, programmes, infinis, en commençant par son rêve de grandes retrouvailles avec les partenaires techniques et financiers qui piaffent d’impatience aux portes d’un pays dont les malheurs massifs n’ont jusqu’ici paradoxalement pas encore totalement fini son attractivité.

Il est cependant minuit et sans courage le rêve de redonner un espoir à une terre qui le mérite se terminera en cauchemar, par l’échec d’une révolution qui avait démarré, voici 19 mois, sur des chapeaux de roues. Par des flonflons. Gare aux larmes…

Adama Gaye*, auteur d’Otage d’un État (Editions L’Harmattan) est un exilé Sénégalais ayant contribué à la lutte contre le régime de Macky Sall.

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1 Comment
  • C’est vraiment domage pour notre pays. ces deux vieux, au lieu d’etre des sages en pronant la paix, la reconciliation nationale, pour trouver des solutions a la crise economique et financiere voire sociale que nous vivons actuellement, ils se mettent a ajouter de l’huile au feu.Chers compatriotes unissont nous pour sauver notre pays, laissons la politique politicienne’ et apaisons les coeurs et mettons nous au travail.

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