Dakar le 9 Novembre 2025
Le “tera meeting” d’hier m’a laissé cette impression étrange d’un théâtre où les projecteurs oublient parfois l’acteur central pour éclairer les figurants.
J’avais préparé ma grille de lecture avec des mots à préfixe CON. Mais, soudain me vint l’idée de partir de l’œuvre de Rabelais où Pantagruel, connu pour être un personnage exubérant, rusé, paillard, hâbleur, instable et avide de facéties, prépare un coup fatal à Dindenault sur le pont d’un navire chargé de moutons.
Et naquit l’idée de Panurge et les moutons engloutis dans les abysses d’un long après-midi d’un spectacle marqué par un succulent supplément : des tirs mal ajustés, une parade de rancunes et de frustrations mal contenues, et surtout une présence absente, lourde comme un meuble d’antiquaire invendu que l’on sort à chaque marché aux puces.
Panurge n’a pas esquivé les attaques, il les a convoquées.
Abdourahmane Diouf, d’abord. Cette fois, il n’a pas eu droit à la congélation polie qu’on réserve habituellement aux ex-alliés, de surcroît toujours membre de son Gouvernement. Non, il l’a exposé méthodiquement, comme un professeur montrant à sa classe comment ne pas faire de politique. L’homme est devenu un cas d’école,qui voulait être indispensable et qui finit congédié avant même d’avoir existé dans le dispositif.
Sa critique a été sèche, presque chirurgicale. On aurait dit une dissection sans anesthésie, destinée à rappeler au troupeau que le projet n’a pas de place pour les ambitions congloutonnes. Seulement, on ne mute pas un ministre coupable de surfacturations ; on le limoge et appelle la haute cour de justice à la rescousse.
Puis vient Mimi Touré, l’ancienne égérie de l’APR. Ici, le démiurge n’a pas seulement répondu à une adversaire. Il a réglé une équation personnelle. Mimi la combattante, Mimi la dissidente, Mimi l’insoumise à géométrie variable. Elle est devenue sous sa plume orale une conglomération de revirements, un répertoire ambulant de contradictions, presque congénitales. Elle devient subitement la prévaricatrice désignée dans un rapport de l’IGE que le Président aurait continué à cacher. La réplique sur scène est si drôle que les muscles labiaux d’un public qui avaient de la peine à exprimer des émotions, par atrophie.
Le meeting a servi d’arène où Panurge, d’un ton aussi froid que précis, a renvoyé l’amie de Diomaye à ses volte-faces, comme on replie une carte politique devenue illisible. On attend avec impatience les répliques de ces acteurs à l’ombre des coulisses.
Pour le reste, le chevillard indélicat est allé chercher au fond du congélateur un morceau de glace. Il a contenu ses ardeurs révolutionnaires, contenu ses promesses, contenu ses menaces de démission si le Président sans autorité ne le laissait pas gouverner.
Mais ce contrôle apparent a surtout révélé une congestion intérieure : celle d’un homme qui découvre que gouverner, c’est moins briser les murs que s’y appuyer pour ne pas tomber.
Ce meeting avait aussi un invité silencieux, et pourtant omniprésent : Macky Sall.
Son nom n’a pas fait trembler l’air, mais sa silhouette a traversé chaque phrase, et caressé les toisons d’or des moutons prêts à la tonte habituelle.
Avec une peur bleue de l’hôte de Mohamed VI, c’est toujours pareil: il dit ne pas parler de Macky, mais il converse avec son l’ombre. Le passé récent du pays reste une arrière-scène qui refuse de s’éteindre tant que les portes du Palais lui seront restées fermées par le rabat d’arrêt d’une Cour suprême qui échappe encore à son contrôle.
Le meeting était un long congédiement de l’ancien régime qui continue de le traumatiser, mais sans catharsis, sans rupture, presque sans conviction.
Macky Sall a quitté le pouvoir, mais reste dans la narration. C’est l’absent qui hante le scénario, le conglomérat symbolique de tout ce que l’actuel pouvoir voudrait dépasser mais ne parvient pas à oublier.
Sur l’économie, la dette, l’inflation, les épidémies, les inondations, le chômage, les valises du FMI, rien. Un silence de cathédrale compact, presque une congerie de non-dits.
Le pays étouffe, mais le discours ventile une rhétorique surannée.
On parle d’adversaires, de fidélités, de trahisons. On se perd dans les chapitres de “SOLUTIONS”, le mythique ouvrage des illusions.
C’est là que j’ai senti le vrai vertige : le gouvernement avance à reculons dans un congélateur idéologique, tandis que les ménages affrontent la chaleur de l’économie réelle.
Ce que j’ai vu, mon cher Karl, c’est un Panurge qui parle pour tromper le cupide Dindenault qui ne sait pas qu’il ne pouvait plus maintenir le conglomérat de moutons en équilibre dans un bateau ivre, secoué par des remous d’une mer en furie. Seuls les flots rugissants étaient la direction du beau bélier qui servira de guide au reste du bétail.
Mon cher Karl, j’ai lu à travers quelques capsules servies par la presse pastefienne, un discours où Ass et Mimi servent d’épouvantails et de punching ball, où Macky flotte comme un spectre non exorcisé, où le troupeau applaudit et s’extasie sans savoir que son destin est la noyade.
Certes, il y avait du nombre et de la ferveur. Eh oui ! Mais pas de cap, sauf la longue nuit qui attendait les convois sur les routes cahoteuses du retour au bercail, en attendant le grand déluge.
Voilà donc ma lecture: un discours congestionné qui congédie des alliés devenus lucides et encombrants, mais qui ne configure aucun avenir.
En cette matinée nuageuse de novembre, je t’écris depuis mon balcon de Dakar où l’on confond souvent clameur et la clarté dans un contexte où la Météo annonce des semaines chaudes et humides à cause du dérèglement climatique.
Toi, depuis Berlin, certainement blotti dans un coin de la brasserie de nos habitudes, tu entendras sûrement ces dissonances dans la grisaille de l’hiver qui pose déjà ses baluchons.
C’est la valse des saisons qui, hélas, accompagne la valse des convictions.
Auf Wiedersehen mein sehr lieber freund.
Saa Balaŋaar
Babacar Gaye


