Je parle aujourd’hui avec le cœur lourd, mais avec le devoir de vérité. Ce que la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) fait à Richard Toll depuis plus de 50 ans est bien plus qu’une exploitation industrielle : c’est une colonisation économique déguisée. Et voir le Président de la République se rendre sur place pour en faire l’éloge, c’est comme applaudir son propre peuple asphyxié.
Créée en 1970 par le groupe Mimran, la CSS s’est accaparée plus de 12 000 hectares de terres irriguées, situées au cœur du territoire sénégalais. Chaque année, elle pompe plus de 30 millions de mètres cubes d’eau dans le Lac de Guiers, une ressource stratégique censée alimenter en eau potable plusieurs villes du pays, dont Dakar. Pendant ce temps, des villages entiers autour du lac peinent à trouver de quoi boire ou irriguer leurs champs. C’est une injustice pure.
On nous vante les 140 000 tonnes de sucre produites par an, mais on oublie les 7000 hectares de champs brûlés chaque saison, qui empoisonnent l’air, les sols, et les poumons des populations environnantes. À chaque campagne, Richard Toll est enveloppé d’un nuage noir : les cendres de la canne calcinée se déposent sur les maisons, les marchés, les écoles. Les enfants toussent, les anciens s’étouffent, et personne ne répond.
Et que dire des milliers de travailleurs saisonniers, ces jeunes venus du Fouta, de la Casamance , du Sénégal orientale ou du Sine, qui coupent la canne sous un soleil de plomb pour moins de 3500 FCFA par jour ? Sans contrat. Sans sécurité. Sans assurance. Chaque année, ils arrivent par centaines, souvent blessés, parfois tués, puis jetés une fois la récolte terminée. Des esclaves modernes dans un système bien huilé qui ne reconnaît ni leur nom, ni leur droit à la dignité.
À côté des champs, l’usine d’alcool installée par la CSS dégage des vapeurs insupportables. Les habitants dénoncent, s’inquiètent, tombent malades. Mais le silence règne. Les autorités détournent le regard. Et pendant que les malades se multiplient, les profits, eux, ne cessent d’augmenter. Le sucre raffiné à Richard Toll nourrit les actionnaires, mais il empoisonne le peuple.
Et nous posons cette question que tout le monde évite : pourquoi, depuis plus de 50 ans, une seule entreprise a-t-elle le monopole de la production et de la transformation de la canne à sucre au Sénégal ? Pourquoi aucun groupement d’agriculteurs sénégalais n’a accès à cette filière ? Pourquoi aucun plan de filière nationale, aucun modèle coopératif, aucun encadrement foncier digne de ce nom n’a jamais été mis en place ?
Ce n’est pas un partenariat gagnant-gagnant. C’est une mise sous tutelle économique d’une région entière, avec la bénédiction de l’État. Pendant que les profits sont transférés en Suisse ou en France, les terres sont dépossédées, les nappes phréatiques sont surexploitées, et la jeunesse est condamnée à la précarité.
Il est temps d’ouvrir les yeux. La CSS n’est pas un fleuron national, c’est un miroir brisé de notre modèle de développement. Elle concentre tous les symptômes du mal sénégalais : accaparement foncier, insécurité sociale, destruction environnementale, impunité des puissants, silence des autorités.
• Nous demandons, avec fermeté et sans détour, une renégociation immédiate du contrat entre l’État et la CSS.
• Nous exigeons un audit indépendant sur les impacts sociaux, environnementaux et sanitaires de cette entreprise.
• Nous appelons à la fin du monopole, à la protection des droits des travailleurs, et à une gestion équitable de nos ressources naturelles, à commencer par le Lac de Guiers.
Ce n’est plus une question politique. C’est une question de vie ou de mort.
Assez de sucre. Il est temps de briser l’amertume. Pour Richard Toll. Pour le Sénégal. Pour notre dignité.
Bara Gueye
Ingénieur Agronome
Président du Front National pour la Patrie et la Souveraineté (FNPS)