Spiritualité, érudition et vision politique : retour sur le parcours d’une figure centrale de l’islam ouest-africain.
Né aux confins du fleuve Sénégal dans un contexte colonial naissant, El Hadji Malick Sy s’imposa par son savoir, son humilité et son action. De la Mauritanie à la Mecque, de Saint-Louis à Tivaouane, son itinéraire fut celui d’un érudit en quête de savoir autant que d’un maître soufi bâtisseur de communautés.
Une naissance marquée par l’absence
Fils du marabout Sidy Ousmane Sy et de Sokhna Fatoumata Wade dite Wele, El Hadji Malick Sy voit le jour vers 1855 à Gaé (Gaaya en wolof), aux abords du fleuve Sénégal. Son père, décédé avant même sa naissance, laisse à sa veuve une bibliothèque et des recommandations strictes pour l’éducation de l’enfant à naître. En hommage à un maître local, Thierno Malick Sow, l’enfant porte son prénom.
C’est sa mère, réputée pieuse et généreuse, accompagnée de l’oncle maternel Alpha Mayoro Wele, qui prend en main l’éducation religieuse du futur érudit. Très jeune, Malick Sy mémorise le Coran et entame une formation rigoureuse dans les sciences islamiques, parcourant pendant plus de deux décennies le Djolof, le Fouta, le Waalo, puis la Mauritanie à la recherche du savoir.
Une érudition construite sur vingt-cinq années de quête
Son itinérance le mène à l’école de grands maîtres comme Mamadou Top à Podor, Abdou Biteye dans le Fouta, ou encore des érudits de Louga et Saint-Louis. Il y étudie les disciplines religieuses (fiqh, tafsir, hadith) mais aussi les sciences profanes comme les mathématiques, l’astronomie ou la prosodie arabe.
En 1888, il effectue le pèlerinage à La Mecque, d’où il revient avec le titre de calife de la Tijaniyya pour le Sénégal, rattaché à la branche fondée par Ahmed Tijani au Maghreb. Ce titre sacre son autorité religieuse et renforce sa légitimité dans l’espace confrérique en pleine expansion.
De Saint-Louis à Tivaouane : la construction d’un bastion confrérique
Après des séjours à Saint-Louis, Louga, puis Pire, c’est à Tivaouane qu’il s’installe en 1902. Ce choix, soutenu par son beau-père Mor Massamba Diery Dieng et par le notable Djibril Guèye, transforme profondément le paysage religieux du Sénégal.
À Tivaouane, El Hadji Malick Sy crée des daaras (écoles coraniques), construit des mosquées, et initie un enseignement structuré du soufisme. Il y fonde une communauté soudée autour de l’éthique soufie et du respect de la charia, attirant des fidèles venus de tout le pays.
Il promeut une approche inclusive de l’enseignement religieux, non élitiste, tournée vers l’élévation spirituelle des masses urbaines et rurales, loin des postures dogmatiques. Il conserve une posture discrète mais ferme face à l’administration coloniale, préférant l’éducation à la confrontation.
Le Gamou de Tivaouane : un legs spirituel majeur
Sous son impulsion, la célébration du Maouloud (naissance du Prophète Muhammad), appelée Gamou au Sénégal, devient une institution majeure. Célébrée avec faste à Tivaouane chaque année, elle attire aujourd’hui des centaines de milliers de fidèles.
Dans ses écrits, tels que Qilâsu Zahab (l’or décanté) ou Ifhâm al munkir al-jâni, Malick Sy témoigne d’une rigueur intellectuelle exceptionnelle. Son style est marqué par la clarté, l’accessibilité et la profondeur spirituelle. Il cherche avant tout à réconcilier érudition, foi populaire et universalisme islamique.
Une dynastie spirituelle prolongée par ses descendants
À sa mort le 27 juin 1922 à Tivaouane, la direction de la tariqa est transmise à son fils Seydi Ababacar Sy, puis à d’autres figures emblématiques de la dynastie Sy, tels qu’El Hadji Mansour Sy, Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh, Serigne Mansour Sy Borom Daradji, et plus récemment Serigne Babacar Sy ibn Mansour, l’actuel khalife général.
Sous leur conduite, la Tijaniyya s’est affirmée comme la première confrérie soufie du Sénégal, structurant le rapport à la religion de millions de fidèles, du Sénégal à la diaspora.
Mémoire vivante et ancrage urbain
Aujourd’hui encore, le mausolée de Tivaouane est un lieu de pèlerinage prisé, particulièrement pendant le Gamou. À Dakar, l’avenue Malick Sy, grande artère reliant Médina au Plateau, porte son nom. À Thiès, un lycée éponyme rappelle l’importance éducative de son héritage.