De Dean Acheson, Georges Kennan, Georges McBundy, Bill Rogers, Henry Kissinger, Brent Scowcroft, Georges Schultz, Jim Baker, Condi Rice, Warren Christopher, Lawrence Eagleburger, Zbigniew Brezezinski, Madeleine Albright, John Bolton, Bill Richardson, la liste des grands acteurs de la diplomatie américaine est longue.
Avant, elle était fondée sur le grand jeu. L’échiquier. L’Amérique misait sur de grandes stratégies conceptuelles, comme l’endiguement du communisme, le réalisme cher à Hans Morgenthau, la projection du pouvoir par le Rim-land, l’eurasia, les océans et au moyen d’une diplomatie alternant la canonnière, les navettes diplomatiques, l’utilisation des sanctions au nom des droits humains ou encore la répartition de sphères d’influences du temps des grandes rivalités idéologiques de la guerre froide.
Aujourd’hui, face à la perspective, alternative, d’un duopole ou d’un duel entre elle et la Chine, la politique étrangère américaine se devra de revisiter, pour la moderniser, la théorie de la carotte et du bâton que le Président Harry Truman mit en œuvre envers les interlocuteurs de son pays.
C’est à cette aune qu’il convient de lire la nouvelle offensive de charme de Washington vers l’Afrique. Qui se traduit par l’accord de paix, qu’elle a parrainé, entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, voici deux semaines, et par l’invitation qu’elle vient d’adresser à 5 pays africains autour d’une rencontre avec Donald Trump, hier pourfendeur de ce qu’il avait qualifié de pays de m.rde, et, aujourd’hui gourmand démarcheur, en vue de nouer des deals, en bon commerçant, avec un continent soudain revenu en grâce à ses yeux.
On a commencé à épiloguer sur le pourquoi des pays choisis mais on peut aisément y détecter une ambition de lutter contre la drogue (Bissau), une lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme musulman (Mauritanie), un endiguement de la Chine (Sonko, le Chinetok, opposé à Diomaye, le sage, compatible à l’Occident), la drague aux africains-américains via le clin d’oeil au Liberia pays fondé pour accueillir leurs ancêtres, et l’affirmation de l’intérêt porté par l’Amérique sur les ressources minéralières du Gabon, celles de l’Afrique centrale et du Golfe de Guinée jusqu’à la façade Occidentale de l’Atlantique qui va jusqu’à Nouakchott. Minerais rares ou critiques, ressources enfouies dans l’or bleu, c’est-à-dire les eaux qui bordent cette région et souci de contrecarrer la Chine en Afrique, les balises de la diplomatie américaine expriment une volonté de puissance impériale brutale.
L’Afrique fut longtemps marginale dans la relation de l’Amérique au reste du monde. À peine 900 millions de dollars lui furent consacrés comme des miettes sous forme d’aide au développement principalement militarisée. Ayant choisi de la soustraiter aux institutions de Bretton-Woods et aux anciennes puissances coloniales, elle ne s’en était vraiment intéressée que pour donner des gages au 13 pourcents de sa population d’origine africaine devenus des électeurs !
Avec la suppression de son agence d’aide au développement (Usaid), la fermeture de ses frontières à beaucoup de pays africains, appliquant la stratégie du bâton, l’Amérique dit à l’Afrique que sa politique étrangère alternera entre isolationnisme et internationalisme comme l’attestent ces mesures de fermeté et cette carotte tendue au continent africain, à travers les 5 chefs d’Etat qui seront reçus du 9 au 11 juillet à la Maison Blanche.
Nous sommes de retour à l’idéologisation de la diplomatie américaine. Exit les théories du soft-power, dont l’inventeur, Joseph Nye, est décédé voici moins de 3 mois. Le temps de l’Amérique d’abord, celui de l’intérêt national, est à l’ordre du jour. Ce n’est pas hasard que les dogmatiques, ultra-conservateurs, de la Fondation Héritage, qui ont conçu le Projet 2025, en des termes sans concessions ni générosité sont à la manœuvre. Qui contrôle, depuis l’Etat profond et ses émanations principales, de la Cia au Pentagone, du Fbi au Trésor, du Département d’Etat à la National Security, le coeur d’un pouvoir Trumpien dont les frasques, outrancièrement gauches et brouillonnes à première vue, cachent mal la détermination à se maintenir au pinacle de la puissance mondiale.
C’est dire que les dirigeants africains qui fouleront le tapis du bureau ovale de la présidence américaine doivent s’attendre non pas à une partie de plaisir mais à un rendez-vous qui requiert une sérieuse préparation.
Le consensus est au cœur de la politique aux États-Unis quand il s’agit de défendre l’intérêt national en politique étrangère. “Les divergences politiques s’arrêtent aux bordures des eaux de l’Atlantique et du Pacifique qui entourent l’Amérique”, a d’ailleurs dit le Sénateur Arthur Vanenberg
Il suffit de demander au Mexique dont un dirigeant a pu se plaindre du fait que son pays “soit si loin de Dieu et si proche des États-Unis” qui l’ont dépossédé de larges territoires ou d’interroger le Canada que Trump dit vouloir absorber dans l’entité fédérale ou même au Groenland qu’il ne se cache pas de viser.
Si ces 3 territoires qui lui sont physiquement contigus sentent son imperium, qu’aucun autre pays ne s’imagine en rapport festif avec ce pays aux ambitions insatiables de pouvoir.
Adama Gaye*, diplômé de politique étrangère américaine, école de politique publique de l’université du Maryland, College Park, Usa.