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Pourquoi faut supprimer le second tour? Par Moubarack LO

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Dans moins de deux ans, les électeurs sénégalais seront de nouveau appelés aux urnes pour élire un nouveau Chef de l’Etat. Le président Wade ayant déclaré, prématurément, sa candidature, les candidats potentiels affûtent leurs armes, en attendant de connaître les règles du jeu et d’identifier les acteurs qui seront en course.

Pour le camp présidentiel, le choix du candidat est déjà connu, même si l’avenir peut réserver des surprises ; le président Wade pouvant décider, in fine, de laisser le champ libre à un poulain qu’il aurait choisi, arguant par exemple de son âge avancé (86 ans en 2012) qui l’empêcherait de gouverner comme il se doit le pays et d’accélérer sa marche vers l’émergence économique, sociale et citoyenne.

Dans ce même camp, les choix stratégiques sont également laissés à l’appréciation de M. Wade qui peut user des moyens que lui confère le Pouvoir pour renforcer ses chances de succès : révision de la Constitution, attraction de porteurs de voix à travers des incitations de nature diverse., etc. Pour l’Opposition, regroupée dans le bloc « Benno Siguil Sénégal », trois points demeurent des sources d’interrogation : la désignation d’un seul ou de plusieurs candidats du bloc, la nature du scrutin et les alliances à bâtir en cas de deuxième tour.

Les ténors du « Benno » soupçonnent d’ores et déjà le cas présidentiel de penser, discrètement, à une modification du mode de scrutin pour choisir un système d’élection présidentielle à un seul tour, comme c’est le cas au Gabon où le président Ali Bongo a pu succéder à son père et accéder à la magistrature suprême avec un score de seulement 41% des voix. M. Wade éviterait ainsi de vivre l’amère expérience de son prédécesseur, le président Abdou Diouf, vaincu notamment, en 2000, par le regroupement des partisans des candidats Wade et Niasse.

Et, le « Benno » a, a priori, raison de s’opposer, à l’avance, au choix d’un système à un seul tour, car, en tant que président sortant, M. Wade aura forcément un potentiel électoral d’au moins 35 à 40%. Et, il lui suffira que les autres voix s’éparpillent entre plusieurs candidats pour qu’il soit facilement réélu. Malgré tout, plusieurs faits me conduisant à penser que le Sénégal gagne à ce que la Présidentielle de 2012 soit organisée en un seul tour de scrutin. C’est ce que j’appelle un optimum de second rang (1), considérant les handicaps multiples qu’apporterait le maintien d’un second tour.

D’abord, le choix d’un tour unique aura pour effet de réduire le nombre de candidats présidentiels (qui pourrait, si rien n’est fait, atteindre 30 voire plus) et de rendre ainsi vaines les options des candidats qui se présentent uniquement pour pouvoir négocier entre les deux tours et de marchander (en argent et en postes ministériels ou électifs) leur soutien. Le yoyo de Djibo Kâ, lors de l’élection de 2000, entre les candidats Wade et Diouf, est resté dans les mémoires comme un exemple typique de ce que le mode de scrutin à deux tours peut produire de mauvais.

Et, rien ne garantit que cette expérience ne puisse se reproduire ; plusieurs hommes politiques sénégalais, ayant aujourd’hui tendance à mettre davantage en avant leurs intérêts immédiats plutôt que leurs convictions, donnant ainsi à la politique les allures d’un marché où l’on peut faire de belles affaires et gagner sa vie. Il s’y ajoute que le candidat arrivé troisième (surtout s’il a un score important) pourra, en cas de second tour, mettre la barre très haute et exiger par exemple le poste de premier ministre sur lequel les alliés du premier tour s’étaient déjà entendus.

Arrivée au Pouvoir, la nouvelle alliance, rapidement construite entre les deux tours, pourrait facilement éclater pour des raisons liées notamment à des divergences programmatiques. Aujourd’hui, ce scénario est loin d’être une pure fiction si l’on considère les relations assez complexes qui peuvent lier le Front Siguil Sénégal originel et les nouveaux venus de l’APR de Maky Sall et des autres petits partis. La rupture cavalière entre Wade et ses alliés qui l’ont fait gagner en 2000, alors qu’il pensait peut être à une retraite politique anticipée avant 2000, en est un parfait symbole.

Le second élément qui rend le choix du premier tour pertinent, dans les circonstances actuelles du Sénégal, c’est le risque élevé de tensions politico-sociales qui pourrait naître d’un second tour. En mars 2000, Abdou Diouf ne pensait certainement pas pouvoir perdre l’élection, ayant seulement besoin de 9 points pour franchir la barre de 50%. En tant que démocrate, il a, malgré tout, accepté le verdict des urnes et félicité son challenger dès le lendemain du second tour. En 2012, Abdoulaye Wade, si d’aventure les électeurs le renvoyaient au second tour, ferait tout pour ne pas vivre la même expérience que Diouf. Et, il a démontré, en dix ans d’exercice du Pouvoir, qu’il savait mettre les moyens au service de ses fins, y compris, en titillant parfois la légalité.

S’il arrivait qu’il gagne le second tour, les opposants pourraient contester, plus bruyamment encore qu’en 2007, son élection, faisant peser de potentielles menaces sur la stabilité du pays et sur sa gouvernabilité. Cette hypothèse serait écartée en cas d’une élection à un seul tour, l’Opposition acceptant plus aisément une victoire du président sortant (même en doutant de sa légitimité) et ce dernier ne découvrant son éventuelle défaite que bien trop tard (comme ce fut le cas en mars 2009 lors des élections locales) (2).

Le troisième et dernier élément qui pourrait faciliter un large consensus politique sur la pertinence d’une élection présidentielle à un seul tour, c’est le fait que le bloc « Benno Siguil Sénégal » a, aujourd’hui autant de chances que le président sortant à arriver en tête au premier tour=. Sa belle victoire acquise aux Locales de 2009 et la large sympathie dont il continue de bénéficier auprès des populations sont là pour prouver à merveille que l’esprit « Benno » peut être porteur de succès. Et, dans les faits, l’on peut postuler que si le camp de Wade détient une vraie prime du sortant (qui rend fort alléchante l’élection à un seul tour pour ce camp), le « Benno » possède la dynamique avec lui, s’il sait s’unir autour de l’essentiel et s’entendre sur une solution de gestion du Pouvoir sous forme de paquet.

L’option d’un tour unique de scrutin aurait pour conséquence de rendre inéluctable ce regroupement, tandis que le maintien de deux tours de scrutin rendrait un peu plus délicate l’entente sur un seul candidat du bloc, chaque sous-groupe pouvant défendre que son candidat possède les meilleures chances et que la fusion pourrait se faire au second tour. Cependant, les différentes parties prenantes n’accepteraient de s’aligner devant le candidat unique du « Benno » que si cette candidature est construite autour d’un paquet de solutions dans lequel tous se reconnaissent et chacun trouve son compte.

Par Moubarack LO Ancien élève de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris Président de l’Institut Emergence Email : [email protected]

Notes :

(1) En économie, l’optimum de second rang définit la meilleure solution disponible lorsque l’optimum de premier rang (préférable dans l’absolu) est inatteignable. S’agissant de l’élection présidentielle, l’optimum de premier rang consisterait à conserver les deux tours et de consolider ainsi les principes de la Démocratie. Toutefois, le second tour pourrait générer des risques pour le bon fonctionnement de notre République encore en construction. Ce qui est bon pour la Démocratie ne l’est donc pas forcément pour la stabilité et pour l’épanouissement de notre bien commun qu’est la République. C’est pourquoi, la solution d’un tour unique (optimum de second rang) est proposée, en ayant comme but central l’intérêt général des citoyens et le développement accéléré et intégral du Sénégal.

(2) L’absence de sondages politiques fiables rend flou la prévision des résultats des élections.

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