Dans les laboratoires de l’Iressef à Diamniadio, des chercheurs sénégalais sont parvenus à décrypter l’intégralité du génome de Mycobacterium tuberculosis, agent responsable de la tuberculose. Une avancée scientifique inédite dans le pays, porteuse de promesses pour la médecine personnalisée.
C’est un bâtiment discret, posé à quelques kilomètres de Dakar, à Diamniadio. Derrière ses murs, loin du tumulte, une équipe de scientifiques en blouses blanches affronte, silencieusement, certains des ennemis les plus coriaces de la santé publique. L’Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef), sous la direction du Pr Souleymane Mboup, vient d’y accomplir une prouesse scientifique : le séquençage complet du génome du complexe Mycobacterium tuberculosis. Une première dans l’histoire de la recherche médicale sénégalaise.
Cet exploit est le fruit d’un travail de haute précision mené dans le cadre de l’enquête nationale de pharmaco-résistance de 2023, en partenariat avec le Programme national de lutte contre la tuberculose (PNT). Au cœur du processus : la plateforme génomique de l’institut, dirigée par le Dr Abdou Padane.
« Il n’y avait jusque-là aucun séquençage complet de la tuberculose réalisé au Sénégal. C’était un véritable défi scientifique que nous voulions relever, mais aussi une réponse à un problème de santé publique majeur », explique le Dr Seyni Ndiaye, biologiste au sein de l’équipe.
Un tournant dans la prise en charge médicale
Grâce à ce séquençage, les chercheurs peuvent désormais identifier les mutations génétiques des souches de la tuberculose circulant au Sénégal. Une révolution en matière de traitement. En effet, la tuberculose peut présenter des formes résistantes à plusieurs médicaments. Pouvoir distinguer les mutations spécifiques permet d’adapter les thérapies et d’éviter les traitements inefficaces.
« Si l’on connaît les espèces bactériennes en cause et leurs mutations, on peut déterminer les antibiotiques qui seront efficaces. Cela change radicalement la manière de soigner les patients », précise encore Dr Ndiaye.
Des machines à la pointe de la technologie
L’Iressef n’a pas lésiné sur les moyens techniques. De génération en génération, les séquenceurs — ces machines capables de lire le code génétique — ont été perfectionnés. Aujourd’hui, l’institut dispose d’équipements de troisième génération, utilisés par une équipe de jeunes scientifiques spécialement formés. Des bras robotisés assistent les chercheurs, tandis que les données génétiques sont scrutées sur des écrans, analysées, validées, puis transmises aux cliniciens.
« Ce n’est pas seulement un outil de diagnostic. Ce que nous faisons ici a un impact direct sur les décisions thérapeutiques. Le médecin saura précisément si la souche est résistante ou non, et pourra ajuster son traitement en conséquence », résume Dr Padane.
Une arme contre un fléau persistant
Longtemps négligée, la tuberculose continue de faire des ravages dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne. Selon l’OMS, malgré les progrès, le continent reste fortement touché par la maladie, notamment dans ses formes les plus résistantes. Le travail de l’Iressef s’inscrit donc dans une stratégie globale de renforcement des capacités de diagnostic et de prévention, dans un contexte où l’accès aux soins reste inégal.
« Ce séquençage n’est pas une fin en soi. Il ouvre une ère nouvelle dans la surveillance épidémiologique, la médecine de précision et l’amélioration du pronostic des patients atteints de tuberculose », conclut Mamadou Ndao, membre de l’équipe.
Cette avancée constitue aussi un jalon symbolique dans l’ambition sénégalaise d’ancrer une recherche biomédicale de haut niveau sur le continent. Pour les chercheurs de Diamniadio, la science ne s’arrête pas aux frontières : elle les traverse, les décrypte — molécule après molécule.