Barthélémy Dias face au droit administratif : malentendus et enjeux politiques

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Nous suivons avec un intérêt particulier le développement de l’affaire relative à la Ville de Dakar.
Dès le départ, nous avions dénoncé la légèreté du constat de « démission » dressé par le Préfet et encouragé le maire Barthélémy Dias à emprunter la voie contentieuse.

Il est important de rappeler que ce dernier a introduit un recours devant la Cour d’appel, conformément aux dispositions de l’article L277 du Code électoral. Ce recours ayant été rejeté le 31 Décembre 2024, il a introduit un recours pour excès de pouvoir devant la Cour Suprême contre la décision n° 3925/P/D/DK/AP qui le démet de son mandat de conseiller municipal. Par ricochet, il perd de facto son mandat de Maire de la Ville. Un maire intérimaire a dès lors été installé et a présidé la session ordinaire du 19 Décembre.

* Sur la démission en tant que conseiller municipal

La décision du Préfet de Dakar en date du 12 décembre 2024, portant notification à Barthélémy Dias de sa démission de son mandat de conseiller municipal, a suscité de vives réactions politiques et partisanes.

Pour mémoire, la révocation d’un maire est une prérogative exclusive du Président de la République, en vertu de l’article 135 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Pourquoi alors le pouvoir central a-t-il préféré démettre le conseiller municipal plutôt que de radier directement le maire ?

En réalité, le Préfet a fait un usage extensif de l’article L277 du Code électoral, ce qui est à l’origine de toute la polémique actuelle. Nous restons attentifs à la décision de la Chambre administrative de la Cour suprême, qui devra prochainement se prononcer.

* Sur la convocation du conseil municipal du 25 août

La Constitution du Sénégal, en son article 102, garantit aux collectivités territoriales le principe de libre administration. Mais ce principe se heurte à une tutelle encore très présente exercée par le représentant de l’État.

En cas de vacance du maire, l’article 137 du CGCT prévoit qu’« à la session ordinaire suivante, il est procédé au remplacement du maire définitivement empêché ». En parallèle, l’article 144 du même texte dispose : « Le conseil municipal se réunit en session ordinaire une (01) fois par trimestre. Pendant les sessions ordinaires, le conseil municipal peut traiter de toutes les matières qui entrent dans ses attributions ».

La combinaison de ces dispositions révèle clairement l’absence de volonté du conseil municipal de procéder au remplacement du maire, alors que trois trimestres se sont écoulés depuis la vacance du poste.

De plus, le recours introduit par l’ancien édile ne constitue pas un recours à effet suspensif, conformément à l’article 74-2 de la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 (modifiée par la loi organique n°2022-16 du 23 mai 2022). Dès lors, la décision du Préfet bénéficie du privilège du préalable, principe fondamental en droit administratif qui confère aux actes administratifs un caractère exécutoire immédiat.

Ni le Préfet, ni le conseil municipal ne sont donc liés, pour l’instant, par le recours introduit à la Cour suprême. Le remplacement aurait dû intervenir dès la session ordinaire du premier trimestre 2025.

Toutefois, si la Cour suprême venait à annuler la décision du Préfet, cette dernière serait réputée n’avoir jamais existé et Barthélémy Dias recouvrerait pleinement ses droits de maire de Dakar, quelle que soit l’issue de l’élection.

* Sur le communiqué de Barthélémy Dias du 19 août

Nous avons été surpris par le communiqué publié par Barthélémy Dias, fustigeant la convocation du conseil municipal. Ce texte comportait plusieurs erreurs notables : invention d’un « principe de présomption de légalité des mandats électifs », mauvaise reprise de l’article 102 de la Constitution et création fictive d’une disposition « L270 du CGCT ».

De telles légèretés discréditent la rigueur du combat juridique et peuvent être perçues comme une tentative de manipulation de l’opinion publique. Nos responsables politiques doivent faire preuve de plus de sérieux dans leurs prises de position, surtout lorsqu’ils aspirent à diriger le peuple.

* Sur la requête aux fins de sursis à exécution

Le sursis à exécution des actes administratifs a longtemps constitué un instrument essentiel pour tempérer le privilège du préalable, ce principe cardinal du droit administratif selon lequel tout acte administratif est immédiatement exécutoire tant qu’il n’est pas annulé par le juge.

Concrètement, il consistait pour un justiciable à introduire un recours principal contre l’acte contesté, puis à solliciter, en parallèle, le sursis à exécution de cet acte. Ce mécanisme permettait d’éviter que l’exécution immédiate ne cause un préjudice irréversible avant que le juge ne se prononce sur le fond.

Un exemple marquant est celui des étudiants exclus de l’Université par le Président Senghor en 1977. Dans l’affaire CS, 5 avril 1978, Emile WARDINI c/ État du Sénégal, la Cour suprême avait accordé un sursis à exécution, reconnaissant que le préjudice subi était suffisamment grave et que les moyens invoqués paraissaient sérieux en l’état de l’instruction.

Le sursis à exécution n’était cependant accordé que sous ces conditions strictes : l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué; le risque d’un préjudice irréparable pour le requérant.
Toutefois, ce mécanisme classique a été profondément remanié. En France, la loi du 30 juin 2000 a institué de nouvelles procédures d’urgence notamment le référé-suspension, le référé-liberté; pour permettre au juge administratif d’intervenir rapidement et efficacement en cas de menace grave pour les droits et libertés.
Le législateur sénégalais s’est inscrit dans cette dynamique en adoptant la loi organique n°2017-09 du 17 janvier 2017 (modifiée par la loi organique n°2022-16 du 23 mai 2022), qui a abrogé l’ancien régime du sursis. Désormais, dans le contentieux administratif sénégalais, le sursis à exécution est supprimé et remplacé par les procédures de référé.

Ainsi, aujourd’hui, cette requête d’un requiert l’usage du référé-suspension, prévu par l’article 84 de ladite loi organique, et non plus la demande de sursis à exécution.

À l’espèce, Barthélémy Dias aurait dû introduire un référé-suspension au lieu de solliciter un sursis à exécution. Cette erreur stratégique discrédite.
Y a-t-il un doute sérieux sur la légalité de l’acte attaqué ? Y a-t-il urgence véritable ? Le préjudice encouru est-il irréparable ?

Seul le juge administratif pourra nous édifier bientôt.

Jummah Moubarack

Seydina Mouhamadou Malal DIALLO
Juriste Publiciste
Manager du Cabinet Mcc Senegal
SG Noo Lank

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